samedi 20 avril 2024
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Vincent Vatrican :
« Le cinéma est là pour enregistrer et donner un état du monde »

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Le 26 septembre, le programme de la 16ème saison de Tout l’art du cinéma a été dévoilé. Vincent Vatrican, directeur de l’Institut audiovisuel de Monaco, donne les détails de cette édition 2019-2020 placée sous le thème “La Maison et le Monde”. Interview.

Avec Jacques Kermabon, votre programmateur associé, vous avez divulgué la programmation de cette 16ème édition : comment l’avez-vous construite ?

C’est un rituel annuel que de présenter à la presse, au public et aux confrères du monde de la culture la nouvelle programmation. C’est le fruit de l’imagination, de la conception et du développement qui a représenté 4 à 5 mois d’échanges. Mais il y a tout de même un travail conceptuel auparavant.

C’est-à-dire ?

D’abord, il y a le choix d’une thématique. Il faut se persuader que ce choix est pertinent. Ensuite, il faut trouver les films susceptibles d’illustrer cette thématique. On essaye d’être exigeants et pointus. En même temps, on souhaite proposer une programmation qui reste ouverte en termes de cinématographie. C’est-à-dire que se côtoie du cinéma africain, américain, russe, chinois, français, italien, etc. C’est un exercice qui a une valeur symbolique. À la fin, on a une liste de 40 titres sur les Mardis du cinéma. Après il y a un travail de recherche de copies qui peut prendre 3 mois. On met ça réellement en production entre juin et septembre.

Et après ?

C’est la fin de tout un processus de création. Et c’est le démarrage de la saison qui s’ouvre. Puisque le 8 octobre 2019 aura lieu la première projection pour cette saison 2019-2020. Donc c’est toujours une date que l’on essaye de sacraliser avec mon équipe. Car tout le monde a apporté sa pierre à l’édifice.

Quelles sont les coulisses de la programmation ?

La règle du jeu est assez simple. Jacques et moi, on se parle régulièrement au téléphone. Et on a eu l’idée de l’immigration. On a donc travaillé sur ce thème. On s’est dit qu’il y avait une résonance très actuelle. Mais ce n’est pas évident d’illustrer une telle thématique, car elle est très vite chargée de connotation politique, au sens noble du mot.

Du coup, comment avez-vous travaillé ?

On a essayé de l’imaginer différemment. Oui pour l’immigration, mais peut-être fallait-il aussi inclure les questions de métissage. Je pense au film La prisonnière du désert (1956) de John Ford (1895-1973). C’est l’histoire d’un cow-boy, interprété par John Wayne (1907-1979), au départ raciste. Et qui change d’optique. C’est intéressant de voir son parcours dans le film. Et la manière dont Ford filme John Wayne. Donc, dans la programmation, il y a les questions d’exil. C’est pour montrer l’actualité de ces questions par rapport à l’humanité. Le court-métrage de Charles Chaplin (1889-1977) que nous passerons avant La ruée vers l’or (1925), le 25 février 2020, s’appelle en français L’Émigrant (1917). Le titre original c’est The immigrant [L’immigrant — N.D.L.R.]. Cela ne veut pas dire la même chose. Évidemment, l’émigré ou l’immigré, ça dépend du point de vue et d’où l’on se place. C’est aussi ça qui est en gestation dans cette programmation.

Dans votre édito vous faites un rapprochement entre Youssef Chahine (1926-2008) et Charlie Chaplin : pourquoi un tel parallélisme ?

Le parallèle réside dans les deux films L’émigré (1994) de Chahine et La ruée vers l’or (1925) de Chaplin. Je trouve qu’ils se parlent sans se connaître et s’être fréquentés. C’est ça aussi la magie du cinéma. À des années de différence, il y a des films qui peuvent se répondre. Chahine, cinéaste égyptien qui a grandi dans l’amour du cinéma américain, a été un grand amateur de comédie musicale. Son histoire personnelle a été faite de mélange culturel. Et il a réalisé des films prônant l’ouverture aux autres et au monde. Parfois, ce sont des drames, des péplums, des films historiques, et des autobiographies. Mais au fond, c’est ça qu’il défend.

Que disent L’émigré (1994) et La ruée vers l’or (1925) ?

Différemment, Chaplin a utilisé les ressources du cinéma burlesque. En toile de fond, il y a aussi une histoire compliquée, personnelle et familiale. Il n’a cessé dans ses films de parler d’un positionnement d’un personnage inventé. C’est-à-dire le fameux vagabond, qui semble inadapté au monde l’entourant. Mais il fait face. Et dans La ruée vers l’or (1925), il y a la conquête improbable de trouver fortune en Alaska. Mais lors de la soirée du réveillon, le vagabond est seul dans sa petite cahute en bois. Là, c’est la fameuse scène de la danse des petits pains, qui est une séance rêvée. Et quand il se réveille, il y a ce plan bouleversant où il voit par la fenêtre le village en fête sans lui. Il y a un appel. Pourquoi je ne suis pas avec vous ? Donc, j’effectue un rapprochement entre L’émigré (1994) et La ruée vers l’or (1925). À mon sens, ils disent la même chose. Je souscris à cette vision du monde.

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« L’émigré (1 994) de Chahine et La ruée vers l’or (1925) de Chaplin […] se parlent sans se connaître et s’être fréquentés. C’est ça aussi la magie du cinéma »

La Maison et le Monde, sujet des Mardis du cinéma, c’est donc un thème engagé ?

Oui. Mais je n’essaie pas de stigmatiser, de dénoncer ou d’ajouter une dimension politique. Ce sont les cinéastes que je veux valoriser. Après, on peut être plus ou moins d’accord. Je ne cherche pas non plus à faire de l’angélisme. C’est ma conviction, le cinéma est là pour enregistrer et donner un état du monde. Ce qui explique notre sélection de films. Notre place dans le monde n’est pas évidente. Et elle n’est pas gagnée. On est toujours tiraillés. Le film Le Havre (2011) d’Aki Kaurismäki que l’on diffuse en clôture, le 9 juin 2020, traite de la question de l’immigration. Il y a un parti pris de mise en scène. Il y a une distance qui joue le burlesque des situations. Il y a une intrigue avec des personnages obtus et d’autres ouverts. Notre programmation partage le point de vue de Kaurismäki. Évidemment c’est un point de vue de citoyen, et de cinéaste. Il met en scène l’absurdité du monde d’aujourd’hui. On rit dans un contexte dramatique.

La 16ème édition, ce sont 30 films, dont 6 dédiés aux élèves scolarisés en principauté : avec quels objectifs ?

Ce sont 30 films sur 240 jours. Notre optique est de n’oublier aucun public. Or, les jeunes sont un public qu’il faut rendre captif. C’est la douzième année que ce dispositif est mis en place. Nous sommes heureux de présenter Jacques Tati (1907-1982), Nanni Moretti ou Arthur Penn (1922-2010) à des élèves de la principauté. C’est sur la base du volontariat que l’éducation nationale et les professeurs inscrivent les classes. C’est important de ramener les élèves au cinéma. C’est essentiel d’être dans une salle pour partager ensemble des émotions. Idéalement, on souhaiterait le développer d’avantage. C’est-à-dire après la projection faire une intervention dans un cadre scolaire. Il est important d’aborder la dimension cinématographique.

Un hommage sera rendu à Patrick Modiano, prix littéraire de Monaco en 1984, dans le label Un roman, un film ?

Depuis 2004, on collabore avec la fondation prince Pierre de Monaco (1895-1964). L’objectif est de montrer un film tiré d’une œuvre d’un romancier primé par la fondation. Le prix littéraire date de 1951. Nous avons déjà rendu des hommages à des lauréats comme Françoise Sagan (1935-2004), Hervé Bazin (1911-1996) et Joseph Kessel (1898-1979). Et nous avons choisi Patrick Modiano. En 2014, il a reçu le prix Nobel de littérature. C’est une sommité de la littérature. Nous avons donc sélectionné le moyen-métrage Charell (2006) de Mikhaël Hers. C’est une adaptation De si braves garçons (1982) de Modiano. C’est un film étonnant qui ressemble beaucoup à la littérature de Modiano, avec une écriture extrêmement riche. Il y a beaucoup d’intrigues qui se superposent. On est sur des atmosphères, des ambiances, et des personnages fantomatiques. Ça donne des rencontres et des moments forts.

Quoi d’autre ?

Il y a un deuxième moyen-métrage, qui s’appelle Montparnasse (2009) de Mikhaël Hers. C’est un film superbe. On a choisi de le présenter pour faire un programme complet.

Dans le label Ciné-concert, votre programmation a retenu le film Les Nibelungen (1924) de Fritz Lang (1890-1976) : pour quelles raisons ?

Les amateurs d’opéra et les mélomanes auront de la chance. Les deux parties projetées ont en effet été restaurées. Et ce n’est pas très fréquent, car elles viendront d’Allemagne. Je n’ai redécouvert sa version complète que cet été. C’est une splendeur. On est saisi par la dimension picturale du film. Les compositions de cadre sont de l’ordre de la peinture, voire du dessin. Fritz Lang avait fait des études de dessin et d’architecture. La légende des Nibelungen est une vieille légende germanique. Ça a valu beaucoup de critiques à Fritz Lang.

C’est-à-dire ?

Avant la montée du nazisme, il a été soupçonné de valoriser la nation germanique. Mais dans Les Nibelungen (1924), le propos est ailleurs. Le sujet tourne plus sur la vanité de toute guerre. C’est une vraie démonstration sur la nature humaine et sa folie. J’ajoute que l’opéra de Monte-Carlo est partenaire. Les projections seront accompagnées au piano par Jean-François Zygel. Il a une capacité d’improvisation qui est géniale. Et il adore les défis. Il sera au top pendant 4 heures et demie.

En quoi consiste le label Film restauré ?

Depuis quelques années, nous avons une politique de restauration d’œuvres. Pour cela, on repart des négatifs originaux et on tente de redonner une seconde vie au film. Ce sont des processus lourds et coûteux. Cette politique de restauration suit deux axes distincts et complémentaires. Il y a la restauration des documents, comme des fictions, des documentaires, ou des actualités, concernant Monaco. De plus, nous sommes membres de la Fédération internationale des archives du film (FIAF). Dans ce cadre, on essaie de collaborer à des grandes restaurations de cinéma.

Comme quoi, par exemple ?

Nous avons déjà participé avec Agnès Varda (1928-2019) à la restauration de La baie des Anges (1963) de Jacques Demy (1931-1990). Nous avons aussi collaboré à la restauration de la trilogie de Marcel Pagnol (1895-1974). On a soutenu trois restaurations de l’œuvre de Youssef Chahine. Actuellement, on s’associe à la restauration de l’œuvre de Jacques Rozier. Le 3 mars 2020, on projettera son film Maine océan (1985). Ce sera la première de cette version restaurée.

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« On a soutenu trois restaurations de l’œuvre de Youssef Chahine. Actuellement, on s’associe à la restauration de l’œuvre de Jacques Rozier. Le 3 mars 2020, on projettera son film Maine océan (1985) »

Cette année, Nous irons à Monte-Carlo (1951) de Jean Boyer (1901-1965) a été sélectionné dans le cadre de ce label : pour quelles raisons ?

C’est un film de cinéma sur Monaco absent de nos collections. Il appartient à TF1 Studio et nous avons collaboré à sa restauration. Nous sommes là encore partis des négatifs. Le film se passe à Monte-Carlo. Naturellement, c’est bien de faire l’avant-première ici le 12 novembre. C’est une belle comédie musicale. À noter que dans le film joue une jeune actrice débutante : Audrey Hepburn (1929-1993). Petit scoop, on essaiera le soir de projeter le “making of” de la restauration. C’est important de faire découvrir au public le gros travail accompli. Nous présenterons aussi des collections d’affiches de cinéma sur les films tournés à Monaco.

Dans le label Danse et cinéma, Le Bal (1983) d’Ettore Scola (1931-2016) a été choisi : c’est un clin d’œil à la satire de ce réalisateur italien ?

Nous collaborons avec les ballets de Monte-Carlo. On essaye d’avoir des choix éclectiques. L’an dernier, on avait programmé Swing Time (1936) de George Stevens (1904-1975), avec Fred Astaire (1899-1987). Avec Le Bal (1983), nous avons fait le choix d’une production récente franco-italienne. Le film est tiré d’un spectacle de la troupe du Campagnol. Le parti pris est de montrer l’évolution de la société française en chanson et en musique. Scola a réécrit le film avec les auteurs de la pièce. Et le film est magistral. Il évoque les transitions des années 30 à 80. Il y a une vingtaine d’acteurs qui sont dans tous les tableaux. Ils changent de personnalité et de costume. Chaque couple raconte une histoire. C’est un film sans parole, et dans un lieu unique. La performance est remarquable.

To be or not to be (1942) d’Ernst Lubitsch (1892-1947) a été retenu dans le label Théâtre et cinéma ?

C’est un nouveau label développé avec le théâtre princesse Grace (TPG). C’est aussi la première fois que l’on présente un film de Lubitsch. On essaie de montrer les accointances entre le théâtre et le cinéma. To be or not to be (1942), c’est l’histoire d’une troupe de théâtre à Varsovie. Sa pièce va être ensuite interdite par la Gestapo. La troupe se rabat sur la pièce Hamlet (1603) de William Shakespeare (1564-1616). Lubitsch propose une mise en scène subtile. Ce film est un vaudeville avec de l’espionnage à la sauce Lubitsch, éminemment burlesque. Les dialogues sont à double sens.

Cette année, la ciné-conférence de Monaco en Films aura pour thème Monaco et l’automobile : où en sont les préparatifs ?

Difficile de tout dévoiler maintenant. La conférence aura lieu le 28 mai 2020 au Grimaldi Forum. Notre travail de préparation a débuté. Nous souhaitons montrer la richesse des archives à Monaco. Avec Monaco et l’automobile, on souhaite décrire l’arrivée de l’automobile en principauté. Il y a aura des archives, des témoignages iconographiques, et des écrits. On parlera notamment du goudronnage à Monaco. C’est en 1902, que le docteur Ernest Guglielminetti (1862-1943) a effectué les premiers essais certifiés de goudronnage. Il mettra au point ce système, soutenu par le prince Albert Ier (1848-1922), devant le musée océanographique. Les essais réussis ont assuré la pérennité de la voiture à Monaco. C’est une épopée que l’on va essayer de raconter.

Tout l’art du cinéma 2019-2020 : la programmation

Mardi 8 oct. 2019, 20h. Théâtre des Variétés 

Charell et Montparnasse de Mikhaël Hers (2006 et 2009)

Mardi 22 oct. 2019, 20h. Théâtre des Variétés 

Voyage à Cythère de Théo Angelopoulos (1983)

Dim. 3 nov. 2019, 11h / 15h. Opéra Garnier

Les Nibelungen de Fritz Lang (1924)

Mardi 12 nov. 2019, 20h. Théâtre des Variétés 

Nous irons à Monte-Carlo de Jean Boyer (1951)

Mardi 26 nov. 2019, 20h. Théâtre des Variétés 

Stalker d’Andreï Tarkovski (1978)

Mardi 3 déc. 2019, 20h. Théâtre des Variétés 

Transit de Christian Petzold (2018) 

Dimanche 15 déc. 2019, 11h. Grimaldi Forum Monaco

Le bal d’Ettore Scola (1983)

Mardi 17 déc. 2019, 20h. Théâtre des Variétés 

La panthère rose de Blake Edwards (1962)

Mardi 7 janv. 2020, 20h. Théâtre des Variétés 

Notre pain quotidien de King Vidor (1934)

Mardi 21 janv. 2020, 20h. Théâtre des Variétés 

The world de Jia Zhangke (2004)

Mardi 4 fév. 2020, 20h. Théâtre Princesse Grace

To be or not to be d’Ernst Lubitsch (1942)

Mardi 11 fév. 2020, 20h. Théâtre des Variétés 

Réminiscences d’un voyage en Lituanie de Jonas Mekas (1972) 

Mardi 25 fév. 2020, 20h. Théâtre des Variétés 

La ruée vers l’or de Charles Chaplin (1925)

Mardi 3 mars 2020, 20h,. Théâtre des Variétés 

Maine océan de Jacques Rozier (1985)

Vendredi 13 mars 2020, 20h. Théâtre des Variétés 

Halfaouine, l’enfant des terrasses de Ferid Boughedir (1990) 

Mardi 24 mars 2020, 20h. Théâtre des Variétés 

Touki bouki de Djibril Diop Mambéty (1972)

Mardi 31 mars 2020, 20h. Théâtre des Variétés 

Sunstone de Filipa César et Louis Henderson (2018)

Mardi 7 avr. 2020, 20h. Cinéma de Beaulieu-sur-mer

La prisonnière du désert de John Ford (1956)

Mardi 14 avr. 2020, 20h. Théâtre des Variétés 

Les joueurs d’échecs de Satyajit Ray (1977)

Mardi 28 avr. 2020, 20h. Théâtre des Variétés 

Mafioso d’Alberto Lattuada (1962)

Mardi 12 mai 2020, 20h. Théâtre des Variétés 

Le carrosse d’or de Jean Renoir (1952)

Jeudi 25 mai 2020, 20h. Grimaldi Forum Monaco 

Ciné-conférence : Monaco et l’automobile

Vendredi 2 juin 2020, 20h. Théâtre des Variétés 

L’émigré de Youssef Chahine (1994)

Mardi 9 juin 2020, 20h. Théâtre des Variétés 

Le Havre d’Aki Kaurismäki (2011)

De novembre 2019 à mai 2020

École et cinéma

Mercredi 13 novembre 2019

Chang (1927), de Merian C.Cooper (1893-1973)et Ernest B. Schoedsack (1893-1979)

Mercredi 8 janvier 2020

Les Glaneurs et la glaneuse (2000),d’Agnès Varda (1928-2019)

Mardi 28 avril 2020

Miracle en Alabama (1962), d’Arthur Penn (1922-2010)

Mercredi 29 avril 2020

Paterson (2016), de Jim Jarmusch

Mardi 12 mai 2020

Les vacances de Monsieur Hulot (1953),de Jacques Tati (1907-1982)

Mardi 13 mai 2020

Journal intime (1 994), de Nanni Moretti