jeudi 28 mars 2024
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Måns Mårlind : « Les plateformes de streaming ont tué le cinéma »

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Après The Bridge (2011-2018) et Jour Polaire (2016), le réalisateur suédois Måns Mårlind revient avec une nouvelle série, Shadowplay (2020), diffusée sur Canal+. Celui qui était président du jury « fiction » lors du dernier festival de télévision de Monte-Carlo s’est confié à Monaco Hebdo.

Quelle part de réalité faut-il pour faire d’une fiction un succès ?

Ça dépend de votre personnalité. Moi, je peux voir beaucoup de séries, parce que j’ai le sentiment qu’elles sont bien fausses, comme une sitcom par exemple. On sait que c’est faux. C’est comme regarder du théâtre. Moi, je viens de la réalisation et je suis dans le réalisme. Même si c’est, par exemple, un vaisseau spatial, on doit avoir le sentiment que c’est vrai. Je suis très minutieux à ce sujet. Donc, j’ai un gros problème avec le “voice-over” [la voix off — NDLR], parce qu’il faut que la voix soit parfaite pour que ça « matche » bien. Et si quelqu’un d’autre met une voix sur vous, ça détruit tout. Le réalisme est donc important pour moi. Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Il n’y a pas de limite dans la manière d’être réaliste. Plus ça a l’air réel, et mieux c’est, en fait.

Qu’est-ce qui a changé pour vous avec la pandémie ?

La pandémie a été horrible, parce que je devais ouvrir le festival de télévision de Monte-Carlo avec Shadowplay en 2020. J’ai fait quelques publicités, mais je n’ai pas tourné pendant longtemps. En revanche, j’ai beaucoup écrit. J’ai écrit six projets, pas jusqu’au bout, mais pour certains la moitié. Je vais beaucoup tourner l’année prochaine. Je suis très enthousiaste.

« Le film sera destiné à une élite culturelle. Dans dix ans, nous irons au cinéma comme nous allons au théâtre ou à l’opéra »

La pandémie va-t-elle influencer la production ?

Je ne pense pas. Car j’ai été très intéressé par la manière dont la grippe espagnole a affecté l’art, la littérature, la peinture… et je n’ai rien trouvé. Les personnes veulent juste tourner la page le plus vite possible. Je ne pense pas que nous aurons encore des masques dans deux ans. Nous avons une capacité à oublier, et à aller de l’avant. C’est à la fois l’une des pires et des meilleures qualités. Nous pouvons oublier des choses, dont nous devrions nous rappeler davantage pour que ça ne se répète pas. Mais je ne pense pas que la pandémie va nous affecter plus que ça. Il y a eu des séries télé sur la pandémie, mais personne ne veut les voir. Le fait d’être confiné et frustré, on ne veut plus voir ça. Les rêves sont plus importants. Notre souhait, et mon souhait, c’est d’emporter les gens ailleurs.

Les plateformes de streaming représentent-elles une menace pour le cinéma ?

Elles ont déjà tué le cinéma. Le film sera bientôt similaire à un théâtre ou un opéra. Moi, j’adore le cinéma, mais vous avez aujourd’hui de très grands téléviseurs avec des systèmes de son fantastiques. Et la seule raison pour laquelle vous allez au cinéma, c’est pour voir Fast and Furious (2001) ou Marvel. Nous allons avoir de moins en moins de cinémas, mais ils seront de plus en plus grandiloquents. Il va y avoir une fenêtre marketing. À chaque fois qu’une nouvelle série Marvel sortira, ils feront un film. Avant, la télé c’était marketing. Mais maintenant, la situation s’est complètement inversée. Et malheureusement, le film sera destiné à une élite culturelle. Dans dix ans, nous irons au cinéma comme nous allons au théâtre ou à l’opéra. Ça semble un peu négatif comme vision, mais c’est ce qui va se produire. Je le vois avec mes enfants de 16 et 19 ans. Quand je leur propose d’aller au cinéma, ils ne veulent pas, parce qu’ils disent que ça les ennuie. Alors que moi, quand j’étais enfant, aller au cinéma c’était la meilleure chose au monde. Ça en dit long sur la question.

« Je le vois avec mes enfants de 16 et 19 ans. Quand je leur propose d’aller au cinéma, ils ne veulent pas, parce qu’ils disent que ça les ennuie. Alors que moi, quand j’étais enfant, aller au cinéma c’était la meilleure chose au monde. Ça en dit long sur la question. » Måns Mårlind. Réalisateur. © Photo DR

« Il y a eu des séries TV sur la pandémie mais personne ne veut les voir. Le fait d’être confiné et frustré, on ne veut plus voir ça. Les rêves sont plus importants »

Quel type de séries regardez-vous ?

Je regarde tout. Je suis complètement éclectique. Je regarde des séries de merde (sic) comme American Horror Story (2011), et ça me va très bien. Mais j’aime aussi voir des choses plus élevées. Mais ce qui me manque vraiment, c’est la “arthouse TV” [télévision d’art et d’essai – NDLR], avec des histoires plus lourdes. C’est quelque chose qui manque sur cet éventail de productions télévisuelles. En fait, nous avons tous les genres à la télévision, mais nous n’avons pas des drames très lourds, comme Tarkovski (1932-1986) ou Bergman (1918-2007). On n’en voit pas à la télé. On voit des bons drames, des bons thrillers, mais pas d’art expérimental. Je viens juste de le réaliser.

Quels sont vos projets ?

J’ai un projet qui est très violent et sexy sur une jeune fille au XVIIIème siècle. Mais je ne veux pas en dire plus. J’ai une autre histoire fantastique, qui se passe en Afrique dans les années 1930. Enfin, j’ai écrit une histoire inspirée par Les Hauts de Hurlevent (1847). C’est une histoire avec différentes chronologies et différentes dimensions. Je l’aime beaucoup. J’ai encore d’autres projets, mais ça suffit, je n’en dis pas plus (rires).