vendredi 26 avril 2024
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Jean-François Borras,
retour aux origines

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Le ténor Jean-François Borras assurera quatre représentations de La Traviata de Verdi à la salle Garnier dans le rôle d’Alfredo Germont (1). Un moment très symbolique pour cet ancien salarié de la SBM qui a passé 32 années de sa vie à Monaco. Rencontre.

Con allegrezza… Et sans une once d’anxiété. A quelques jours d’endosser le costume d’Alfredo Germont dans La Traviata, un des plus populaires opéras de Verdi, Jean-François Borras se dit « serein. » Rodé à l’exercice, le ténor a déjà incarné plusieurs fois le fervent admirateur de Violetta. Sur des scènes allemande, autrichienne et italienne. Un rôle qu’il connaît donc sur le bout des doigts. « Même si vocalement, il reste assez exigeant, comme d’ailleurs tous les rôles de Verdi. » Durant quatre représentations, cet ancien aide-caissier au casino de la Société des bains de mer, dévoilera son timbre au public monégasque. Une voix qui résonne depuis presque 10 ans déjà dans les théâtres internationaux. « C’est la première fois que je jouerai un grand rôle à l’Opéra Garnier. C’est un moment symboliquement fort puisque la Principauté est un peu ma terre d’origine. J’y ai passé 32 ans de ma vie. »

Petit chanteur
Né le 20 mars 1975 à Grenoble, Borras est un quasi-enfant du pays. Il n’est âgé que de trois semaines lorsqu’il arrive à Monaco. Ses parents tenaient une librairie-papeterie-jouets au boulevard d’Italie. S’il n’a pas grandi dans une famille de musiciens, le jeune Borras attrape très vite le virus de la musique « en général. » L’opéra, sera une passion plus tardive. A l’âge de 7 ans, il intègre Les petits chanteurs de Monaco avec lesquels, pendant 15 ans, il enchaîne les tournées dans le monde entier. « Toute l’Europe, trois fois le Japon, quatre fois les Etats-Unis, le Mexique… », tout en menant sa scolarité à Monaco. Après un BEP, un bac/pro comptabilité et une année de BTS, Borras décroche en 1998 un poste d’aide-caissier à la SBM. « Un job surtout alimentaire », confie-t-il. Avec « des horaires à roulement », qui permettent au ténor en devenir, d’avoir du temps libre pour plancher sur ses partitions et parfaire sa voix. Une voix qu’il mêlera aussi à d’autres dans un groupe a cappella baptisé « Discorde vocale ». Un collectif qui réinterprète tout un répertoire de chansons, façon Pow Wow, le quartet français phare des années 90.

Cumul
Mais ce n’est qu’en 1998, en intégrant la classe de la professeur de chant Marie-Anne Losco, à l’académie de musique Rainier III que le déclic « lyrique » s’amorce. « J’ai travaillé à ses côtés des airs d’opéra. A ce moment-là, j’ai découvert que j’avais la capacité vocale d’interpréter ce registre. On est alors grisé, on a envie d’aller plus loin. » Son prof le pousse à dépasser le cocon monégasque et à affronter « l’extérieur. » Ce qu’il fait. Il enchaîne les concours, les auditions hors des frontières et cherche même un agent. En 2005, Borras commence à gagner ses galons dans le milieu. Lauréat de l’audition annuelle du Centre français de promotion lyrique (CFPL) — où se trouvaient plusieurs directeurs de théâtre qui commencent à le repérer — puis finaliste du 9ème concours international de chant de Marseille, le jeune chanteur commence à toucher son rêve du doigt. Pendant plusieurs mois, il cumulera travail à la SBM et représentations sur scène. « J’ai demandé un congé sans solde pour assurer des concerts. Le premier a été accepté, mais le second m’a été refusé. Ce qui m’a poussé à démissionner de la SBM fin 2006. Mais ce n’était pas une décision difficile à prendre car je n’étais pas très attaché à ce travail… »

« Jamais voulu abandonner »
Exit la SBM. Borras se plonge alors à temps plein dans le grand bain d’une carrière professionnelle. Avec une première année assez rude. « J’ai eu plusieurs mois de flottement, des petits contrats, des difficultés à payer mon loyer. Ce n’était pas évident de passer d’un salaire fixe qui tombe tous les mois à des cachets aléatoires. Il faut avoir suffisamment de ressources pour y croire. Mais je n’ai jamais voulu abandonner. » Surtout que dès septembre 2007, Borras multiplie les auditions en Allemagne et en Autriche et décroche de nombreux contrats. « Quand j’ai commencé en Allemagne, j’étais aux alentours de 50 représentations par an. Un rythme assez dense. » En 2008, Jean-François Borras interprète tour à tour Edgardo dans Lucia di Lammermoor (Donizetti) ou encore le Duc de Mantoue dans Rigoletto (Verdi). Mais l’un des rôles dans lequel il se sent le plus à l’aise est le chevalier des Grieux dans Manon de Massenet.
Son hygiène de vie ? « Pas de cigarettes et très peu d’alcool », confie celui qui parvient à chauffer sa voix de façon express « en 3 minutes » seulement. Ses opéras coups de cœur ? Rigoletto et La Traviata de Verdi, Roméo et Juliette et Faust de Gounod, ou encore La Bohème de Puccini. Ses références musicales ? Pavarotti bien sûr, et Roberto Alagna, avec lequel il a eu la chance de travailler deux fois. Notamment aux Chorégies d’Orange en 2009.

L’Italie en crise
Durant sa carrière, Borras a aussi pu mesurer à quel point la crise avait touché de plein fouet le monde lyrique. L’Italie en tête. « Dans la ligne droite de la Grèce », selon Borras. « Avant la crise, l’Italie était considérée comme le pays le plus en vogue. Avec énormément de représentations partout et avec un des niveaux de chant les plus élevés au monde ». Aujourd’hui, la réalité pour les chanteurs lyriques est plutôt à l’annulation de concerts, aux saisons bouclées trois ou quatre mois à l’avance, contre 3 ou 4 ans il y a quelques années. Des productions payant des chanteurs au rabais et des contrats signés pendant les répétitions… « Les chanteurs deviennent même les banques de certains théâtres. Les prestations leur sont parfois payées avec trois, six mois, voire un an de retard. » Conséquence : la concurrence entre chanteurs s’est forcément durcie.

Au Met de New York
Aujourd’hui, deux agents s’occupent de la carrière de Jean-François Borras. Même si son carnet de commandes en 2013 est, selon son propre aveu, un peu moins rempli que les années précédentes, le chanteur assurera quelques grosses représentations. A la mi-mars, il sera sur toutes les télévisions allemandes pour la journée de solidarité contre le sida. « Cinq ou six chanteurs interpréteront chacun deux airs. » Borras assurera également une représentation en avril de La Traviata à Antibes, organisée par l’Opéra de Monte-Carlo puis à Tel Aviv. En octobre 2013, il incarnera Cinna dans la Vestale (Gaspare Spontini) au théâtre des Champs Elysées. Puis en mars 2014, Borras assurera la doublure du chanteur allemand Jonas Kaufmann dans le rôle de Werther (Massenet) au célèbre Metropolitan de New York. Seuls revers de la médaille pour le chanteur, le côté « itinérant » du métier. « On est toujours dans un train ou dans un avion… » Et sa fille de 9 ans, scolarisée à Nice, qu’il voit forcément un peu moins que ce qu’il souhaiterait.

(1) Les représentations des 25, 27, 31 janvier et 2 février seront interprétées par Sonya Yoncheva et Jean-François Borras. Tandis que Désirée Rancatore et Antonio Gandía chanteront celles des 26, 30 janvier et 1, 3 février. La mise en scène est de Jean-Louis Grinda, le directeur de l’Opéra de Monte-Carlo.