jeudi 18 avril 2024
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Immersion australienne

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Pour l’été 2020, l’exposition proposée par le musée océanographique s’intéresse à la grande barrière de corail australienne. Considérée comme l’une des sept merveilles naturelles du monde, elle est aujourd’hui en grand danger.

On s’y croirait. La province du Queensland, en Australie, est désormais à voir, au premier étage du musée océanographique. Plus exactement, c’est la grande barrière de corail, au large de la côte du Queensland, au nord-est de l’Australie, que le musée dirigé par Robert Calcagno propose de voir de l’intérieur, depuis le 18 juillet 2020. Immersion, c’est le nom de cette exposition, a nécessité des années de travail et le déploiement de 40 vidéoprojecteurs dirigés vers des écrans de 9 mètres pour assurer une projection sur une surface de 650 m2. Rien que ça. En 30 minutes, un film diffusé en boucle montre ce qu’est le quotidien sur cette grande barrière de corail, à travers la vie d’une soixantaine d’espèces que l’on peut observer sur un cycle de jour et un cycle de nuit. Mais, comme l’indique le dossier de presse, « alors qu’ils ne couvrent que 0,2 % des océans, les récifs coralliens abritent 30 % de la biodiversité marine. Ces oasis de vie, essentiels à l’Homme à bien des égards, sont pourtant menacés à large échelle ». Pendant un peu plus d’un an, on pourra donc se plonger dans ce dispositif vidéo inventif, et même interagir, puisque les différentes espèces s’adaptent aux déplacements du public. Mais l’objectif de cette exposition, c’est bien sûr de pousser le grand public à s’interroger sur les enjeux environnementaux qui se jouent depuis des années en Australie. « Scénarisée par une équipe internationale de concepteurs, en étroite collaboration avec le musée océanographique et ses partenaires, ainsi que des plongeurs et des biologistes, l’expérience se veut à la fois divertissante et engageante, explique un communiqué de presse. [L’objectif est de] créer du lien entre l’Homme et un écosystème en danger, qui lui est généralement inaccessible ». Longue de plus de 2 300 kilomètres, et d’une superficie de 348 000 km2, la grande barrière de corail australienne est la « plus vaste construction d’origine animale de la planète. A l’origine de cet exploit, de petits animaux qui sont de grands ingénieurs : les coraux constructeurs de récifs. Ils sécrètent un squelette calcaire faisant d’eux les acteurs principaux des édifices sous-marins. Communément appelés « coraux durs » on en dénombre à ce jour 1 600 espèces, environ », détaillent Robert Calcagno, Denis Allemand et Bernard Fautrier dans leur livre Corail, un trésor à préserver (1).

© Photo Musee oceanographique Monaco

L’épisode le plus sérieux remonte à 2016, une période pendant laquelle 30 % des coraux ont disparu. L’année suivante, on estime à 20 % les coraux restants qui ont été perdus

Danger

Le plus grand récif corallien du monde est effectivement en grand danger. Et pour avoir une petite idée de l’état dans lequel se trouve cette grande barrière de corail, il suffit de se plonger dans les articles de presse rédigés sur ce sujet ces dernières années : La grande barrière de corail a perdu la moitié de ses coraux depuis 1985 (octobre 2012), La grande barrière de corail menacée par les intérêts de l’industrie (octobre 2013), la grande barrière de corail accueillera des déchets (février 2014), La grande barrière de corail à nouveau menacée par un projet minier (octobre 2015), En Australie, 93 % de la grande barrière de corail a blanchi (avril 2016), La grande barrière de corail ne se remettra pas du réchauffement des eaux (avril 2017), Hécatombe « catastrophique » dans la grande barrière de corail australienne (avril 2018)… Début avril 2020, une étude publiée par le Centre d’étude des récifs coralliens, de l’université James-Cook, en Australie, a dressé un état des lieux peu réjouissant de la situation : 25,1 % des récifs souffrent de blanchissement sévère à cause de températures élevées entre novembre 2019 et février 2020. Il s’agit déjà du troisième épisode grave de blanchissement en cinq ans. Cette étude a passé au crible 1 036 récifs et les résultats ne sont pas bons, puisque si 25,1 % des récifs ont été sévèrement touchés, 35 % ont aussi été touchés même si c’est plus modérément. La grande barrière de corail, qui s’étend le long de la côte nord-est de l’Australie, est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1981, mais cela ne change hélas rien à sa situation, devenue très préoccupante.

Conséquences

La hausse de la température des eaux de surface provoque le blanchissement des récifs coralliens et la disparition d’une partie des coraux. Or, la grande barrière de corail a déjà enregistré quatre séquences de très forts blanchissements en 1998, en 2002, en 2016 et en 2017. L’épisode le plus sérieux remonte à 2016, une période pendant laquelle 30 % des coraux ont disparu. L’année suivante, on estime à 20 % les coraux restants qui ont été perdus. Jugée moins grave que 2016, cette nouvelle séquence se distingue tout de même par un fait inquiétant : en février 2020, la température de l’eau relevée dans ce secteur est tout simplement la plus haute jamais constatée depuis que des chiffres existent dans cette zone, soit depuis 1 900. Et difficile d’être optimiste. En effet, les experts estiment qu’il faut une dizaine d’années pour permettre aux coraux de se rétablir. Mais le réchauffement climatique est tel que les blanchissements s’enchaînent désormais à un rythme qui ne permet plus à ce récif corallien de se « réparer ». Pour s’attaquer au réchauffement des océans, il faudrait réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Mais en Australie, à ce jour, le gouvernement conservateur de Scott Morrison n’a pas pris de mesures suffisantes. Et le poids économique de l’industrie minière l’emporte sur l’écologie. En attendant, les conséquences sont déjà connues. Les espèces les plus fragiles disparaissent, seules les plus solides parviennent à se sauver. Plus globalement, les experts estiment que l’effondrement de la biodiversité dans le monde pourrait mettre en grave difficulté plusieurs centaines de millions de personnes dont la pêche près de ces coraux, qui servent de refuge à environ un tiers des espèces animales et végétales marines, est l’activité principale.

1) Corail, un trésor à préserver de Robert Calcagno, Denis Allemand et Bernard Fautrier (Glénat), 144 pages, 19,95 euros.