jeudi 18 avril 2024
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Festival de Cannes 2023 – N. T. Binh : « Anatomie d’une chute était le meilleur film français de la compétition »

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Après 11 jours de compétition, le jury du 76ème festival de Cannes présidé par le réalisateur suédois Ruben Östlund a remis la Palme d’or à Justine Triet pour Anatomie d’une chute. N. T. Binh, écrivain de cinéma et critique de cinéma chez Positif sous le nom de Yann Tobin, évoque ce palmarès pour Monaco Hebdo. Interview.

A l’annonce du palmarès de ce 76ème festival de Cannes, certains ont estimé que cette édition était marquée par le manque d’œuvres suffisamment marquantes, avec une vraie prise de risque : qu’en pensez-vous ?

C’est un bon palmarès. Il est un peu à l’image de toute la compétition cette année. Il y a beaucoup de bons films, voire de très bons films. Les vétérans, ou les grands noms, que l’on attendait n’ont pas déçu. Mais il n’y en a pas un seul qui s’est surpassé. Parfois, ils déçoivent. Là, ils étaient tous en forme. Cependant, aucun n’a livré le chef d’œuvre de sa vie.

N.T Binh
N. T. Binh. Ecrivain de cinéma et critique de cinéma chez Positif sous le nom de Yann Tobin © Photo Nicolas Guérin

Quels sont les moments qui vous ont le plus marqué ?

Ce sont les meilleurs films qui m’ont le plus marqué. Par exemple, le réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan, n’a jamais raté un film. Avec Les Herbes Sèches, il a réalisé un grand film, même si ce n’est pas forcément le meilleur de toute sa carrière. Il y a aussi ceux qui sont revenus en forme, alors qu’ils étaient dans une éclipse relative depuis un certain temps. Je pense, par exemple, à Wim Wenders. Il a présenté un film hors compétition assez formidable, le documentaire Anselm, le bruit du temps, sur le peintre allemand Anselm Kiefer. En plus, il nous a gratifié d’un long-métrage de fiction réussi, Perfect Days, qu’il a tourné au Japon.

Les Herbes Sèches de Nuri Bilge Ceylan
« Personnellement, pour la Palme d’or, j’aurais préféré Les Herbes Sèches de Nuri Bilge Ceylan. » N. T. Binh. Ecrivain de cinéma et critique de cinéma chez Positif sous le nom de Yann Tobin. © Photo Nuri Bilge Ceylan

« Un thème m’a paru assez transversal, y compris dans les autres sections du festival de Cannes : c’est le thème de la différence, voire de la monstruosité, qu’elle soit morale ou physique. Le film de Hirokazu Kore-Eda s’appelle d’ailleurs Monster.  Mais beaucoup d’autres films parlaient de la notion de normalité, et de la façon dont la société regarde cette normalité »

Quoi d’autre ?

Il y a aussi eu les films les plus surprenants, ou les plus audacieux, de cette 76ème édition. Les Filles d’Olfa, de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania, aurait pu être distingué. Il a obtenu le prix de la Citoyenneté, ce qui est déjà bien. Mais je ne vois pas en quoi le jury présidé par Ruben Östlund aurait pu se distinguer d’une manière audacieuse, en dehors du palmarès qui a été présenté. Certains très bons films n’ont rien eu. Ces films n’étaient pas forcément des prises de risque. Par exemple, avec The Old Oak, Ken Loach a signé un film réussi. Mais il a déjà eu deux fois la Palme d’or à Cannes. Et puis, ce n’était pas non plus son chef-d’œuvre.

Prix de la mise en scène : Tran Anh Hung pour La Passion de Dodin Bouffant © Photo Carole Bethuel/Curiosa Films/Gaumont/France 2 Cinéma

D’une façon générale, que pensez-vous du palmarès ?

Ce palmarès est cohérent. Il est un tout petit peu « saupoudré », mais cela est presque attendu, dans la mesure où il y avait beaucoup de très bons films, et que selon les membres du jury, on veut un peu faire plaisir à chacun. Chaque membre du jury a pu récompenser son coup de cœur, ce qui est plutôt bien.

Cette année, sur les 21 films présentés en compétition, les thèmes étaient très sociétaux ?

Globalement, on retrouve très souvent ces thèmes sociétaux. Un thème m’a paru assez transversal, y compris dans les autres sections du festival de Cannes : c’est le thème de la différence, voire de la monstruosité, qu’elle soit morale ou physique. Le film de Hirokazu Kore-Eda s’appelle d’ailleurs Monster. Mais beaucoup d’autres films parlaient de la notion de normalité, et de la façon dont la société regarde cette normalité. On a vu cela aussi bien dans les 21 films en compétition officielle, que dans les films des sections parallèles.

Monster
Prix du scénario : Sakamoto Yuji pour Monster d’Hirokazu Kore-eda. © Photo DR

Il y a aussi eu beaucoup de films de procès ?

Oui. En plus d’Anatomie d’une chute, il y a eu plusieurs autres films de procès. Notamment Le Procès Goldman de Cédric Kahn à la Quinzaine des cinéastes. Ou encore, l’héroïne de L’été Dernier de Catherine Breillat, qui est une avocate.

« Wim Wenders a présenté un film hors compétition assez formidable, le documentaire Anselm, le bruit du temps, sur le peintre allemand Anselm Kiefer. En plus, il nous a gratifié d’un long-métrage de fiction réussi, Perfect Days, qu’il a tourné au Japon »

Vous avez constaté d’autres tendances ?

Dans ce festival, j’ai remarqué l’importance donnée à la musique et au chant dans énormément de films. Comme si l’imaginaire, qui peine parfois à se trouver un chemin dans les images du réel ou dans les images inspirées du réel, pouvait se transmettre par la voix de la bande originale. Même dans les films les plus sombres, on a vu des gens chanter. Dans L’amour et les forêts, un film réalisé par Valérie Donzelli qui est déjà en salles, de but en blanc, comme dans une comédie musicale, les deux personnages se mettent à chanter. Nanni Moretti, qui a déjà utilisé ce procédé précédemment, le fait d’une manière assez brillante, encore une fois, dans son film Vers un avenir radieux. L’avenir radieux, une façon d’espérer, la solidarité… On retrouve ça dans le film de Aki Kaurismäki, et dans plein d’autres films cette année, qui s’expriment beaucoup à travers la chanson ou l’interprétation musicale. C’est quelque chose de pas si fréquent que ça, que l’on a beaucoup constaté cette année.

  • Les Feuilles Mortes Aki Kaurismäki
  • Les Feuilles Mortes Aki Kaurismäki
  • Les Feuilles Mortes Aki Kaurismäki
  • Les Feuilles Mortes Aki Kaurismäki

Qu’est-ce qui vous a frappé, sur l’ensemble des films que vous avez vus cette année ?

Ce qui était assez frappant, d’une section de ce festival à l’autre, c’était le mélange entre documentaire et fiction, avec une forte présence du documentaire. Mais du réel-documentaire questionné par la fiction. Il y avait Les Filles d’Olfa, mais il y avait aussi d’autres films, notamment Marion Cotillard dans Little Girl Blue de Mona Ayache, un long-métrage hors compétition. Wang Bing, le grand documentariste chinois, était présent avec deux films : un en compétition, Jeunesse (Le Printemps), et un autre hors compétition, Man in Black. Depuis un certain temps, on note une présence de ces films documentaires dans les festivals du monde entier. Le dernier Lion d’or à Venise et le dernier Ours d’or à Berlin étaient des documentaires. Il semble que la réalité transfigurée par l’imaginaire des cinéastes soit présente, globalement. Y compris dans un film de fiction, comme Banel e Adama, où la vie quotidienne en Afrique est revue par la subjectivité, au lisière du fantastique, de la réalisatrice Ramata-Toulaye Sy.

La Palme d’Or décernée à Anatomie d’une chute de Justine Triet est-elle méritée ?

J’ai beaucoup aimé Anatomie d’une chute. Justine Triet ne m’a pas spécialement convaincu dans ses films précédents, même s’ils avaient néanmoins des qualités. Mais il y avait une certaine pose qui m’agaçait un peu. Anatomie d’une chute en est totalement dépourvu. Il y a une tension dramatique forte, une excellence dans la distribution, et dans la direction d’acteurs. Sans oublier un récit vraiment original. On a là à la fois un sujet, une écriture, et une mise en scène tout à fait à la hauteur. C’était le meilleur film français de la compétition.

Anatomie d’une chute aurait été votre Palme d’or ?

Personnellement, pour la Palme d’or, j’aurais préféré Les Herbes Sèches de Nuri Bilge Ceylan ou Les Feuilles Mortes de Aki Kaurismäki, ou bien L’Enlèvement de Marco Bellocchio, qui est un très grand cinéaste.

« C’est un bon palmarès. Il est un peu à l’image de toute la compétition cette année. Il y a beaucoup de bons films, voire de très bons films. Les vétérans, ou les grands noms, que l’on attendait n’ont pas déçu. Mais il n’y en a pas un seul qui s’est surpassé »

Lors du festival de Cannes 2019, Marco Bellocchio avait présenté Le Traître, un film très bien accueilli par la critique, mais qui ne lui a pas, non plus, permis de décrocher sa première Palme d’or ?

Marco Bellocchio a remporté des prix à Cannes, mais il n’a jamais eu la Palme d’or. Pour Aki Kaurismäki, c’est pareil.

Lire aussi l’interview Festival de Cannes 2019 – Christine Masson : « C’était complètement fou »

En 76 éditions, Justine Triet est seulement la troisième femme à recevoir une Palme d’or, après Jane Campion, avec La leçon de piano (1993), et Julia Ducournau, avec Titane (2021) ?

Aujourd’hui, c’est une préoccupation générale dans la profession que de distinguer des femmes, même si on est encore loin de la parité. C’est historique que l’on trouve autant de femmes en compétition à Cannes, même si on peut imaginer que ce n’est pas assez. Cette année, sur quatre films français, trois étaient réalisés par des femmes. Evidemment, plus les femmes sont présentes en compétition, et plus elles ont des chances de remporter des prix, si leurs films sont bons. Cette préoccupation est forte dans le cinéma français.

Lire aussi l’interview du critique Philippe Rouyer : « Titane, c’est une Palme de l’audace »

The Zone of Interest
Grand Prix : The Zone of Interest de Jonathan Glazer. © Photo A24:Mica Levi

Le Grand Prix pour The Zone of Interest de l’Anglais Jonathan Glazer, alors que la Palme d’or était espérée, c’est une déception ?

The Zone Interest est un film extrêmement bien réalisé. Le propos est un peu théorique. Si on montre ce film au grand public, y compris à un public plus jeune pour le sensibiliser sur le sujet des camps d’extermination, je ne pense pas que ce film soit le plus adéquat. Pour un public très exigeant, très cinéphile, et très cultivé, ce film parle de choses connues, qui ont été traitées par ailleurs, et qui ne sont pas particulièrement originales. Cependant, en lui-même, le traitement est assez brillant. Notamment sur comment l’horreur s’instille petit à petit dans la normalité d’une existence bourgeoise, familiale, chez ces gens « comme les autres », qui vivent dans une maison mitoyenne du camp d’extermination d’Auschwitz. C’était un point de vue qui n’était pas spécialement original, mais le traitement, lui-même, l’est. Jonathan Glazer n’a gardé que cette partie-là du propos de l’écrivain britannique Martin Amis (1949-2023) dont son film est inspiré, comme si c’était une sorte de pari pour lui, de tenir uniquement là-dessus. Je trouve que c’est convaincant, mais que ça reste à l’état de pari un peu cérébral.

« Pour la Palme d’or, j’aurais préféré Les Herbes Sèches de Nuri Bilge Ceylan ou Les Feuilles Mortes de Aki Kaurismäki, ou bien L’Enlèvement de Marco Bellocchio, qui est un très grand cinéaste »

Les Feuilles Mortes
Prix du jury : Les Feuilles mortes d’Aki Kaurismäki. © Photo Sputnik

Le Prix du jury pour Les Feuilles mortes : le Finlandais Aki Kaurismäki méritait mieux ?

Aki Kaurismäki aurait très bien pu avoir la Palme d’or. Le jury ne prend jamais, ou très rarement, en considération le fait qu’un, ou une cinéaste, ait déjà eu la Palme d’or précédemment. Il juge les films les uns par rapport aux autres. Les Feuilles mortes est un film qu’on ne peut pas ne pas aimer. C’est un film merveilleux dans sa simplicité, dans son humour, dans sa maîtrise. Il est totalement réussi. Il aurait pu être le deuxième film préféré de tout le monde, mais pas forcément le film préféré de chacun. Mais ça n’est pas le plus grand film de Kaurismäki, et ça ne renouvelle pas spécialement son cinéma. C’est un film où il fait très bien ce qu’on l’a déjà vu faire avant. De plus, d’une certaine manière, c’est une comédie pince-sans-rire à la Kaurismäki, ce qui est toujours agréable dans une compétition où les comédies sont très rares. Quand on est un grand cinéaste, il est très difficile de réussir une bonne comédie.

Dans ce palmarès 2023, qui sont les grands oubliés ?

Parmi les films oubliés de ce festival de Cannes 2023, il y a pour moi L’Enlèvement, le film de Marco Bellocchio, parce que c’est un grand film. Le prix de la mise en scène a été donné à Tran Anh Hung pour La Passion de Dodin Bouffant, qui est un bon film, où notamment les scènes de cuisine sont assez extraordinaires. Mais le faire passer devant Bellocchio me paraît exagéré. Même si, étant moi-même d’origine vietnamienne, je suis évidemment très content qu’un de mes compatriotes a gagné un prix. Surtout que Tran Anh Hung a déjà eu la Caméra d’or. Et que la Caméra d’or a été remportée cette année par un autre Vietnamien, Thien An Pham.

Palme d’or du court-métrage : 27 de Flora Anna Buda © Photo DR

Une Palme d’or d’honneur surprise pour Harrison Ford, c’était nécessaire ?

Pour moi, les prix honorifiques ne veulent pas dire grand-chose. Mais pourquoi pas ? Harrison Ford a une belle carrière, c’est une star mondiale. Indiana Jones et le Cadran de la destinée n’est pas le meilleur film de sa filmographie. Ce prix a relativement peu de signification.

« Le traitement proposé par The Zone of Interest est assez brillant. Notamment sur comment l’horreur s’instille petit à petit dans la normalité d’une existence bourgeoise, familiale, chez ces gens « comme les autres », qui vivent dans une maison mitoyenne du camp d’extermination d’Auschwitz »

Après 20 ans d’absence et la Palme d’or décrochée par Fahrenheit 9/11 (2004) de Michael Moore, le genre documentaire a fait son retour cette année en compétition à Cannes (1) : c’est une bonne chose ?

C’est une bonne chose si les documentaires sont réussis. La difficulté c’est que, parfois, il est très difficile de comparer un documentaire avec une œuvre de fiction. Les critères ne sont pas exactement les mêmes. Dans le documentaire, le sujet a souvent tendance à primer sur le cinéma. Un sujet très fort marquera plus qu’un documentaire très bien réalisé. En l’occurence, Jeunesse (le printemps), le film de Wang Bing, a un petit peu souffert de sa longueur [3h32 — NDLR], même si Wang Bing est un très grand réalisateur. Ces trois heures et trente deux minutes sont assez répétitives, même si cette répétitivité fait partie de son propos, et cela a pu décourager certains membres du jury. C’était un peu les deux extrêmes, puisque Wang Bing a aussi présenté, hors compétition, un court-métrage de 9 minutes. De son côté, Les Filles d’Olfa interroge la frontière, parfois ténue, entre documentaire et fiction. Et cela sur un sujet fort : la radicalisation dans les pays du Maghreb, la maternité, la famille remise en question, le port du voile… C’est un film important.

Le réalisateur Polonais Maciek Hamela et son documentaire In the rearview [Dans le rétroviseur — NDLR], dans lequel il raconte comment il s’est engagé dans la guerre en Ukraine en tant que chauffeur bénévole pour évacuer des Ukrainiens, a aussi été remarqué dans le cadre de l’Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion (ACID) ?

Je n’ai pas vu In the rearview. Le cinéma reste une fenêtre sur le monde, et pas uniquement dans les documentaires, d’ailleurs. Sur les milliers de films qui sont vus, il y a seulement une vingtaine de films qui se retrouvent en compétition à Cannes. Les cinéastes prennent parti. Ils sont sensibles aux tourments du monde actuel. Un exemple frappant : le film de Kaurismäki, où les personnages passent leur temps à allumer la radio pour écouter de la musique. Mais ils n’ont que des nouvelles de la guerre en Ukraine. Les cinéastes ne sont pas insensibles à ce qu’il se passe dans le monde, même ceux qui continuent à développer et à être fidèles à leur imaginaire.

« Les Feuilles mortes est une comédie pince-sans-rire à la Kaurismäki, ce qui est toujours agréable dans une compétition où les comédies sont très rares. Quand on est un grand cinéaste, il est très difficile de réussir une bonne comédie »

Des actrices se sont indignées que l’on déroule le tapis rouge pour Johnny Depp et Maïwenn, avec son film Jeanne du Barry ?

Jeanne du Barry est un film très réussi. Maïwenn se renouvelle. Sur le plan de la mise en scène, elle a fait un film qui est quasiment aux antipodes de ses films précédents, qui étaient très mouvementés, avec des caméras portées. Là, elle prouve qu’elle sait faire un film d’une grande beauté plastique, relativement classique. En même temps, elle nous parle de choses intéressantes, notamment sur l’emprise ou sur le fait de débarquer dans un milieu où l’on vous ostracise. Malgré son accent américain, le choix de Johnny Depp me semble tout à fait pertinent dans la démarche de la réalisatrice. Les polémiques extra-cinématographiques liées à ce film font peut-être qu’il était judicieux de le laisser hors compétition.

Mention spéciale du jury du court-métrage : Far de Gunnur Martinsdottir Schlüter © Photo Norour

Même si voir 7 réalisatrices sur 21 cinéastes en compétition est un record à Cannes, la parité est toujours loin d’être respectée ?

A mon avis, c’est l’un des critères de sélection des films. Mais je ne pense pas que cela puisse être le critère premier. Cela reflète aussi le cinéma mondial dans son ensemble. Il faudrait regarder la proportion de films réalisés par des femmes qui ont été proposés à Cannes, parmi tous ceux qui sont vus. Je pense que l’on a une proportion supérieure dans la compétition, par rapport au nombre de films proposés. Dans la sélection de films français, la proportion est écrasante, avec trois femmes réalisatrices sur quatre films présentés à Cannes.

« Les Filles d’Olfa interroge la frontière, parfois ténue, entre documentaire et fiction. Et cela sur un sujet fort : la radicalisation dans les pays du Maghreb, la maternité, la famille remise en question, le port du voile… C’est un film important »

Quelques jours avant le festival de Cannes, dans une lettre à Télérama publiée le 9 mai 2023, l’actrice Adèle Haenel, connue pour ses combats féministes, sociaux et écologiques, a décidé de « politiser [son] arrêt du cinéma » : que pensez-vous de sa démarche ?

Adèle Haenel a souffert de ses prises de parole. Elle a beaucoup clivé. Elle a beaucoup fait avancer le débat sur ces questions. Elle se laisse un petit peu, et je le comprends, guider par son ressenti. Cela dit, il suffit de regarder les films présentés à Cannes, en compétition et dans toutes les sections parallèles, pour constater que les longs-métrages qui parlent de sujets de société, ou qui prennent des positions courageuses sur le féminisme ou sur la condition des femmes dans le monde, coexistent avec des films plus divertissants ou moins profonds, avec des stars qui contribuent à médiatiser l’événement. Cette médiatisation a un effet bénéfique. Il ne faut pas oublier que Cannes, ce n’est pas que le tapis rouge et les marches. C’est aussi des centaines de films, notamment avec la sélection Un certain regard ou la Semaine de la critique, qui sont des découvertes. Ce sont des films très peu diffusés par ailleurs, et auxquels Cannes offre une vitrine. Ces longs-métrages parlent de ce qu’il se passe dans le monde d’une façon souvent exceptionnelle. Adèle Haenel, elle-même, lorsqu’elle venait présenter le fruit de son travail à Cannes, dans diverses catégories, en compétition ou hors compétition, on ne l’a pas beaucoup entendue prononcer de telles paroles. Tout cela est lié à ce qu’elle a vécu et traversé depuis quelques années.

L'arbre aux papillons Festival de Cannes
Caméra d’or : L’Arbre aux papillons d’or de Thien An Pham. © Photo DR

76ème festival de Cannes : le palmarès

Palme d’or : Anatomie d’une chute de Justine Triet
Grand Prix : The Zone of Interest de Jonathan Glazer
Prix de la mise en scène : Tran Anh Hung pour La Passion de Dodin Bouffant
Prix du jury : Les Feuilles mortes d’Aki Kaurismäki
Prix du scénario : Sakamoto Yuji pour Monster d’Hirokazu Kore-eda
Prix d’interprétation féminine : Merve Dizdar pour Les Herbes sèches
Prix d’interprétation masculine : Koji Yakusho pour Perfect Days
Caméra d’or : L’Arbre aux papillons d’or de Thien An Pham
Palme d’or du court-métrage : 27 de Flora Anna Buda
Mention spéciale du jury du court-métrage : Far de Gunnur Martinsdottir Schlüter
Palmes d’or d’honneur : Michael Douglas et Harrison Ford

1) Par ailleurs, l’Œil d’or, le prix du documentaire toutes sections confondues créé en 2015 par la Société civile des auteurs multimédia (Scam), a récompensé ex aequo Les Filles d’Olfa (Tunisie) de Kaouther Ben Hania et La Mère de tous les mensonges (Maroc), d’Asmae El Moudir. Asmae El Moudir a aussi remporté le prix de la mise en scène dans la sélection Un certain regard. Le jury de Œil était présidé par Kirsten Johnson. Il réunissait Ovidie, Sophie Faucher, Pedro Pimenta, et Jean-Claude Raspiengeas.