mercredi 24 avril 2024
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Rimbaud, compagnon du ciel

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Rimbaldien depuis l’enfance, Alain Borer est également écrivain, poète et professeur. Invité par la Fondation Prince Pierre pour une conférence au Théâtre des Variétés, il raconte sa passion pour le poète auquel il a consacré 30 ans de sa vie.

Propos recueillis par Romain Chardan et Caroline Sellier.

Monaco Hebdo : Quand vous êtes-vous découvert votre passion pour Rimbaud ?
Alain Borer : A l’âge auquel on n’est pas sérieux, à 17 ans. Les adolescents se découvrent et se reconnaissent dans Rimbaud car il est celui qui arme le désir d’écrire. Tous les poètes du monde entier, y compris la beat generation américaine, se sont reconnus à travers Rimbaud. Parce qu’ils ne souhaitent pas seulement écrire de la poésie à 17 ans, ils veulent changer la vie, la société.

M. H : Comment avez-vous compris que vous vouliez faire de la poésie ?
A.B. : Sans doute en même temps qu’on lit, que l’on reçoit le choc du Bateau ivre, également à 17 ans. Ce poème est un vrai révélateur. Et je parle pour tous ceux qui, fort nombreux, ont été révélés par Rimbaud, de Claudel à Segalen, en passant par Kerouac et Bob Dylan.

M.H. : Qu’est-ce qui vous fascine chez lui ?
A.B. : Ce n’est pas seulement une fascination, mais une succession, un bouquet de questions. Que faire ? Comment faire ? Comment changer la vie ? Que faire pour cela ? A travers lui se formulent des questionnements.

M.H. : Vous tirez votre principale source d’inspiration de Rimbaud et de ces questions ?
A.B. : Oui, non pas vraiment de lui, mais à travers lui. L’idée est de devenir soi-même. Je pense vraiment que c’est un grand révélateur. Non seulement il a changé la poésie, ce qui est important, mais surtout il a cette exigence de changer la vie, de ne pas accepter les conditions qui nous sont faites, et d’associer l’exigence, sinon la révolte, à sa démarche personnelle.

M. H : Ce qui vous a marqué dans sa vie ?
A.B. : C’est sans doute l’exigence qui fait que toute sa vie est un chantier. Il ne réussit rien, mais il ne rate rien non plus. La question, c’est de mettre la barre très haut.

M.H. : Vous avez fait les mêmes voyages que lui. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
A.B. : J’ai eu l’exigence et aussi la chance de parcourir tous les itinéraires qui furent les siens. C’est très facile aujourd’hui, donc je n’ai aucun mérite. J’ai simplement compris que je n’aurais pas pu les faire à son époque. Il y a une dimension du réel. C’est non seulement une grande aventure, mais il y a un enjeu, quelque chose à comprendre. Une fois que Rimbaud a abandonné la poésie, il a été rejeté. On lui a dit que voyager, s’occuper du monde, n’avait aucun intérêt.

M.H. : Vous dites que vous n’auriez pas pu les faire à son époque. Pourquoi ?
A.B. : Le décalage. J’ai compris que je n’aurais pas survécu, par exemple en Ethiopie, dans un pays deux fois grand que la France, avec des lions réels. Je ne suis pas très doué dans le réel, je n’aurai pas survécu 24 heures. Lui l’a fait pendant 10 ans. C’est un décalage important, car ce n’est pas celui de mon incapacité, mais celui de la réalité. La seule chose un peu difficile à comprendre et très importante est que l’enjeu du réel est du même ordre que celui de la littérature.

M.H. : Qu’essayez-vous de faire passer à vos étudiants ?
A.B. : Ce sont de vraies questions, non pas des réponses. Et surtout de bons questionnements. Parce qu’avec Rimbaud, il y a un questionnement très juste, l’existence même de la poésie, de la littérature, de la langue. Il y a le positionnement même de la jeunesse, devant ce qu’elle reçoit et ce qu’elle transmet. Il y a l’exigence de savoir ce qu’on fait du monde. Il y a une exigence supérieure qui est la liberté. Il appelait ça la liberté libre. C’est très difficile à pratiquer, mais lui l’a fait sans arrêt.

M.H. : Vous y arrivez ?
A.B. : Pas du tout. Je garde l’exigence, ce qui est déjà beaucoup. Exemple de la liberté libre : en 1884, il dit une phrase incroyable dans une lettre. Il dit : « Je vais acheter un cheval et m’en aller ». Vous pouvez écrire une phrase pareille ? C’est impossible aujourd’hui. En plus, il le fait. S’il le fait, c’est vraiment possible. C’est encore possible peut être en Mongolie, mais c’est du tourisme. Il y a l’idée de départ libre. Et lointain, sans rien devoir à personne, sans savoir ce qu’on va faire. C’est un pur projet de liberté.

M.H. : Quelle a été l’importance de sa relation avec Verlaine ?
A.B. : C’est à travers Verlaine qu’il a rencontré les poètes contemporains, et c’est à travers lui que se concentrent tous ses rejets. La société des poètes, l’Europe même, le désir de s’en aller. Mais aussi, il faut dire que Verlaine était un éditeur extraordinaire, il a édité tout Rimbaud. Sans Verlaine, on ne le connaîtrait peut-être pas aujourd’hui.

M.H. : Écrivez-vous toujours sur lui ?
A.B. : J’ai cessé franchement. J’ai décidé, et ça m’a fait du mal, de m’arrêter à 37 ans, à l’âge où lui-même est mort. Mais je n’ai pas passé un jour sans y penser, sans continuer d’y travailler. Et puis surtout en préparant d’autres livres. Le problème n’est pas d’écrire sur Rimbaud mais d’être un minimum soi-même. Et c’est lui qui m’aide à cela.

M.H. : Vous vous sentez proche de lui ?
A.B. : Tout le temps.

M.H. : Comme s’il était une partie de vous, une sorte d’avatar ?
A.B. : Oui. Un avatar. C’est fort au sens hindou du terme, d’être un avatar de Rimbaud. C’est un compagnon, dans le ciel, il y a des compagnons invisibles dans le ciel, mais le compagnon, on ne le voit pas. On en a tous, vous aussi d’ailleurs (sourire).

M.H. : Vous travaillez sur des livres en ce moment ?
A.B. : Oui, j’ai un livre qui va paraître en automne sur la langue française. Là, Rimbaud m’importe aussi, parce que c’est la figure du révolté, et personne ne manie la langue française comme lui. C’est une figure du révolté, comme les rockers ont utilisé cette idée par exemple, mais il avait lu toute la bibliothèque de Charleville, il avait avalé tout le British Museum. Ce n’est pas un casseur non plus, c’est aussi un grand transmetteur. Et même la condition de la révolte, ça passe par là. Pas par la transmission mais par le fait qu’il a tout assimilé. En cela, je l’admire beaucoup.