samedi 20 avril 2024
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On n’a pas
tous les jours 20 ans !

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Cette saison marque les 20 ans de Jean-Christophe Maillot à la tête des Ballets de Monte-Carlo. Focus sur une aventure artistique originale.

Réunir 28 000 personnes sur sept représentations au chapiteau de Fontvieille, personne n’y aurait cru. Maillot a réussi ce pari complètement fou en 1999 en remontant son Casse-Noisette Circus pour le jubilé du prince Rainier III. « C’était un moment exceptionnel qui a marqué le public monégasque », se remémorait encore récemment, lors d’un Monaco Press Club, le directeur des Ballets de Monte-Carlo. Pour son ami écrivain Jean-Marie Laclavetine, « Casse-Noisette Circus restera un moment d’exultation et de jubilation à la fraîcheur enfantine, dans lequel le chorégraphe aura jeté à profusion les idées et les trouvailles scéniques (1) ».
Comme il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, celui qui s’était juré mordicus de ne jamais refaire ce spectacle a décidé en avril dernier de créer un nouveau Casse-Noisette. On y retrouve alors « une mosaïque de personnages. Le professeur sévère, un danseur étoile insupportable, l’histoire improbable d’une Cendrillon amoureuse d’un Roméo », dépeint Maillot. Bref, le monde de la danse combiné à l’expérience personnelle de Maillot. Un Maillot qui a subi les foudres de l’ancienne directrice de l’académie Marika Besobrasova et a dirigé des danseurs « uniques » Gaëtan Morlotti et Bernice Coppieters. Gaëtan était presque parti à la retraite. A la demande de Maillot, il a « retrouvé les carrés de chocolat » et remontera sur la scène du Grimaldi Forum en décembre.

Un cirque pour 11 000 francs
Ce nouveau Casse-Noisette Compagnie (du 26 décembre au 5 janvier 2014) revient quelque part aux sources de l’aventure artistique de Maillot. Il ne faut pas oublier que ce gamin de 53 ans, élève de Rosella Hightower, a dans sa jeunesse racheté un cirque pour 11 000 francs. « Avec la remorque », précise le Tourangeau. Avant d’évoquer « un chapiteau qui prenait la flotte… » Quand il reprend la compagnie en 1993, il doit construire son succès. Gagner un public. « Les débuts n’ont pas été faciles. Les bons soirs, on était contents de faire 200 spectateurs. Et on allait passer au Grimaldi Forum qui a une capacité de 1 800 places… »

PME
Celui qui « mesure le temps qui est passé en regardant (ses) trois enfants » (son fils Félix est né à Monaco), a bâti le pôle danse monégasque pierre après pierre. Ballet après ballet. En explorant les racines des Ballets russes aussi bien que l’introspection personnelle avec un hommage à son père. « Je ne suis absolument pas stratège. Je n’arrive pas à me projeter sur le long terme. Je n’avais aucune idée de ce qu’allait devenir cette compagnie. Je savais juste que je n’avais pas le droit de faire quelque chose de médiocre. »

La diva Diana Vishneva en cadeau
Avec un budget de 12 millions d’euros, deux bâtiments à tenir (l’Atelier et l’Académie), et « une responsabilité morale et financière » de son directeur, la machine des Ballets est aujourd’hui une affaire (et une PME) qui roule. Recevant de temps en temps le Kirov ou le Royal Ballet. Maillot s’est même vu commander une création par le Bolchoi. « Cette création est une aventure particulière. Ça me panique. C’est la première fois que je m’éloigne de la compagnie aussi longtemps », livre-t-il en souriant.
En attendant cette nouvelle aventure dans la salle mythique du Bolchoï, Maillot offrira une star au public monégasque (« car tout le monde aime les stars ») avec une soirée spéciale Diana Vishneva. Les 18 et 19 décembre, l’étoile russe du théâtre Mariinsky interprètera sur les planches de la salle Garnier deux créations pensées pour elle. Woman in a Room de Carolyn Carlson et Switch de Maillot, avec Bernice Coppieters et Gaëtan Morlotti.
Pour le reste, le directeur des Ballets attend de voir. Sera-t-il à la tête de la compagnie dans 20 ans ? « Dans 20 ans, il faudrait alors inventer un logiciel », plaisante celui qui ne « vieillit pas car il travaille toujours avec des gamins de 20 ans. »

Maillot jugé par ses pairs

Qui pouvait mieux juger l’œuvre de Maillot que d’autres chorégraphes ? Monaco Hebdo a donné la parole aux maîtres de la danse, que sont, entre autres, Jiri Kylian et Alonzo King.

 

Jiri Kylian : « Ses œuvres sont intelligentes »

© Photo Marie-Laure Briane

On pourrait presque dire que Jiri Kylian est un habitué des planches monégasques. Bella Figura (2002), No More Play (2001), Les Noces (2009), Return to a Strange Land (1995), Sechs Tanze (2001), Silent Cries (2009), Sinfonietta (2005) et bientôt Petite mort (2014)… Nombre de ses chorégraphies ont été remontées pour la compagnie des ballets de Monte-Carlo. Dans le cadre du Monaco Dance Forum, le Nederlands Dans Theater qu’il dirigeait a été accueilli en 2002, tandis que Kylian y a présenté sa pièce Last Touch First en 2010. Le Prix Nijinski du meilleur chorégraphe 2000 revient pour les 20 ans de Maillot avec une création. East Shadow sera présentée en première européenne au Grimaldi Forum les 17 et 18 avril 2014.

Cette photo, retouchée par Jiri Kylian, illustre la spontanéité et le côté déjanté de sa relation avec Maillot.

Le souvenir de sa rencontre avec Maillot ? « Jean-Christophe et moi, nous nous sommes rencontrés à l’occasion de la création d’une belle œuvre pour le Nederlands Dans Theater, le String Quintet de Schubert. Je crois que son père était le créateur du superbe plateau de scène. »

L’apport de Maillot à la danse ? « Jean-Christophe a amené à la chorégraphie une dignité, une approche intellectuelle et une accessibilité pour tous les publics. »

Un mot (ou plusieurs, au choix) qui caractérise son œuvre ? « Il a réussi à convaincre le grand public que la danse est importante et que c’est une facette essentielle de notre conscience culturelle. Ce qui caractérise le mieux ses œuvres, c’est qu’elles sont intelligentes et profondément humaines. »

Sidi Larbi Cherkaoui : « On était en phase »

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© Photo Marie-Laure Briane

Meilleur chorégraphe aux Nijinsky 2002, Sidi Larbi Cherkaoui est lui un adepte de la danse physique. Le chorégraphe belge a fait un Faun dans le cadre du centenaire des Ballets russes en décembre 2009. Dans le cadre du Monaco Dance Forum, il a créé, pour la compagnie des Ballets de Monte-Carlo, In Memoriam (2007) et Mea Culpa (2006).

Le souvenir de sa rencontre avec Maillot ? « Ce fut en 2002, à l’occasion de la remise des prix Nijinski à Monte Carlo, au Monaco Dance Forum. Un homme charmant et intelligent, clair et généreux. »

Une anecdote sur la collaboration pour les Ballets de Monte-Carlo ? « En travaillant avec la danseuse étoile Bernice Coppieters, je développais un mouvement basé sur des portés par plusieurs danseurs. Jean-Christophe dans un autre studio, travaillait en même temps sur des mouvements très similaires, mais on ne le savait pas, l’un comme l’autre. Jusqu’à ce que l’on ait pris le temps de venir regarder et de comparer… C’était clair que l’on était en phase avec une certaine approche de la danse, à ce moment-là ! Cela nous semblait assez magique de découvrir que l’on était guidés par des énergies similaires, sans s’être influencé visuellement… »

Maillot-Sidi-Larbi-Cherkaoui
© Photo Koen Broos

L’apport de Maillot à la chorégraphie contemporaine ? « Jean-Christophe est quelqu’un qui aime à chaque fois essayer une danse très différente. Il s’impose une idée puis va au bout de celle-ci, à chaque création. Il peut autant aller vers une danse très abstraite qu’une danse plus narrative. Cela implique une capacité à voir la chorégraphie de plusieurs angles. Il est très généreux envers le public. Il guide le regard du spectateur vers chaque détail de sa chorégraphie. »

Un mot (ou plusieurs, au choix) qui caractérise son œuvre ? « Son œuvre est éclectique, esthétique, élégante, tourmentée, diverse.

Son caractère ? « Son caractère est marqué par un fort sens d’humour. Il est intelligent, directe, passionné, charmant, généreux. »

Son point faible ? « Etre plusieurs choses à la fois (directeur artistique et chorégraphe, ce n’est pas toujours facile). »

Son point fort ? « Etre plusieurs choses à la fois (artiste, et en même temps soutien d’autres artistes). »

 

Marco Goecke : Un duo

« histoire et émotion »

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© Photo Marie-Laure Briane

Certains spectateurs se souviennent encore de l’ébouriffant et puissant Spectre de la rose de Marco Goecke. Le danseur étoile Jeroen Verbbrugen, lui, s’en rappelle dans sa chair : « Avec le Spectre de la rose, j’avais peur d’avoir une crise cardiaque sur scène. J’adore ! », commente encore le jeune chorégraphe aujourd’hui. Car les chorégraphies de Marco Goecke ne laissent personne indifférent. Nommé meilleur chorégraphe émergent dans le cadre des Nijinski en 2006, il a réalisé plusieurs créations pour la compagnie des Ballets de Monte-Carlo. En plus du fameux Spectre de la Rose (2010), Whiteout (2007), Tuée (un solo créé pour Bernice Coppieters dans le cadre de la soirée de gala du Centenaire des Ballets russes en décembre 2009), Dearest Earthly Friend (2011). Une création est prévue en juillet 2013.

Le souvenir de sa rencontre avec Maillot ? « J’ai rencontré Jean-Christophe lorsque j’ai reçu le prix Nijinski. Il connaissait déjà mon travail. Ce soir-là, d’une minute à l’autre, je suis passé dans un autre monde… Je suis encore plus que reconnaissant d’avoir obtenu ce prix. »
Une anecdote sur sa collaboration pour les Ballets de Monte-Carlo ? « Je n’étais plus si jeune lorsque je suis venu à Monaco pour créer ma première œuvre, mais je me suis senti comme quelqu’un de très important lorsque je suis venu de Nice à Monaco en hélicoptère. J’étais comme un enfant, avec le sentiment d’être dans “le grand monde”. »

Maillot-Marco-Goecke
© Photo DR

Un mot (ou plusieurs, au choix) qui caractérise l’œuvre de Maillot ? « Alors que j’ai travaillé avec des compagnies tout autour du monde ces dernières années, j’ai toujours eu le sentiment d’être chez moi à Monaco. L’atmosphère est très ouverte au studio, et c’est sans aucun doute la personnalité de Jean-Christophe qui l’a créée et qui la conserve. Ses travaux ont tout, du sombre au lumineux, et sont toujours au point au niveau du style et de la chorégraphie. L’histoire et l’émotion prennent toujours un sens profond dans son œuvre. »

 

Alonzo King : « Un sentiment de famille »

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© Photo Marty Sohl

Ce grand maître de la danse américaine a fait avec sa compagnie Lines, une création mondiale dans le cadre du centenaire des Ballets russes, Shéhérazade. Pour la compagnie des Ballets de Monte-Carlo, Alonzo King a également conçu Writing Ground (2010). Alonzo King avait également participé au Tremplin Jeunes Ballets. En 2001, cet admirateur de Balanchine, réputé pour ses chorégraphies inventives et sensuelles, y avait emmené ses jeunes danseurs et était venu lui-même, en tant que directeur, pour dénicher des perles rares pour sa compagnie.

Sa rencontre avec Maillot ? « J’ai rencontré Jean-Christophe Maillot il y a 20 ans à Monte Carlo. Il m’a invité à enseigner à sa compagnie pendant deux semaines. Il était incroyablement chaleureux, gracieux, attentionné et ouvert. Il m’a invité chez lui à Nice où j’ai rencontré ses enfants. J’y ai mangé de la tapenade pour la première fois, avec un merveilleux plat de tomates et d’aubergines… »

Ses impressions ? « J’ai remarqué qu’il s’intéressait personnellement à chacun de ses danseurs, et s’investissait beaucoup dans leur développement artistique. Il y avait clairement un sentiment de famille dans la compagnie. »

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© Photo DR

Un souvenir de leur collaboration ? « Jean-Christophe est venu à Lyon pour voir Lines et après la représentation, il est venu en coulisses et m’a demandé si j’étais intéressé par travailler avec le Monaco Dance Forum pour l’hommage à Diaghilev et aux ballets russes. J’ai immédiatement accepté. Quand il m’a demandé ce que je voudrais faire, j’ai exprimé ma forte attirance pour la musique de Rimski-Korsakov et Shéhérazade. Jean-Christophe m’a dit qu’il comprenait car c’était également son choix ! Nous avons ri tous les deux. Ce qui était intéressant et incroyablement généreux et courageux de sa part, est qu’il a proposé : “Pourquoi ne pas faire chacun notre version ?” J’ai trouvé cela génial. Alors, nous avons fait des versions différentes de la même musique. Je ne connais pas beaucoup de directeurs artistiques qui oseraient un tel pari… »

Ses qualités ? « Christophe a un esprit brillant et un cœur ouvert. Quelle meilleure combinaison voulez vous ? »

 

Emio Greco : « Je l’ai confondu avec son danseur Gaëtan… »

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© Photo Angela Sterling

Dans le cadre du Monaco Dance Forum, Emio Greco a fait une création avec sa compagnie en 2010, intitulée Para Diso. Ce chorégraphe qui revisite et déconstruit la danse classique, a créé pour la compagnie monégasque Le Corps du Ballet (2011). Egalement danseur, il vient de porter à la scène L’Etranger de Camus, qu’il interprètera au théâtre de Nice en mai 2014.

La rencontre avec Maillot ? « Mon premier contact avec Jean-Christophe Maillot fut unidirectionnel. A la fin des années 80, en tant qu’étudiant à l’Ecole supérieure de danse de Cannes Rosella Hightower, j’ai vu, durant le festival annuel de danse, une performance du Ballet de Tours qu’il dirigeait alors. J’étais admiratif de son travail et cela a été une source d’inspiration et une référence pour trouver mon chemin comme danseur entre les différentes compagnies. Le second contact se déroula au téléphone en 2001. J’étais dans mon appartement à Amsterdam quand je répondis. Au bout du fil, quelqu’un des Ballets de Monte-Carlo me passa Jean-Christophe. S’en est suivie une heure d’une conversation ouverte, d’introspection et en même temps, offrant des opportunités. Je l’ai rencontré finalement physiquement à Monaco en 2002 durant les Nijinski Awards. Je l’ai confondu avec son danseur Gaëtan (ils ont la même coupe de cheveux, N.D.L.R.)… »

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© Photo Robertson

Le souvenir de leur collaboration ? « Durant cette collaboration, Jean-Christophe Maillot est devenu comme un grand frère qui, de façon intime, et parfois de manière très plaisamment indiscrète, alternait entre des conversations artistiques de fond et des histoires personnelles, agrémentées de commérages… Jean-Christophe Maillot s’implique sincèrement dans la relation. »

Son apport à la danse ? « Il a apporté un enthousiasme rafraichissant et vital dans le monde des ballets. Il ouvre ce monde à une nouvelle génération de chorégraphes contemporains, où ils peuvent explorer et confronter leur forme d’art, sous un angle différent. »

Ses qualités et défauts ? « Jean-Christophe Maillot ose être éclectique. Il sait satisfaire un certain public avec des contes de fées et le confronter à son travail chorégraphique contemporain. Je le vois comme un artiste bon vivant, un séducteur et un combattant solitaire. J’admire sa générosité et le fait qu’il est un idéaliste sans être un idéologue. Il a clairement une influence sur les autres. Je le trouve spontané et cultivé, sans arrogance. »