jeudi 25 avril 2024
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Stéphane Lamotte : « Nous avons cherché à être dans le souci de la vérité »

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Cette année, Monaco commémore les 100 ans de la disparition du prince Albert Ier à travers une série d’événements. Parmi eux, la publication d’un livre, Les mondes d’un prince – Albert Ier de Monaco et son temps 1848-1922(1). Interview avec le secrétaire du comité de commémoration Albert Ier, Stéphane Lamotte, qui est aussi professeur et docteur en histoire, et qui a signé les textes de ce livre.

L’origine de ce livre ?

Cet ouvrage a été réalisé dans le cadre du comité de commémoration Albert Ier (1848-1922) et des cérémonies liées à ce centenaire. Le prince Albert II a installé un comité de commémoration en janvier 2019, avec Robert Fillon comme président, Thomas Fouilleron comme vice-président, et moi-même comme secrétaire de ce comité. Ce livre s’inscrit comme l’un des projets de ce centenaire. Des hommages sont ponctuellement rendus, comme la Constitution de 1911 qui a été célébrée au Conseil national. Au centre hospitalier princesse Grace (CHPG) un parvis Albert Ier a été dévoilé. Nous proposons aussi des expositions, qui sont des événements plus éphémères. Nous voulions également des éléments pérennes, comme ce livre.

Pourquoi faire un livre sur le prince Albert Ier ?

Un livre traduit le regard du présent sur le passé. Nous sommes en 2022, les temps ont changé. Nous avons donc porté un regard de 2022 sur Albert Ier, en publiant des documents inédits. Et en nous concentrant sur certaines thématiques spécifiques.

Votre objectif avec ce livre ?

L’objectif prioritaire, c’était de renouveler l’approche sur Albert Ier, d’être inédit, de surprendre, et de donner envie. Nous avons cherché un juste équilibre entre des images inédites, tout en maintenant des illustrations incontournables. Même si ces photographies sont connues, comme celles des bateaux d’Albert Ier, ou le portrait du prince avec la princesse Alice (1858-1925), avec ce livre notre objectif était de s’adresser à plusieurs publics.

« Nous avons rappelé le thème du prince navigateur et du prince océanographe, qui est connu, tout en éclairant d’autres dimensions, en particulier celle de l’humanisme »

À qui s’adresse cet ouvrage ?

Ce livre s’adresse en premier au public monégasque, mais aussi aux frontaliers, et aux personnes d’autres villes françaises. Notre éditeur, La Martinière, est très bien implanté en France, et à Paris en particulier. Il était important pour celles et ceux qui ne connaissent pas Monaco et cette séquence de la Belle Époque, de leur montrer des images que nous connaissons peut-être, mais que eux ne connaissent pas forcément. Ce livre est aussi traduit en anglais, afin de pouvoir le diffuser dans tous les pays de langue anglaise.

Vous aviez d’autres objectifs ?

Nous avons aussi cherché à contourner l’approche chronologique. Dans Les mondes d’un prince, on joue sur le double sens du terme « monde ». Nous avons souhaité que l’on entre dans ce livre par l’espace, par la géographie. Nous avons donc découpé cet ouvrage entre la France, Monaco, puis le Portugal et la Norvège, qui sont ses deux destinations privilégiées pour ses campagnes scientifiques. Dans un troisième temps, il y a ce que nous avons appelé « les autres mondes ». Nous avons cherché à éviter de faire un catalogue, en ciblant les principales destinations. L’idée était de montrer la diversité, tout en donnant un coup de projecteur sur d’autres mondes. Nous avons rappelé le thème du prince navigateur et du prince océanographe, qui est connu, tout en éclairant d’autres dimensions, en particulier celle de l’humanisme.

Stéphane Lamotte Les mondes d'un prince

Un exemple ?

Nous parlons de l’engagement du prince Albert Ier dans l’affaire Dreyfus (1894-1906). Dans sa correspondance, il a affiché des sympathies dreyfusardes dès 1897. On peut aussi évoquer son engagement pacifiste, les deux étant liés. Son réseau de sociabilité dreyfusard et pacifiste est souvent le même, que ça soit auprès de savants, d’intellectuels, ou de politiques. L’engagement pacifiste d’Albert Ier s’est manifesté lors de rencontres, par exemple auprès de Guillaume II (1859-1941), pour tenter une médiation entre la France et l’Allemagne.

Quels sont les autres temps forts du parcours d’Albert Ier ?

On peut citer l’accueil à Monaco, en avril 1902, du XIème congrès universel de la paix. Sans oublier la création, en principauté, de l’Institut international de la paix, en 1903. En 2022, à l’heure de la guerre qui a éclaté en Ukraine, et même si la rédaction de ce livre a débuté avant que ce conflit ne se produise, cela avait du sens de rappeler cet engagement pacifiste. Tout cela résonne particulièrement aujourd’hui.

Ce livre a nécessité combien de temps de travail ?

Nous avons essentiellement travaillé sur ce livre pendant l’année 2021. L’écriture a été terminée pour Noël 2021. Ensuite, le travail de relecture avec l’éditeur a débuté, ainsi que le travail technique autour de la maquette de cet ouvrage.

« L’engagement pacifiste d’Albert Ier s’est manifesté lors de rencontres, par exemple auprès de Guillaume  II (1859-1941), pour tenter une médiation entre la France et l’Allemagne »

Finalement, qui était Albert Ier ?

Albert Ier était un homme curieux. Il incarne ce basculement très particulier de la fin de siècle, entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle. Il y avait alors vraiment un engouement pour les innovations, et pour ce changement de temps et d’époque qui était en train de se produire. Il y avait aussi un enthousiasme qui était celui de la Belle Époque, une période qui va de 1871 à 1914, qui précède la Première Guerre mondiale. Cette guerre mettra un coup d’arrêt, et marquera un certain désenchantement sur beaucoup de sujets.

Albert Ier avait d’autres traits de caractère marquants ?

Albert Ier était aussi quelqu’un qui possédait une grande capacité de travail. Il était souverain, et il était d’ailleurs très présent à Monaco, notamment pendant la saison hivernale. Sur son bateau, il continuait à suivre les affaires monégasques, notamment grâce à la télégraphie et au courrier, ce qui lui permettait de gouverner à distance. Il a d’ailleurs fait beaucoup pour Monaco : l’hôpital, le musée océanographique qu’il inaugure en 1910, la Constitution, l’aménagement du port… Comme beaucoup d’hommes de pouvoir et d’État, il dormait peu, et il écrivait beaucoup dans ses multiples carnets et journaux.

C’était aussi un homme de lettres ?

Albert Ier était effectivement un homme de plume. Il avait la volonté de laisser une trace littéraire. En 1902, il ne publie pas des mémoires, comme on le croit souvent. Il s’agit en fait d’un récit de voyages, qui démontre d’un réel talent littéraire. Il rédige aussi des publications scientifiques, avec notamment des communications à destination des différentes sociétés savantes. Sans oublier ses discours qui étaient retranscrits, et son journal. Albert Ier avait conscience qu’il fallait laisser une trace de son œuvre.

« Nous parlons de l’engagement du prince Albert Ier dans l’affaire Dreyfus (1894-1906). Dans sa correspondance, il a affiché des sympathies dreyfusardes dès 1897. On peut aussi évoquer son engagement pacifiste, les deux étant liés »

Quel était son tempérament ?

Albert Ier avait un tempérament enthousiaste, mais qui pouvait être parfois empreint d’une certaine mélancolie, ou d’un doute. Tout en étant enthousiaste sur le progrès scientifique, il avait toujours une dimension critique. Il était toujours sensible au bien-être, à la santé, et à l’environnement. Dans ce sens, il était pionnier. Il était notamment concerné par les dangers que la civilisation industrielle pouvait engendrer. Lorsqu’il se rend aux États-Unis, dans le Wyoming, en 1913, il affiche ainsi un véritable engouement pour les parcs nationaux. Et il veut tout de suite importer cette idée en Europe. En 1916-1917, il a le projet d’un parc national transfrontalier entre l’Espagne et la France. Mais les parcs nationaux mettront du temps à arriver en Europe, puisqu’il faudra attendre le lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Albert Ier n’opposait pas progrès et écologie ?

À la fin de sa vie, son discours sur l’océan, prononcé en 1921, est une sorte de discours bilan, un discours testament. Il dénonce les effets de la « surpêche », les atteintes à la faune et à la flore, et il milite pour que la biodiversité soit préservée. Il existe chez Albert Ier une double articulation, entre la fascination pour le progrès, et en même temps, un pas de côté, pour regarder les excès et les risques. Ce recul lui permet de rester vigilant.

« On peut citer l’accueil à Monaco, en avril 1902, du XIème congrès universel de la paix. Sans oublier la création, en principauté, de l’Institut international de la paix, en 1903. En 2022, à l’heure de la guerre qui a éclaté en Ukraine, et même si la rédaction de ce livre a débuté avant que ce conflit ne se produise, cela avait du sens de rappeler cet engagement pacifiste. » Stéphane Lamotte. Professeur et docteur en histoire, et secrétaire du comité de commémoration Albert Ier.

Ce livre est aussi un ouvrage collectif ?

Nous avons voulu que ce livre soit un travail collectif. J’ai ainsi pu bénéficier de la collaboration d’Elsa Milanesio et de Fabrice Blanchi, qui travaillent avec moi pour le comité Albert Ier. Ils m’ont notamment apporté leur aide sur le choix des images et sur les notices explicatives qui les accompagnent. Après une préface confiée au prince Albert II, l’avant-propos de ce livre a été confié au géographe Jean Malaurie. C’est un grand explorateur qui connaît bien le peuple Inuit, les pôles, et en particulier l’Arctique. Jean Malaurie est aussi un ethnologue, un grand connaisseur de ces peuples premiers, et une grande figure du monde scientifique.

Pourquoi avoir confié l’avant-propos de votre livre à Jean Malaurie ?

Pour au moins trois raisons. Il y a d’abord un clin d’œil. Jean Malaurie est né le 22 décembre 1922 à Mayence, en Allemagne. Il est donc, lui aussi, dans l’année de son centenaire. Ensuite, Jean Malaurie a toujours manifesté son intérêt pour la principauté, avec qui il collabore, et pour le prince Albert Ier , qu’il considère comme un guide, et une figure importante, notamment pour ses explorations vers le grand Nord. Enfin, cette année, Jean Malaurie lègue une partie de ses collections, de ses travaux, et de ses carnets à l’institut océanographique de Monaco. Cela faisait donc triplement sens de confier cet avant-propos à Jean Malaurie.

En fin d’ouvrage, comment avez-vous sélectionné les 7 intervenants (2) qui ont rédigé un texte d’hommage au prince Albert Ier ?

Lors d’une discussion avec Thomas Fouilleron, Robert Fillon, et avec le secrétaire général de la fondation prince Pierre de Monaco, Jean-Charles Curau, nous avons eu cette idée d’un hommage à Albert Ier écrit par des membres du conseil littéraire de la fondation prince Pierre. Jean-Charles Curau a donc proposé aux membres de la fondation prince Pierre de travailler sur ce sujet. Nous avons pris les textes de ceux qui ont répondu positivement, car il n’y avait pas d’obligation. Au final, nous avons 7 textes, avec des plumes et des sensibilités différentes, ce qui est très intéressant. Certains textes sont en prose, d’autres sont davantage poétiques. Dany Laferrière a d’ailleurs fait un dessin, accompagné d’un petit texte.

Le danger d’un livre hommage, c’est d’être davantage dans le pathos que dans l’information et la recherche de la vérité : comment avez-vous fait pour éviter cet écueil ?

C’est une bonne question. Nous avons cherché un juste équilibre. Je suis historien de formation, puisque je suis docteur en histoire. Donc j’essaie d’éviter le risque de tomber dans une hagiographie. Nous avons fait un travail de recherche, sérieux et documenté, en travaillant à partir d’archives, que ce soit de l’institut audiovisuel, des archives du palais, de l’Institut océanographique, de la Société des Bains de Mer (SBM), et des archives privées. Nous avons cherché à être dans le souci de la vérité, comme le prince Albert Ier lui-même. L’idée, c’était de lui être le plus fidèle possible, car il était animé par cette démarche scientifique. Nous avons voulu aussi publier des aspects méconnus ou inconnus, et en même temps, faire preuve d’esprit critique quand il le fallait, en montrant toutes les facettes. En même temps, par la forme, par le graphisme, par le choix des illustrations, il fallait que nous soyons aussi dans un hommage, puisque nous sommes dans une année de commémoration. Il ne s’agissait pas de dire que le prince Albert Ier avait tout fait, mais de montrer qu’il avait fait beaucoup.

Il existe des erreurs ou des approximations concernant la trajectoire et les réalisations du prince Albert Ier ?

Quand on évoque le pacifisme d’Albert Ier, qui était extrêmement important, l’exemple type d’une exagération, c’est de faire de lui le créateur de la société des Nations (SDN) à Genève, en janvier 1920. Ce n’est pas vrai. La SDN était une organisation intergouvernementale, ce que n’était pas l’Institut international de la paix, que le prince Albert Ier a créé à Monaco en 1903, avant de déménager en 1912 à Paris. C’était un institut où on réfléchissait sur la paix, on écrivait, et on publiait. C’était un institut de réflexion. L’Institut international de la paix est une pierre posée sur le chemin qui conduira, plus tard, à la SDN. À l’époque, il y avait aussi d’autres fondations, américains ou européennes, qui travaillaient en faveur du mouvement pacifiste.

« Tout en étant enthousiaste sur le progrès scientifique, Albert Ier avait toujours une dimension critique »

Vous avez publié des informations nouvelles, ou tout simplement méconnues sur le prince Albert Ier ?

Dans le chapitre consacré aux « autres mondes », nous parlons de l’action d’Albert Ier au Maroc, et en particulier de ses premières photographies et de ses premiers films réalisés dans ce pays. Nous évoquons aussi l’action d’Albert Ier lors du coup de Tanger, le 31 mars 1905, qui est un épisode assez méconnu. Du 31 mars 1905 à mai 1906, la crise de Tanger a été une crise internationale qui a vu s’opposer les puissances européennes au sujet de la colonisation du Maroc. Albert Ier a fait une médiation entre la France et l’Allemagne qui a été couronnée de succès.

Albert Ier est aussi allé en Italie ?

Nous évoquons effectivement ses voyages en Italie. Depuis Montaigne, au XVIème siècle, le voyage en Italie c’est un peu le parcours de l’honnête homme, de l’homme cultivé, et de l’homme scientifique. Quand on regarde les photos que nous publions dans ce livre, j’aime bien l’équilibre entre le passé, avec les ruines romaines lorsque Albert Ier est proche de Rome, ou dans la Villa Adriana à Tivoli, lorsqu’il est devant la statut de la déesse Minerve, et le moment où il essaie son appareil photographique dernier cri. Cela montre son goût pour la culture et pour l’innovation. Il appréciait la musique, et notamment Jules Massenet (1842-1912) ou Camille Saint-Saëns (1835-1921) par exemple. Et il aimait aussi l’innovation photographique. Ici, on est vraiment dans cette articulation. Enfin, quand on parle de la France, on parle de la présence d’Albert Ier aux funérailles de Victor Hugo (1802-1885) en 1885. Il était encore prince héréditaire, et il a ainsi rendu hommage à ce grand poète qu’était Victor Hugo.

Selon quelle logique avez-vous sélectionné les photos publiées dans votre livre ?

Il y a eu des logiques contraintes, car nous avions un nombre d’images limité. Au départ, nous avions évoqué la possibilité de faire un livre composé uniquement de photos. Finalement, à côté des photos qui restent majoritaires en nombre, nous avons inséré quelques images d’archives, mais aussi des dessins, et des tableaux, tout en faisant un panachage entre le noir et blanc et la couleur. La qualité des photos a aussi influencé notre choix, car certaines photos nécessitaient une restauration, et sont donc publiées pour la première fois. Notre volonté a été de tout montrer, sans oublier aucun aspect, de rappeler des choses connues pour qu’on ne les oublie pas, et de montrer des choses nouvelles. Nous avons donc recherché un subtil équilibre entre la qualité, la quantité, et les photos que nous estimons être les plus représentatives.

Quelles sont les photos les plus rares ?

À la page 121, une photo prise sur le yacht de course impérial Meteor, pendant une régate à Kiel, en juin 1907, montre l’empereur Guillaume II qui parle avec les mains au prince Albert Ier. Guillaume II était très théâtral. Cette photo dit beaucoup. Elle montre l’écoute d’Albert Ier, et cette négociation qui est en cours, pour évoquer la science et la paix, sur leurs bateaux respectifs. Montrer les voyages du prince Albert Ier à Kiel, et l’importance de ses rencontres avec Guillaume II, c’est quelque chose d’un peu nouveau, que nous avons voulu montrer dans ce livre.

Vous avez aussi lancé un site Internet, princealbert1.mc ?

Sur princealbert1.mc, nous communiquons essentiellement sur les différents événements que nous organisons pendant l’année 2022, avec des liens vers nos différents réseaux sociaux, notamment Instagram et Facebook. Au-delà de l’année 2022, ce site Internet va devenir un site portail et un site d’archives consacré au prince Albert Ier. Nous mettrons en ligne des documents, des textes, des images, des discours, et des correspondances pour les rendre accessibles aux internautes. L’objectif, c’est que princealbert1.mc soit un site Internet pérenne.

1) Les mondes d’un prince – Albert Ier de Monaco et son temps 1848-1922, de Stéphane Lamotte (La Martinière), 159 pages, 30 euros.

2) L’hommage du Conseil littéraire de la fondation prince Pierre de Monaco au prince Albert Ier a été rédigé par Xavier Darcos, François Debluë, Marie-Claire Blais, Philippe Claudel, Marc Lambron, Frédéric Vitoux, et Dany Laferrière.