jeudi 28 mars 2024
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Ron Perlman : « Trouver sa communauté, c’est encore plus important que de se sentir acteur »

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Rencontré à l’occasion du 61ème festival de télévision de Monte-Carlo en juin 2022, l’acteur américain Ron Perlman revient sur sa longue carrière, avec humour et profondeur, et aborde ses projets et ses rôles à venir avec Monaco Hebdo.

Vous êtes récemment apparu dans la satire à succès Don’t look up (2021) sur Netflix : comment expliquez-vous que ce film a tant fait débat dans l’opinion ?

J’ai adoré jouer dans ce film, et j’ai adoré le rendu obtenu par Adam McKay, le réalisateur. C’est un exercice très difficile que de retranscrire à l’écran un thème aussi important que la fin de notre espèce. Tout en étant capable de délivrer un message sans être ennuyant, et sans agacer le public qui pourrait se dire à la fin « p… j’ai perdu deux heures de ma vie en matant ce film ». Si ce film fait autant parler de lui, c’est parce qu’Adam McKay a été capable de créer brillamment une satire autour de tous ces objets d’obsession de type TikTok, Instagram, ou Twitter, toutes ces choses inutiles qui cartonnent, et qui détournent notre attention, alors que Rome est en train de brûler. Il a eu cette capacité de s’inspirer du réel. Je pense que c’est son chef d’œuvre.

Vous avez obtenu vos premiers grands rôles au cinéma grâce au réalisateur français Jean-Jacques Annaud ?

Jean-Jacques m’a donné mon premier grand rôle avec La Guerre du Feu (1981). Ce n’était pas mon premier film, mais c’était ma première expérience dans une grosse production, et un grand défi que de jouer un tel personnage, qui représente un homme d’il y a 800 000 ans, qui n’a accès à rien. Il faut user entièrement de son imagination pour un tel rôle, car il n’existe rien de comparable dans ce monde pour s’y rattacher. Derrière tout ce maquillage, on invente une nouvelle manière de bouger, et de s’exprimer. C’était comme tenter de résoudre un Rubik’s Cube. C’était une très belle manière d’entrer dans ce monde du cinéma. Puis, on s’est retrouvés avec Jean-Jacques pour l’adaptation du Nom de la Rose (1986), dans laquelle j’ai joué Salvatore, un personnage comparable à mon rôle d’Amoukar dans La Guerre du Feu.

Ron Perlman
© Photo Festival de télévision de Monte Carlo

Que retenez-vous de ce rôle dans Le Nom de la Rose ?

J’ai failli ne pas avoir le rôle, car le studio avait préféré un autre acteur, qui a finalement fait faux bond. Il a voulu renégocier son salaire en plein tournage, ce qui revient à faire un gros doigt d’honneur à toute l’équipe. Il l’ont donc envoyé ch… Et, comme Jean-Jacques Annaud me voulait en premier lieu, il a su convaincre le studio de me donner le rôle. C’était encore plus jouissif pour moi que pour La Guerre du feu, car ce personnage de Salvatore était une délicieuse invention. Même l’auteur du Nom de la Rose, Umberto Ecco, adorait ce personnage à la fois intelligent, mais stupide, qui comprend toutes les langues, mais n’en parle pas une seule. C’était phénoménal.

Vous avez aussi été le premier acteur à incarner le personnage de “comics”, Hellboy (2004) : que cela représente-t-il dans votre carrière ?

Hellboy est le genre d’opportunité qui n’arrive peut-être qu’une fois dans la carrière d’un acteur, si ce n’est jamais. Et pour couronner le tout, le premier Hellboy (2004) tourné par Guillermo del Toro était un pur chef d’œuvre.

Un troisième Hellboy tourné par Guillermo del Toro verra-t-il finalement le jour (1) ?

Hellboy 3 ? Vous avez du nouveau là dessus ? Pas moi [rire]. Mais j’adorerais le jouer, au moins pour les fans. À l’origine, il devait y en avoir trois avec Guillermo, et il n’y en a eu que deux. J’ai toujours pensé que nous le tournerions. Mais je ne pense pas que ce soit d’actualité.

Vous avez joué avec votre fille, Blake Perlman, dans les séries Hand of God (2014) et StartUp (2016) : comment avez-vous réagi quand elle vous a annoncé qu’elle voulait à son tour être actrice ?

La manière dont elle me l’a dit était telle que je ne pouvais rien dire d’autre que « Okay ». Quand j’ai découvert le métier d’acteur, j’ai en réalité découvert une communauté de personnes aussi ravagées que je l’étais. Lors de mes premiers castings, je me suis enfin senti comme étant quelqu’un de normal [rires]. Et c’est exactement ce que m’a dit ma fille quand je lui ai demandé ce qu’elle trouvait à ce métier. Elle m’a dit : « J’ai enfin trouvé ma communauté ». Ça a résonné en moi. Trouver sa communauté, trouver ces personnes autour de qui vous voulez vous entourer, c’est encore plus important que de se sentir soi-même acteur.

Travailler avec elle, c’est comment ?

C’est merveilleux de travailler avec elle. Je suis fan de ce qu’elle fait, elle me surprend toujours. Je pensais détester son travail et c’est tout l’inverse. C’est une chose merveilleuse que de pouvoir travailler avec des personnes que vous adorez.

Vous aviez failli tout arrêter dans les années 1980 : comment avez-vous su que vous étiez un acteur né, comme l’est votre fille ?

Avec cette communauté de personnes qui ont embrassé la même carrière autour de moi, nous sommes comme une équipe d’individus abîmés qui nous réfugions dans un même sanctuaire. Nous nous retrouvons tous dans le fait de devenir d’autres personnes, et nous nous comprenons. Quand je rencontre des fans en traversant le globe, et qu’on m’interpelle en me faisant « hey, Hellboy », ou « hey, le mec de Police Academy » (2), ça me fait marrer, et je me dis que j’ai fait le bon choix.

« On m’a proposé le rôle d’un auteur qui ressemble beaucoup à Charles Bukowski (1920-1994). Le jouer, ce serait comme jouer dans une autobiographie [rire] »

Y a-t-il un nouveau personnage que vous aimeriez jouer ?

Je reçois des scripts très intéressants en ce moment. On m’a proposé le rôle d’un auteur qui ressemble beaucoup à Charles Bukowski (1920-1994). Le jouer, ce serait comme jouer dans une autobiographie [rire]. Je plaisante. Ce sera probablement une sorte de “feature film” [un long-métrage — NDLR]. On m’a aussi proposé un autre scénario, où je jouerai le rôle d’un ex-flic complètement alcoolique. Ça me va bien [rire]. Mes meilleurs rôles sont encore à venir.

1) Guillermo del Toro a réalisé deux Hellboy : Hellboy (2004) et Hellboy II : Les Légions d’or maudites (2008). En 2019, un “reboot” intitulé Hellboy a été tourné par Neil Marshall. Ce film est indépendant des deux films tournés par Guillermo del Toro.

2) Ron Perlman a joué dans Police Academy : Mission à Moscou, sorti au cinéma en 1994.