mercredi 24 avril 2024
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Françoise Gamerdinger :
« Il faut enlever cette frilosité »

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Françoise Gamerdinger est devenue en juin 2019 le nouveau directeur des affaires culturelles. Elle succède à Jean-Charles Curau, dont elle a été l’adjointe durant près de 10 ans. Son rôle, ses missions, ses priorités, sa vision de la culture… Elle se confie à Monaco Hebdo. Interview.

Vous avez été nommée directeur des affaires culturelles en juin 2019 : qu’est-ce que cette nomination représente pour vous ?

Cette nomination représente pour moi l’opportunité de servir encore plus mon pays et surtout, de continuer l’œuvre qui a été accomplie jusqu’à présent, de pouvoir créer des synergies et d’avoir une vision pour l’avenir.

Quel est votre parcours ?

Pendant ma carrière professionnelle, j’ai été pendant 16 ans professeure de lettres. Je suis ensuite rentrée à la direction des affaires culturelles où j’ai gravi tous les échelons. J’étais directeur-adjoint depuis 10 ans. Depuis 2007, je suis également élue en mairie, troisième adjoint. Et jusqu’au mois de juin 2019, j’avais toute la délégation de la culture. J’ai abandonné cette mission pour prendre le poste de directeur des affaires culturelles, mais j’ai désormais d’autres délégations. Je m’occupe maintenant de tout le personnel de mairie et de l’état civil.

Pourquoi avoir échangé de délégations ?

J’ai échangé mes délégations pour qu’il n’y ait pas d’incompatibilité, étant donné que le directeur des affaires culturelles est dans la commission de la médiathèque, de l’école supérieure d’arts plastiques… On chapeaute ici toute la culture du territoire donc je ne pouvais pas garder les deux portefeuilles en même temps. En revanche, cela me donne une très grande connaissance de tout ce qui se fait d’un côté et de l’autre. On peut ainsi travailler en intelligence, créer des collaborations, des synergies… Ce n’est que du positif pour le public et pour les organisations d’évènements culturels.

Quelles sont vos missions en tant que directeur des affaires culturelles ?

Il y a tout d’abord une mission de tutelle auprès de toutes les grandes entités : l’opéra, les ballets, l’orchestre, le printemps des arts. On est aussi force de propositions sur les questions de politique culturelle. Nous avons tout un volet d’aide à la création et d’aide aux artistes. Enfin, nous sommes organisateurs d’évènements comme la Journée du patrimoine, le festival d’orgue, le Fort Antoine dans la ville, les concerts de musique baroque au mois de décembre… À notre siège, où douze personnes travaillent à mes côtés, on a un panel des différents métiers et chaque administrateur a entre les mains un budget, un évènement, une entité culturelle à gérer et à accompagner. En tout, à la direction des affaires culturelles, nous sommes 54.

Quel regard portez-vous sur l’offre culturelle en principauté ?

Je suis très satisfaite de l’offre proposée. Il faudrait juste faire quelques petits ajustements sur comment rendre le public plus curieux et l’accompagner pour qu’il vienne quand il ne connaît pas. Il faut enlever cette frilosité.

Comment allez-vous procéder pour « enlever cette frilosité » et attiser la curiosité du public ?

Il faut tout d’abord créer des synergies. Il faut absolument que le public commence à tirer le fil et qu’il voit que tout se tient. Quand on étudie un texte au lycée, la magie de certains enseignants fait qu’on ne s’arrête pas au texte. Au travers du texte, on étudie la société, l’histoire, les autres courants artistiques… Mon ancienne profession de pédagogue va me servir pour accompagner et conduire le public, comme je le fais déjà au théâtre princesse Grace (TPG). Je leur dis : « Vous êtes venu voir une comédie. Faites-moi confiance et revenez voir un texte plus classique ». C’est ce cheminement que j’aimerais leur faire prendre. Je ne souhaite pas offrir de la culture loisir. Mais je voudrais, en leur faisant croire qu’il s’agit de culture loisir, leur offrir de la culture réflexion.

Aujourd’hui, l’offre culturelle à Monaco est variée, le populaire se mêle au classique, et inversement : ce n’est pas difficile de faire cohabiter les deux en principauté ?

Il faut de la culture pour tous les âges et pour tous les goûts. C’est là que nous pouvons créer des ponts et faire découvrir autre chose. C’est en racontant l’histoire que l’on va pouvoir les intéresser. Ce qui est une contrainte pour tout ce qui est travaux publics, est pour nous une aubaine. Car le territoire étant ce qu’il est, on arrive à se rencontrer plus facilement. Et à Monaco, on est certes directeur des affaires culturelles, mais on est aussi sur le terrain. On est à côté du public pour chaque évènement culturel, on est organisateur, on va aussi bien avoir la problématique de la billetterie que de l’accueil, de la sécurité, du choix de la programmation… Vous voyez ainsi tous les niveaux d’organisation et vous avez affaire à tous les métiers, tout en étant directeur des affaires culturelles. Vous avez ainsi automatiquement une meilleure vision. Et quand vous avez une meilleure vision, vous organisez mieux.

Y a-t-il une cohérence entre tous les acteurs culturels à Monaco ?

Les relations sont bonnes et il y a une vraie cohérence entre tous les acteurs. Il y a une vraie synergie entre l’opéra, l’orchestre philharmonique, les ballets ou le printemps des arts, puisqu’ils se parlent. Et mon objectif n’est pas qu’ils se parlent, parce que cela est déjà acquis, ils travaillent ensemble.

Quel est votre objectif, alors ?

Mon objectif est de les faire réfléchir ensemble pour l’avenir et qu’ils voient ce qui est bon pour Monaco tous ensemble. Il faut avoir une vision culturelle pour les dix prochaines années par rapport à la principauté. Pas par rapport à l’entité qu’ils gèrent, mais par rapport à ce qu’ils pensent, eux, être bon pour Monaco, en tant que directeur d’une entité culturelle et en tant qu’artiste. Il est important qu’ils soient acteurs sur le moment, mais aussi visionnaires. C’est ainsi que je veux les accompagner et les rassembler.

Vous évoquez l’opéra, les ballets… Mais vous ne parlez pas de la Société des Bains de Mer (SBM), qui propose une offre culturelle différente : la SBM fait-elle aussi partie de cette synergie ?

Oui, tout à fait. J’ai d’ailleurs rendez-vous très prochainement avec un responsable de la SBM pour travailler ensemble. Il faut s’ouvrir. Et quand on aura tous travaillé sur cette vision, il va falloir s’ouvrir à l’international, faire venir, échanger… Car le territoire étant ce qu’il est, il faut ensuite créer des synergies à l’international. Nous avons aussi des personnes à la tête de ces entités qui ont des carnets d’adresse intéressants. Il faut que le public monégasque s’en rende compte.

Quels sont vos dossiers prioritaires ?

Le premier dossier prioritaire concerne le patrimoine. On nous a fourni les outils, à savoir l’institut du patrimoine, un conseil du patrimoine… Il faut maintenant les organiser et se mettre aux classifications d’inventaire, qui sont déjà faites en grande partie. Mais il reste à faire une organisation. Ensuite, une fois que l’on est organisé et que l’on a inventorié, repéré et restauré, on va penser à la mise en valeur. Mon deuxième dossier important concerne l’exposition, la salle d’exposition, les ateliers d’artistes. Et mon troisième dossier prioritaire concerne la culture et la jeunesse d’une manière transversale.

Quels sont vos engagements pour la jeunesse ?

Tout ce qui est fait par l’éducation nationale est superbe. Nous avons un socle. Ils sont sensibilisés, ils ont déjà une base de culture générale. Et, dans ce sens, l’éducation nationale a fait un travail magnifique et elle est en contact avec nous dans cette mission, que nous menons main dans la main. De ce fait, mon souhait et mon rôle, c’est que toute cette jeunesse devienne autonome par rapport à la culture et qu’elle aille ensuite d’elle-même voir des spectacles, qu’elle réfléchisse et fasse des choix. Je souhaite offrir à la jeunesse la possibilité de réfléchir et de se poser les bonnes questions, de répondre à leur questionnement… Il faut donc agir de manière transversale et que toute une action sociale soit faite à l’égard des jeunes. Il faut leur démontrer que la culture peut répondre aussi à des questions d’aide et fondamentales, comme les addictions, le mal-être de la jeunesse…

Que faire de plus pour l’accès à la culture en principauté ?

L’accès à la culture est déjà très favorisé en principauté. Les prix « jeunes » sont très intéressants. Et même à travers l’éducation nationale, ils peuvent avoir des prix encore plus intéressants pour accéder aux spectacles. La politique de tarification est déjà très avantageuse pour les jeunes.

Le Pass’sport culture a été étendu : vous êtes satisfaite ?

Le Pass’sport culture a en effet été étendu. Nous avons surtout agrandi la fourchette d’âges, de 11 à 25 ans. Nous attendons désormais de voir les résultats de fréquentation. Nous n’avons pas proposé les mêmes activités aux 11 ans et aux 25 ans. Mais il n’y aura pas que le Pass’sport culture, parce que si on associe toutes les tranches d’âge, en même temps, c’est compliqué. Il faut cibler. Le calendrier du Pass’sport culture a aussi été étendu, il est maintenant aussi proposé pendant les vacances de la Toussaint. Il demande une très grosse organisation à l’éducation nationale, mais il fonctionne très bien. C’est une belle offre mais il faut aller au-delà.

Le budget alloué à la culture est-il satisfaisant ?

Je ne peux que me réjouir du budget alloué à la culture en principauté, puisqu’il représente 6 % du budget de l’État. C’est tout de même une mise à disposition financière intéressante pour toutes les entités culturelles, les associations, les équipements et également les salaires de toutes les personnes qui travaillent pour la culture. Il est vrai que lorsque nous sommes dans la création, quand on engage des artistes, on a toujours envie d’avoir plus. Mais nous avons un gouvernement princier et une famille souveraine qui sont très à l’écoute des artistes et des besoins culturels. Donc nous n’avons plus qu’à nous retrousser les manches et à travailler.

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« Je ne peux que me réjouir du budget alloué à la culture en principauté, puisqu’il représente 6 % du budget de l’État »

Début octobre 2019, lors de son intervention pendant les séances publiques du Conseil national, Daniel Boeri a déclaré « espérer des investissements culturels nouveaux » et évoqué notamment le Fort Masséna ou encore la Nuit Blanche : qu’en pensez-vous ?

Quand il y a une volonté de développement culturel, j’en suis satisfaite. J’espère que le Conseil national accompagnera toutes les initiatives du gouvernement, car ce sont des initiatives du gouvernement, je tiens à le rappeler. Si j’ai le soutien du Conseil national, ce sera parfait. Il y a les souhaits du Conseil national que je prends en considération, mais il y a aussi notre expertise et notre mise en œuvre. Et la mise en œuvre concerne le gouvernement. L’expertise démontre qu’il faut bien étudier les choses pour qu’elles aboutissent.

Pouvez-vous en dire plus sur le Fort Masséna ?

Concernant le Fort Masséna, on est à la phase d’étude de faisabilité. Pour l’instant, nous n’avons pas encore eu de retour, donc je ne peux pas en dire plus. On a évoqué la possibilité du Fort Masséna mais il n’y a pas encore de réponse en ce qui concerne la faisabilité d’investir les lieux. Il y a aussi une histoire de territorialité française, donc le dossier est très compliqué. Plusieurs paramètres interviennent : logistiques en termes de bâtiments et juridiques en termes de territorialité. Tant que je n’ai pas en mains les deux études, il ne faut pas faire trop de projets. Je suis quelqu’un de très pragmatique, qui œuvre sur ce qui est possible à l’instant T. Je ne m’interdis pas de réfléchir, des études sont réalisées, mais je ne peux pas, à l’heure actuelle, m’avancer sur ce sujet.

Et la Nuit Blanche ?

La Nuit Blanche est un projet louable. Mais pourquoi ne créons-nous pas nous-mêmes un évènement ? Pourquoi faut-il copier sur les autres ? Monaco peut avoir la capacité, l’intelligence, les moyens de faire un évènement à sa mesure. La principauté l’a d’ailleurs déjà prouvé avec sa F(ê)aites de la danse. Je ne suis pas contre la Nuit Blanche. Mais le terme « Nuit blanche » me gêne. C’est un concept qui est presque galvaudé pour moi. Soyons créatifs. S’il y a une Nuit Blanche en projet, ma direction fera bien sûr en sorte qu’elle réussisse le mieux possible. Mais cela demande du temps. Il faut que l’on trouve un format qui corresponde aux attentes du public afin que l’on ait la satisfaction du public après et une visibilité. Je demande juste qu’il y ait des résultats, pour qu’on ne travaille pas pour rien et qu’il y ait une visibilité à l’international de la principauté. Pour moi, Monaco doit être originale, surtout en matière culturelle.

De nouveaux évènements pourraient-ils voir le jour prochainement ?

Des évènements pourraient effectivement voir le jour dans les années à venir. Je mets actuellement en place l’équipe, avec ma patte. On va ensuite se lancer dans les projets auxquels j’ai déjà réfléchi, mais je ne peux pas encore les dévoiler.

Quel regard portez-vous sur la politique culturelle aujourd’hui à Monaco ?

Pour moi, la politique culturelle doit toujours être en mouvement. Sa définition actuelle est satisfaisante, mais il ne faut pas dormir sur ses lauriers. Il faut sans cesse réfléchir et avoir une vision, car c’est à travers la politique culturelle que l’on voit la richesse d’un pays, son intelligence, son ouverture. C’est donc à travers la politique culturelle que j’aimerais à tout jamais barrer le mot « attractivité ». Que politique culturelle remplace avantageusement attractivité.

Vous étiez également jusqu’à présent expert culturel représentant la principauté auprès du Conseil de l’Europe : quels étaient votre rôle et vos missions ?

Chaque année, je me rendais deux à trois fois à Strasbourg, au Conseil de l’Europe. Je faisais partie du comité directeur de la culture et du patrimoine. Notre rôle était de voir et d’échanger sur toutes les politiques culturelles, qui s’élaboraient dans tous les pays d’Europe. Et en tant que coordinateur des Journées du patrimoine à Monaco, on m’avait demandé de rédiger un rapport sur la perception des Journées du patrimoine à tous les niveaux, c’est-à-dire depuis la décision du thème jusqu’à l’organisation avec les sites qui accueillaient la journée, en passant par les équipes sur le terrain et la réaction du public. Par le positionnement de Monaco, j’ai été capable de leur faire un rapport à tous les niveaux. Souvent, Monaco est appelée à témoigner sur des réactions au cœur-même de l’objectif, c’est-à-dire le public.

Concernant les Journées du patrimoine en principauté, quel bilan dressez-vous de cette édition 2019 ?

Si on regarde en termes de chiffres, la fréquentation a un peu baissé. Mais par rapport à l’offre, tous les sites institutionnels ne changent pas donc le public, qui est fidèle, ne retourne plus visiter le ministère d’État, la mairie… En revanche, tous les nouveaux sites liés à la thématique ont connu un très beau succès. Le chiffre découle du succès et de la fidélité du public, qui nous suit maintenant sur les nouveautés proposées. Et nous avons été en mesure de suivre la thématique qui était proposée par le Conseil de l’Europe. Le thème cette année était celui des arts de la scène donc à Monaco, on avait une belle offre à proposer.

En tant que directeur des affaires culturelles, quelle visite conseilleriez-vous actuellement aux Monégasques et aux visiteurs de la principauté ?

Je conseillerais une visite à la Villa Paloma pour voir l’exposition d’Ettore Spalletti (1940-2019). Une exposition merveilleuse pour plusieurs raisons, notamment par la créativité de cet homme qui était un grand artiste. Ettore Spalletti est malheureusement décédé le 11 octobre dernier. On découvre au cours de cette exposition sa créativité, sa sensibilité… J’ai envie de dire aux Monégasques de se tourner vers la créativité, vers les artistes pour voir la qualité de vie à Monaco et pas seulement sur les chantiers. Il y a aussi ce qui se fait dans les musées, et cela est très important. Allez donc découvrir ce magnifique artiste qui nous quitté, et dites-vous que vous êtes au cœur de la création et que tout ce qui nous entoure va rester. On le remercie, mais c’était la dernière fois qu’il avait mis sa touche de commissaire d’exposition. Il faut absolument voir cette exposition à la Villa Paloma.

Vidéo : 1 Question 1 Minute avec Françoise Gamerdinger

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