vendredi 19 avril 2024
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Jill Tiefenthaler : « La science est notre socle, et le “storytelling” notre super-pouvoir »

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Jill Tiefenthaler, première femme à endosser le rôle de directrice exécutive du média National Geographic Society, raconte à Monaco Hebdo sa vision et ses projets, entre promotion de la diversité et éveil des consciences vis-à-vis de la crise climatique. Rencontrée lors du 61ème Festival de télévision de Monte-Carlo elle répond à nos questions.

Vous êtes la première femme à prendre la tête de la National Geographic Society, depuis sa création à Washington D.C., le 27 janvier 1888, il y a 134 ans : qu’est-ce que cela vous inspire ?

Il était temps : 134 ans [rires] ! Mais c’est un honneur, car c’est une merveilleuse organisation, et je pense qu’il s’agit d’un signal positif, qui montre dans quelle direction doit aller notre société. Nous suivons des explorateurs, des scientifiques, et des photographes sur l’ensemble du globe, avec qui nous travaillons dur sur les questions de diversité et d’inclusion. Et, grâce à cela, je pense que nous publions de meilleures histoires, de meilleure qualité, qui renforcent notre organisation, au final.

Vous parlez de diversité et d’inclusion : comment cela se traduit chez National Geographic ?

L’entreprise National Geographic Society a une longue histoire. Et, pendant plus de cent ans, National Geographic a mis en avant des explorateurs hommes, et blancs. Les histoires que nous racontions n’étaient donc pas le fait de tout le monde, mais uniquement d’une sélection de certains profils. Aujourd’hui, nous prenons conscience de notre rôle dans la promotion de la diversité, et dans la mise en lumière de personnes inconnues en société. Ceux qui racontent les histoires, autant que ceux que l’on raconte, ont un rôle à part entière.

« Pour la première fois, l’an dernier, la moitié de nos explorateurs étaient des femmes. Et 60 % d’entre eux n’étaient pas Américains »

Vous travaillez également avec une communauté d’explorateurs indépendants ?

Exactement. Cette communauté est composée d’environ 6 000 personnes à travers le globe. Et nous avons soutenu environ 15 000 projets portés par cette communauté d’explorateurs réguliers, présents dans environ 150 pays. Pour en revenir à l’exigence de diversité, pour la première fois, l’an dernier, la moitié de nos explorateurs étaient des femmes. Et 60 % d’entre eux n’étaient pas Américains.

Vous mettez aussi en avant la science et l’éducation ?

En plus de raconter des histoires, nous promouvons en effet la science, et l’éducation. Nous avons l’un des plus importants réseaux de journalistes indépendants dans le monde, et nous les finançons directement, pour qu’ils réalisent leurs propres projets.

Comment cela se traduit ?

Pendant le Covid, nous avons, par exemple, consacré un fonds d’urgence pour couvrir des reportages liés à la pandémie dans les différentes communautés qui nous représentent [en Belgique, en Indonésie, en Jordanie, au Kenya, et aux États-Unis — NDLR]. Et c’est d’ailleurs ce que nous avons appris de cette pandémie : il y a beaucoup de talents à mettre en avant dans le monde entier. Un livre retraçant leur travail sortira d’ailleurs l’an prochain, en 2023, sur ces histoires couvertes pendant la pandémie. Nous avons donc des projets d’envergure, mais aussi une multitude de petits projets.

« National Geographic est une marque reconnue depuis des années, et je pense que nous avons une bonne plateforme médiatique pour nous faire entendre. L’un de nos objectifs majeurs, c’est de sauver 30 % des océans d’ici 2030. Et cela passera par l’éducation »

Quels projets, par exemple ?

Nous avons un projet avec le docteur Steve Boyes, un zoologiste d’Afrique du Sud, en coopération avec le gouvernement du Botswana, sur la préservation de la faune sauvage et la découverte de centaine de nouvelles espèces sur les cinq dernières années. Un autre projet, « Pristine Seas », a été lancé. Il s’agit de l’un de nos plus gros projets concernant la préservation des fonds marins, avec des expéditions dans le monde entier. Ces expéditions nous ont permis de délimiter 26 nouvelles zones de protection. Il y a aussi la série de podcasts Into the depths, de Tara Roberts, la première femme exploratrice noire à couvrir des histoires pour National Geographic, qui revient sur l’histoire du commerce d’esclaves.

Jill Tienfenthaler Festival de télévision
« Notre nouveau défi, c’est de développer notre partenariat avec les plateformes de Disney, qui nous connecte à une audience de 130 millions de personnes dans le monde, à travers la plateforme Disney+. » Jill Tiefenthaler. Directrice générale du National Geographic Society. © Photo Palais Princier

Il y a eu la crise liée à la pandémie de Covid-19, mais nous connaissons également une crise climatique : quelles sont les missions de National Geographic sur ce thème ?

Nous avons mené plusieurs initiatives consacrées à la crise climatique et à la perte de biodiversité. La science est notre socle, et le “storytelling” [techniques de narration — NDLR] notre super-pouvoir. Nous travaillons donc avec différentes organisations partenaires pour éduquer les gens. National Geographic est une marque reconnue depuis des années, et je pense que nous avons une bonne plateforme médiatique pour nous faire entendre. L’un de nos objectifs majeurs, c’est de sauver 30 % des océans d’ici 2030. Et cela passera par l’éducation.

Un exemple ?

L’un de nos plus gros programme éducatif, « Explorer classroom », permet à des enfants du monde entier de se connecter, et d’entrer en contact avec nos explorateurs, qui incluent une partie de leur travail et des informations sur le changement climatique, les océans, l’eau, ainsi que des stages virtuels.

Essayez-vous aussi de convaincre les réticents, qui ne veulent pas entendre parler de climat et d’environnement ?

C’est difficile, mais nous ne pouvons pas uniquement prêcher les convaincus. Nous devons trouver davantage de moyens pour faire l’écho de ces sujets. Et nous pouvons faire beaucoup de choses grâce au “storytelling”. Selon moi, un bon “storytelling” peut conduire à la préservation de l’environnement, car il incite à changer les comportements, et à faire des dons aux associations de défense de l’environnement. L’important, c’est de trouver des programmes qui connectent les gens. Quelqu’un qui ne veut pas entendre parler de climat pourra tomber amoureux d’une de ces histoires. Et il trouvera son propre moyen pour changer le cours des choses.

« Nous voulons devenir un acteur majeur, grossir le plus possible en récoltant des fonds, et grandir au côté des organisations environnementales également, afin d’impulser les changements nécessaires pour la préservation de la planète. Il faut bien choisir nos marques, nos talents, et nos explorateurs en ce sens, pour avoir un impact et contribuer au changement »

Endossez-vous un rôle politique avec National Geographic ?

Oui, je pense que le fait d’informer et de sensibiliser les gens à propos de faits concrets va avoir un impact positif sur l’environnement dans lequel ils vivent. Il ne s’agit pas de leur dire quoi voter, mais plutôt de les amener vers des éléments factuels. Chez National Geographic, nous essayons de rester apolitiques. Nous préférons nous consacrer aux actions publiques, comme récemment en Floride, pour éviter l’extinction de la panthère au nord des Everglades. Ce sont juste des faits, mais ils sont utilisés dans la prise de décision.

Quels défis avez-vous dû relever depuis votre prise de poste ?

La partie la plus complexe pour moi a débuté pendant la pandémie de Covid-19, car j’ai commencé en août 2020. Et diriger une telle entreprise pendant cette période n’était pas évident. Mais le plus difficile était surtout de trouver comment se connecter aux personnes, et conserver le lien social. L’autre défi, c’était la parité, et nous y sommes parvenus, puisque la moitié de nos effectifs est composée de femmes depuis janvier 2022. Enfin, notre nouveau défi, c’est de développer notre partenariat avec les plateformes de Disney, qui nous connecte à une audience de 130 millions de personnes dans le monde, à travers la plateforme Disney+.  

National Geographic
« Aujourd’hui, nous prenons conscience de notre rôle dans la promotion de la diversité, et dans la mise en lumière de personnes inconnues en société. Ceux qui racontent les histoires, autant que ceux que l’on raconte, ont un rôle à part entière. » Jill Tienfenthaler. Directrice générale du National Geographic Society.

En tant que cheffe d’entreprise, quelles sont vos méthodes pour diriger une entreprise comme le National Geographic ?

C’est toujours difficile de parler de son style de “leadership”, mais c’est une très bonne question [rires]. J’aime me référer au rôle du serviteur, être le membre d’une équipe plutôt que de me placer au-dessus d’elle. Quand j’ai commencé ma carrière à la direction de l’université du Colorado, j’ai passé des années à écouter et à me documenter. Et j’ai fait la même chose pendant des mois chez National Geographic, avec nos équipes. Je me demande constamment comment changer, et comment atteindre les meilleurs résultats possibles. Mais j’aime aussi prendre des décisions, car j’aime le changement et j’aime le provoquer pour mettre des choses en place. En résumé, je pense qu’il faut d’abord écouter, puis essayer. Et ne pas hésiter à faire un pas en arrière, pour changer de direction ensuite.

Quels sont vos objectifs avec National Geographic ?

Nous voulons devenir un acteur majeur, grossir le plus possible en récoltant des fonds, et grandir au côté des organisations environnementales également, afin d’impulser les changements nécessaires pour la préservation de la planète. Il faut bien choisir nos marques, nos talents, et nos explorateurs en ce sens, pour avoir un impact et contribuer au changement.

Quels sont les sujets essentiels sur lesquels se consacrer aujourd’hui ?

Il y a plusieurs choses, mais la représentativité est un point essentiel. Et nous avons besoin de modèles sur lesquels nous reposer pour l’inspirer.