jeudi 25 avril 2024
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Les ballets en cellule

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Depuis septembre, les Ballets de Monte-Carlo ont créé une cellule pédagogique, en partenariat avec l’Education nationale. Avec pour objectif que les élèves, y compris de classes difficiles, mettent la main à la patte et s’immergent dans le processus de création.

Par Caroline Sellier.

C’était une idée pour laquelle Jean-Christophe Maillot, directeur artistique des Ballets de Monte-Carlo, s’est battu : mettre en place une « cellule éducative » avec l’Education nationale pour promouvoir l’art dans le milieu scolaire. Surtout chez les jeunes en difficulté. « On ne le sait pas mais il y a des classes difficiles à Monaco. Or ces gamins sont capables de faire des trucs remarquables. Deux personnes de la compagnie, Gaëtan Morlotti (danseur soliste et jeune chorégraphe, N.D.L.R.) et Dominique Dreyfus, effectuent un travail global, axé sur le corps et la littérature », résume Maillot. Depuis septembre 2012, une cellule réunit ainsi des professionnels pour guider plus de 300 élèves dans leur projet éducatif. Objectif : expérimenter le processus de création artistique, au travers d’ateliers pédagogique. « Nous avions déjà commencé l’année dernière à travailler sur un projet similaire autour d’une œuvre de Jean-Christophe Maillot avec des classes de collège, sur la base du volontariat. Les élèves intéressés proposaient des ateliers de création (reportages vidéos, réalisation de costumes, spectacles). Le coordinateur de cette section avait trouvé l’idée pertinente et remarqué des changements de comportements et a voulu aller plus loin », explique Dominique Dreyfus, chargée des actions pédagogiques aux Ballets.

Un spectacle en juin
« En matière d’éducation artistique, nous pensons qu’il faut que les gamins soient complètement immergés et qu’ils expérimentent, souligne Dominique Dreyfus. Si on envoie une classe voir un spectacle, il y aura deux ou trois élèves qui auront le coup de foudre, mais les autres resteront sur le carreau. Notre idée, c’est de travailler avec des groupes et des classes bien déterminés pour aller au fond des choses avec des projets artistiques en lien avec le programme scolaire ». Résultat, 150 élèves de primaire, 150 collégiens (dont 35 étudiants SEGPA) et une classe de lycéens de Monaco participent à ce projet. A travers l’œuvre Roméo et Juliette, ils travaillent l’expression scénique, théâtrale, corporelle, mais également littéraire. Avec les répercussions positives que cela implique pour le développement personnel des enfants. « C’est une façon de travailler pour s’accepter soi, accepter l’autre, et s’accepter soi dans un groupe », précise l’écrivain Patrick Goujon, auteur d’A l’arrache, ou encore de Sous silence, nouvelle qu’étudieront les lycéens. Avant de présenter au mois de juin un spectacle Work in progress, pour montrer le résultat final de leur travail.
Etudiants et professionnels ont dû se découvrir puis s’apprivoiser. Des moments d’une rare intensité, où les relations ne sont pas tout à fait les mêmes que celles d’élèves à professeurs. « On apprend à se connaître, à partager des choses, à vraiment travailler ensemble. Ce n’est jamais de l’ordre de l’acquis. Néanmoins, le feeling est passé dès le début », décrit dans un sourire le chorégraphe Gaëtan Morlotti. Dans ces rapports de proximité, presque de complicité, il a fallu instaurer les bases, et fixer quelques limites dans cet espace de liberté. « Si les élèves ont pris conscience qu’ils pouvaient avoir avec nous des comportements qu’ils ne pouvaient pas forcément se permettre avec leurs professeurs, il y a des règles à respecter. Nous sommes tout de même dans une dimension de discipline », ajoute-t-il.

Equilibre subtil
Et pour parvenir à cet équilibre délicat, ça n’est pas toujours simple. « Forcément, il y a quelques difficultés puisqu’on arrive avec des pratiques qui sortent un peu des sentiers battus. Il faut à la fois être en lien avec le pédagogique, le « scolaire », et travailler d’une façon qui n’est pas dans leurs habitudes », commente Patrick Goujon. Depuis la rentrée, un temps d’adaptation a donc été nécessaire pour faire comprendre les enjeux et les attentes d’un tel projet. Un véritable défi : « Il fallait absolument que les élèves comprennent l’intérêt des ateliers, ne soient pas uniquement dans une expectative de résultat et surtout, qu’ils retirent du plaisir de cette expérience », souligne l’écrivain. Pour les élèves, il s’agit en effet que la timidité, spectre de l’adolescence, se transforme et s’améliore en une véritable acceptation de soi, grâce à un mode d’expression différent. Les pratiques artistiques permettent en effet de développer de nouvelles aptitudes. Intelligence par la perception, sensibilité, écoute… Autant d’atouts qui contribuent à la valorisation des élèves, indispensable à leur épanouissement.

« Prendre la parole »
Car au-delà de la transmission du goût de l’art, les professionnels comptent aussi développer un regard critique sur la chose artistique chez ces adolescents. « Nous sommes dans une configuration où les enfants touchent au processus de création de A à Z, sans rester sur la touche, sans rester dans l’éphémère », indique Gaëtan Morlotti. Et Patrick Goujon de renchérir : « Concrètement, c’est un endroit où l’on peut prendre la parole, mais également se découvrir des capacités, une passion peut-être ». C’est aussi une façon de prendre de l’assurance, « de se donner des armes pour affronter la vie d’adolescents et de futurs adultes tout simplement ». Un projet pédagogique d’où les élèves ressortent quelque part grandis. « Lorsqu’on les voit avec les yeux qui pétillent, sourires aux lèvres, en train de se faire plaisir, on se dit qu’il y a déjà quelque chose de gagné », conclut le chorégraphe.