vendredi 19 avril 2024
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Sabounghi sur le Ring

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Cette année, l’opéra joué à l’occasion de la fête nationale ne laissera personne indifférent. Bicentenaire Wagner oblige, le directeur Jean-Louis Grinda a opté pour L’Or du Rhin, le prélude de la tétralogie du Ring qui a tant inspiré Tolkien pour son Seigneur des anneaux. Rencontre avec le décorateur Rudy Sabounghi, habitué des plus grandes salles européennes. Histoire d’aller derrière le rideau…

 

Monaco Hebdo : Vous avez habillé les danseuses qui distribuent le programme pour le bal de la Croix-Rouge, cumulé les collaborations avec l’opéra de Monte-Carlo, notamment pour 3 fêtes nationales. Comment le vent vous a porté vers Monaco au départ ?
Rudy Sabounghi : Avec Monaco, c’est une très longue histoire fractionnée. J’y suis depuis l’âge de 8 ans mais je n’y travaille que depuis 2008. En tout cas, c’est sur la scène de Garnier que j’ai vu mon premier opéra. Et c’est à partir de là que je me suis dit : ce sera mon métier. Au lycée, je me faisais d’ailleurs un peu d’argent de poche en faisant de la figuration pour l’opéra. A cette époque, le directeur était le père de Jean-Louis, Guy Grinda.

M.H. : C’est donc une longue histoire aussi avec les Grinda ?
R.S. : A cette époque, je ne connaissais pas Jean-Louis. Cela a d’ailleurs été une des surprises lorsque nous nous sommes rencontrés. Lui était producteur à Avignon, alors que je réalisais un décor du spectacle. Mais notre accroche amicale ne s’est manifestée artistiquement qu’à la fin du mandat liégeois. En 2004, Jean-Louis, qui était directeur à l’opéra de Liège, faisait ses premiers pas de metteur en scène. Il m’a sollicité sur le Ring. Mais j’ai eu peur de la disponibilité et du temps que je pouvais donner sur un abonnement qui m’engageait sur 4 ans. J’ai déclaré forfait. Il a donc fait son premier Ring sans moi… On s’est retrouvé plus tard en 2005 sur Paillasse. Puis, il a été nommé à Monaco, je l’ai suivi.

M.H. : Pour vous, que représente Wagner ?
R.S. : Une œuvre qui m’a très longuement intimidé. C’est pour cela, aussi, que j’ai refusé la première invitation de Jean-Louis. Une fois qu’on passe l’intimidation que représente cet énorme nom musical en plus de sa germanité – ne parlant pas allemand, je suis plus proche de la culture italienne –, je m’attache au livret. Et là j’arrive à faire tomber cette crainte.

M.H. : Vous voilà de nouveau sur le Ring. En tant que décorateur, on est confronté à la puissance de l’œuvre de Wagner. Vous avez voulu en imposer ? On parle 30 tonnes de décor installés sur la scène du Grimaldi Forum…
R.S. : Les images n’ont pas de poids (sourire)… L’Or du Rhin, c’est très impressionnant. Le langage est très fluctuant, avec plusieurs niveaux de lecture (c’est une fable, un conte), j’avais besoin d’un terrain solide. J’ai cherché à illustrer ce que je comprenais du livret. A savoir que Wotan et Frika (les dieux) se font construire un château qui n’est pas encore livré par les géants. De là est née l’idée d’un chantier et donc d’un échafaudage qui masque le futur château qui va être construit. A travers ce fil narratif, j’ai réussi à articuler comment je voyais l’œuvre.

Rudy-Saboughi-Or-du-Rhin

M.H. : Le décor se sert également beaucoup de vidéos ?
R.S. : La vision de Jean-Louis était que cette œuvre se joue en continuité. Il existe de très beaux interludes musicaux pour passer d’un décor à l’autre. Jean-Louis m’a demandé d’inventer quelque chose afin de ne pas fermer le rideau. Du prologue à la fin, il y a donc toujours quelque chose à voir, grâce aux vidéos. Tout est à vue. Il n’y a pas d’entracte et pas de chœurs.

M.H. : L’Or du Rhin, c’est un choix osé pour une fête nationale, non ?
R.S. : Oui. Il n’y a que Jean-Louis qui peut tenir un pari comme ça… Même si L’Or du Rhin n’est pas un opéra de Wagner qui dure 5 heures… Mais avec Jean-Louis aux manettes, ce n’est plus un risque. C’est un homme de théâtre, qui a un sens du rythme et une grande capacité à tenir le poids d’un spectacle. Soit on écoute, soit on s’amuse, soit on est intéressé… Il assure le show.

M.H. : Comment ça se passe entre le scénographe et le metteur en scène ?
R.S. : C’est une très belle collaboration. Le point de départ de l’approche d’une œuvre est variable. Par exemple, sur ce décor-là, initialement, j’allais dans une direction qui, visuellement racontait l’anneau. Le cycle entier de Wagner, c’est le Ring. J’essayais de faire que l’image du cercle soit récurrente sur tout l’ouvrage. Il a trouvé la récurrence ennuyeuse et a fait voler en éclats cette première idée, que l’on retrouve plus éclatée et plus riche pour le spectacle. Ce jeu d’aller-retours entre le décorateur et le metteur en scène est formidable.

M.H. : A Monaco, vous enseignez pour la première fois cette année au Pavillon Bosio ?
R.S. : C’est tout nouveau. J’ai proposé ma participation puisque j’étais présent à Monaco. Je fais travailler les élèves sur L’Or du Rhin avec les contraintes qui m’avaient été dictées. C’est-à-dire imaginer un décor où l’on ne ferme jamais le rideau. J’ai présenté le sujet avant l’été. J’ai vu le premier résultat des courses la semaine dernière. On finit le workshop le 15 décembre. Jean-Louis viendra voir leur travail.

M.H. : Vos projets ?
R.S. : Dans les projets, il y a un Werther à l’opéra de Saint-Etienne, qui collabore souvent avec Monaco d’ailleurs (pour La Traviata par exemple) et un Castor et Pollux pour le théâtre des Champs-Elysées à la rentrée prochaine. Je fais également beaucoup de théâtre. Travailler avec les moyens du théâtre, qui demandent beaucoup moins de visuels, suppose une inventivité beaucoup plus grande. C’est très nourrissant de passer par cette austérité créative, pour répondre plus intelligemment aux décors lyriques et ne pas avoir de grands moyens. Ce va-et-vient entre moyens et absence de moyens est très dynamique pour la création.

M.H. : Et côté cinéma ?
R.S. : Jamais. J’ai toujours préféré le décor de théâtre car même si je ne me sens pas metteur en scène, le décorateur, au théâtre, a une place proche du metteur en scène. C’est ce dialogue-là qui me plaît. Au cinéma, ce rôle est assumé par le directeur photo, pas le décorateur. C’est pourquoi je n’ai jamais tenté l’expérience. En revanche, travailler pour les chorégraphes est très intéressant, aussi bien pour les décors que les costumes. J’ai collaboré avec Anne Teresa De Keersmaeker et Lucinda Childs. Je fais moins de danse mais c’est une passion.