jeudi 18 avril 2024
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A cour et jardin,
le théâtre des Muses en suspens

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La directrice du théâtre des Muses, Anthéa Sogno, s’inquiète d’une reprise avec des mesures sanitaires trop strictes. Jauge trop petite, programmation limitée, protocole sanitaire lourd… Une reprise en l’état actuel des choses n’est peut-être pas envisageable.

«Pour le moment, c’est, spectateur masqué, et un mètre entre les spectateurs. Je travaille à essayer de faire une saison. En fonction de comment ça va évoluer, je verrai si on peut y aller ou pas. » Anthéa Sogno dirige le théâtre des Muses, petit théâtre monégasque privé, situé au 45, boulevard du Jardin Exotique. Initialement prévue en septembre, la réouverture des salles de spectacle, dont les théâtres, a été avancée au 12 juin 2020 Comme beaucoup d’acteurs du monde du théâtre, elle imagine difficilement une reprise en l’état, avec l’application stricte du protocole sanitaire. « Je ne vous cache pas que j’espère qu’elles vont évoluer pendant l’été [les mesures sanitaires — N.D.L.R.], parce que là, ce n’est juste pas possible qu’on ouvre. Le théâtre est beaucoup trop petit. S’il faut éliminer les deux premiers rangs, et après faire un rang sur deux, qu’il y ait un spectateur tous les 1 mètre 50, on va jouer pour 10 personnes. D’ordinaire, le théâtre peut accueillir une centaine de personnes, au maximum. « On est sorti d’une année extraordinaire. On avait fait 20 300 spectateurs. Ça nous fauche en plein élan. Je pense que la reprise sera longue, que les gens sont apeurés. Ce n’est jamais simple de faire venir des gens au théâtre. Ça va être encore plus compliqué », regrette la directrice.

Double contrainte

Surtout, cette reprise sera soumise à des contraintes doubles. Faire revenir le public, de manière limitée, et proposer des spectacles qui, eux aussi, respectent les mesures sanitaires. Un casse-tête, financier et artistique. « Financièrement parlant, c’est absolument impossible, à moins de ne faire que des spectacles seul en scène. Faire de l’humour, avec quelqu’un qui mettrait une visière… Vous voyez, c’est d’une tristesse… Bon, après, j’ai des idées. On pourrait peut-être donner des pièces de théâtre sans public, les filmer, et puis les donner à la chaîne, si les compagnies sont d’accord. Pour les cours de théâtre, je ne sais pas du tout comment on va pouvoir faire. » Même en essayant de penser une reprise dans les clous du protocole sanitaire, la limite créative est très vite atteinte. « Des acteurs sur scène ne peuvent pas se toucher, et s’il y a des accessoires qui doivent passer de main en main, ce n’est pas possible. Les loges sont toutes petites, donc comment on va faire ? On se croise, on se frôle, il y a des changements de costume rapides. Ou alors on ne fait que du « seul en scène », et on va jouer pour 30 personnes. Des “one man show”, on en voit un, deux, ou trois, et puis on s’aperçoit que le 4ème c’est le même. On a vite fait le tour », résume Anthéa Sogno. Au-delà de toutes ces contraintes, la venue du public, même avec toutes les mesures de précaution sanitaire, demeure une inconnue. « Il y a tellement de gens qui ont des névroses. Tout le monde a mis ses névroses dans le fait de respecter les gestes barrières. Peut-être que je me trompe, mais je trouve que ça prend des proportions incroyables. » Pour autant, on a pu observer un retour important dans les lieux de fête, de convivialité et de sport. Pourquoi pas au théâtre ?

Intermittents du spectacle : à Monaco, rien

Autre inconnue dans le monde du théâtre, mais pas que, les intermittents du spectacle. Le président français Emmanuel Macron, a annoncé une année blanche, début mai 2020 pour ces travailleurs de la culture, du sport, et de l’évènementiel. Ils devraient voir leurs droits à l’assurance-chômage prolongés jusqu’en août 2021. C’est en tout cas ce qui a été annoncé, en attendant la publication des textes d’application. Malgré les annonces, la situation est très difficile pour eux, puisque leur rémunération provient de leurs cachets. « On a des intermittents comme notre régisseur. Malheureusement pour lui, c’est la catastrophe puisqu’il n’y a pas de CTTR. » Seule une solidarité de la profession leur permet de garder la tête hors de l’eau. Mais cela n’existe pas à Monaco, où rien n’a été prévu, pour le moment. « En France, j’ai des amis qui, au festival d’Avignon de théâtre, vont payer à leurs intermittents du spectacle, une forme de CTTR, parce qu’ils s’étaient engagés. A Monaco, je n’ai trouvé personne qui a pu me dire que ça allait être possible pour mon régisseur. A Monaco, rien n’est prévu pour les intermittents », s’inquiète Anthéa Sogno. Puisque le régime des intermittents du spectacle travaillant à Monaco dépend de la France, les autorités monégasques ne s’en sont pas souciées. Autre nœud à résoudre également : le budget. Le théâtre des Muses risque d’être soumis, comme tous les lieux culturels de la principauté, à des réductions budgétaires. « On a une subvention de fonctionnement. On nous a demandé un budget rectificatif. Comme on ne savait pas quand on pourrait rouvrir, on n’a pas pu le fournir. Tout ça pour le moment est encore flou. » Comment se renouveler dans ce genre de moments ? Du théâtre hors-les-murs pour sauver le théâtre ? Une solution qu’aimerait mettre en place Anthéa Sogno : « Ce que j’aimerais, ce serait d’arriver à monter des projets. Mais pour ça, il faudrait que j’en aie l’autorisation. Pour faire des spectacles dehors, aux balcons, aux fenêtres. Être un peu comme des gens qui seraient des ambulanciers du théâtre. » Mais à Monaco, où l’espace public est particulièrement contraint et contrôlé, assister à des représentations théâtrales en extérieur relève peut-être du fantasme. Temps de crise ou non, ces scènes, où l’art est roi, sont des refuges qu’il faudra protéger. Et pas seulement du coronavirus.