Chez Nous
de Lucas Belvaux
Popularité. Quoi de plus admirable qu’une infirmière qui élève seule ses deux enfants et s’occupe de son père, un ancien métallurgiste communiste ? Appréciée de tous, très populaire, Pauline Duez (Emilie Dequenne) est approchée par les dirigeants d’un parti d’extrême droite, le Bloc patriotique, pour devenir leur candidate aux prochaines élections municipales. Réussir une fiction politique est un exercice difficile et Lucas Belvaux n’y parvient qu’à moitié. Trop prévisibles, parfois trop caricaturaux, certains personnages manquent d’épaisseur. Didactique, Chez Nous est un film inégal, qui a en tout cas le mérite de scruter un sujet finalement très actuel.
Chez Nous de Lucas Belvaux, avec Emilie Dequenne, André Dussollier, Guillaume Gouix (FRA/BEL, 2017, 1h57), 14,99 euros (DVD), 19,99 euros (blu-ray). Sortie le 12 juillet.
The Lost City of Z
de James Gray
Amazonie. Le réalisateur de l’excellent Little Odessa (1994), James Gray, est de retour avec le récit de Percival Harrison Fawcett (1867-1925), un grand explorateur. Lorsque la Société géographique de Londres lui demande de cartographier les frontières entre la Bolivie et le Brésil, il accepte la mission et entend parler d’une cité perdue, quelque part au cœur de la forêt amazonienne. Malgré son amour pour sa famille, porté par son désir de reconnaissance, il décide de partir à la recherche de cette ville qui l’obsède et qu’il appelle Z. Sous son vernis très classique, The Lost City of Z est un film sur les tourments intérieurs, les dilemmes et les hésitations. Le travail sur l’image réalisé par le chef opérateur franco-iranien Darius Khondji est remarquable, tout comme la transformation de Robert Pattinson en aide de camp barbu, méconnaissable.
The Lost City of Z de James Gray avec Charlie Hunnam, Sienna Miller, Tom Holland (USA, 2017, 2h21), 19,99 euros (DVD), 22,99 euros (blu-ray). Sortie le 18 juillet.
Grave
de Julie Ducournau
Miam. Lorsque Justine (Garance Marillier) est bizutée alors qu’elle s’apprête à intégrer une école pour devenir vétérinaire, l’épreuve est vite trouvée : faire manger de la viande crue à celle qui a toujours été végétarienne. Les conséquences ne se font pas attendre. Peu à peu, le comportement de Justine évolue… Le premier long métrage de Julie Ducournau, 33 ans seulement, présenté à la Semaine de la critique à Cannes en 2016, est un film métaphorique, dans lequel elle s’intéresse à tous les liens du sang. Grave suggère qu’il faut tuer, manger et assimiler ce que l’on a tué, comme un rite de passage à l’âge adulte. Un passage initiatique pour définir son identité et sa sexualité qui utilise les codes de l’horreur avec audace et intelligence. Grave lance la carrière de Julie Ducournau de la plus belle des manières.
Grave de Julie Ducournau, avec Garance Marillier, Ella Rumpf, Rabah Naït Oufella (FRA/BEL, 2017, 1h38) ; 19,99 euros (DVD), 24,99 euros (combo DVD+blu-ray). Sortie le 19 juillet.
Ghost in the Shell
de Rupert Sanders
Philosophique. Forcément, on pouvait craindre le pire. Car le manga culte de Masamune Shirow, adapté en 1995 par Mamoru Oshii, a accouché d’un chef-d’œuvre du cinéma d’animation japonais. En confier un remake au réalisateur Anglais Rupert Sanders, dont la filmographie se limitait à Blanche-Neige et le Chasseur (2012), le pari était osé. Et il n’est pas totalement raté. Si on perd la dimension mystique et philosophique de l’original, ce Ghost in the Shell 2017 mise sur une imagerie soignée, largement inspirée par le Blade Runner (1982) de Ridley Scott. Scarlett Johansson, mutique et triste, est parfaite en Motoko Kusanagi, un cyborg d’élite belliqueux à la poursuite d’un cybercriminel. Simplifié, trop didactique, Ghost in the Shell perd en mystère ce qu’il gagne en beauté visuelle.
Ghost in the Shell de Rupert Sanders avec Scarlett Johansson, Pilou Asbæk, Takeshi Kitano (USA, 2017, 1h47), 19,99 euros (DVD), 22,99 euros (blu-ray), 24,99 euros (édition spéciale Fnac steelbook DVD + blu-ray). Sortie le 31 juillet.
Le Purgatoire
de Chuck Palahniuk
Porcisme. Le monde entier se souvient de Chuck Palahniuk pour ce livre qui le fit entrer dans la lumière médiatique : Fight Club (1996). L’adaptation cinématographique de David Fincher en 1999 paracheva sa métamorphose. C’est forcément dans le “trash” qu’on attend Palahniuk et avec Le Purgatoire, on en a pour son argent. Madison Spencer, une fille de 13 ans envoyée en enfer dans Damnés (2011), un précédent roman de Chuck Palahniuk, revient chez ses parents qui l’envoient chez ses grands-parents, à la campagne. C’est là que Madison peut se livrer à une enquête sur un meurtre et essayer de comprendre pourquoi et comment elle a été expédiée en enfer, avant d’être autorisée à revenir chez les vivants. Cynique, désabusée, mais terriblement drôle, Madison doit aussi sauver le monde d’une religion inventée par ses parents : le porcisme. On attend le troisième volet des aventures de Madison avec impatience.
Le Purgatoire de Chuck Palahniuk (Sonatine), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié, 288 pages, 20 euros.
Lettres choisies de la famille Brontë 1821-1855
traduites et annotées par Constance Lacroix
Correspondances. Pour la première fois, des lettres de la famille Brontë, essentiellement la correspondance de Charlotte (1816-1855), ont été traduites en français. C’est à Constance Lacroix que l’on doit ce précieux travail, qui autorise une passionnante plongée dans l’intimité des trois sœurs, Charlotte, Emily (1818-1848) et Anne (1820-1849). Les lettres d’Anne et d’Emily, mais aussi de leur père, Patrick, ont hélas pour la plupart disparues. Tout comme celles de leur frère, Patrick Branwell Brontë (1817–1848), dont le fort ego transparaît toutefois de façon assez évidente. Reste donc les lettres de Charlotte, dans lesquelles elle évoque, pêle-mêle, sa maladie qui l’emportera à 39 ans, les critiques littéraires ou ses voyages à Londres ou à Bruxelles, pour passer du temps avec son professeur de français, Constantin Héger, un Belge qui sera aussi un amour impossible.
Lettres choisies de la famille Brontë 1821-1855 (Quai Voltaire), traduites de l’anglais et annotées par Constance Lacroix, 624 pages, 25 euros.
On ne naît pas grosse
de Gabrielle Deydier
Grossophobie. Gabrielle Deydier est journaliste. C’est à elle que l’on doit Ginette Le Mag’, un blog culturel lancé en 2014. À mi-chemin entre le témoignage raconté à la première personne du singulier et l’enquête sur la perception de l’obésité dans la société française, On ne naît pas grosse dénonce le tabou de ce qu’elle appelle la grossophobie, la phobie des gros. Elle fait 150 kg pour 1,53 m et elle ne mâche pas ses mots : « Après avoir été méprisée et jugée pendant des années, j’ai décidé d’écrire pour ne plus m’excuser d’exister. » Il y a le quotidien et les mots qui blessent. Mais il y a aussi la discrimination parce qu’on est gros. Celle d’un employeur qui lui demande si le QI est inversement proportionnel à l’IMC. On ne naît pas grosse décrypte les mécanismes psychologiques qui peuvent pousser une femme à manger de façon compulsive. À l’heure où la minceur est mécaniquement érigée en modèle social, le livre de Gabrielle Deydier est précieux.
On ne naît pas grosse de Gabrielle Deydier (éditions Goutte d’or), 160 pages, 15 euros.
Mikaël ou le mythe de l’homme des bois
de Fabien Grolleau
Ecolo. C’est un joli conte fantastique que nous propose Fabien Grolleau. Mikaël est un garde chasse qui adore les animaux. Lorsqu’il apprend qu’un vieux cerf a été tué par un braconnier, il décide de partir. C’est l’occasion de se plonger dans la vie et le parcours de Mikaël, un passé dont il avait tout oublié. Dans cette fable écolo, les animaux parlent, émettent des idées et multiplient les points de vue. Le discours pro-environnemental est évident, appuyé par un trait de dessin doux et élégant. Comme face à un paysage à couper le souffle, le lecteur est parfois invité à seulement observer les quelques pages de cet album où pas une ligne n’est à lire. La beauté appelle parfois le silence.
Mikaël ou le mythe de l’homme des bois de Fabien Grolleau (6 Pieds Sous Terre), 256 pages, 23 euros.
Les Solitaires
de Tim Lane
Culture pop. L’Amérique comme on ne l’imagine peut-être pas. Dans Les Solitaires, Tim Lane évoque ceux que les Etats-Unis ont abandonné, les SDF, les marginaux, les voyous, les originaux… Dans cette BD, les récits se croisent, se téléscopent ou gardent leur indépendance. Seule leur thématique commune les réunit. On passe de pages dépliables à des photos, des pages de magazines, des figurines en papier à découper, des paroles de chansons, des croquis, de faux fanzines hors d’âges… Propulsé au milieu de cet ensemble hétéroclite, le lecteur peut donc, à son tour, se laisser porter par cette forme disparate et s’amuser à vagabonder de page en page et s’immerger dans cette culture populaire. L’utilisation du noir et blanc est magnifique pour cette balade poétique avec les oubliés du rêve américain.
Les Solitaires de Tim Lane (Delcourt), 296 pages, 29,95 euros.
Night Drive
Night Drive
Electro. En 11 titres, l’abum éponyme et très électro de Night Drive mise sur le plaisir immédiat. Et ça fonctionne plutôt bien. Il suffit de se plonger dans Trapeze Artist Regrets et surtout dans l’excellent Rise and Fall pour en être totalement convaincu. Originaire d’Austin et de Houston, le duo Rodney Connel et Brandon Duhon nous donne une furieuse envie de rejoindre le dance floor grâce à son énergie et à des mélodies aux rythmes auxquels il est inutile d’opposer la moindre forme de résistance. Les influences sont multiples et très fréquentables, de Brian Eno, en passant par The Drums, New Order ou LCD Soundsystem. On ne se demande pas non plus pourquoi on a pu voir Night Drive assurer les premières parties de groupes comme Austra ou Chvrches : même mouvance et même capacité à captiver son auditoire, tout ça est finalement très logique.
Night Drive, Night Drive (Roll Call Records), 7 euros (disponible sur Spotify, iTunes, Amazon, Bandcamp).
OK Computer OKNOTOK 1997-2017
Radiohead
Chef d’œuvre. On ne présente évidemment plus cet album sorti en 1997 et considéré par beaucoup comme un véritable chef d’œuvre. Vingt ans après, le groupe de Thom Yorke a décidé de proposer une réédition augmentée de ce disque qui est leur troisième album, après Pablo Honey (1993) et The Bends (1995). C’est aussi le début de leur collaboration, ininterrompue depuis, avec le producteur Nigel Godrich. En plus des 12 titres de OK Computer remasterisés pour l’occasion, OKNOTOK dispose de huit faces B, déjà entendus sur une réédition de 2009. En revanche, trois titres jamais publiés officiellement sont proposés et ils sont (très) bons : Man of War, I Promise et Lift. Les fans ont déjà pu les entendre joués sur scène, notamment en 1996. Ecœuré par le succès de Creep (1993), Radiohead aurait écarté Lift et Man of War pour ne pas se transformer en machine à tubes.
OK Computer OKNOTOK 1997-2017, Radiohead (XL Recordings), 10,99 euros (CD), 14,98 euros (MP3), 27,99 euros (triple vinyle). Un coffret Deluxe sera également disponible en juillet.
Cigarettes After Sex
Cigarettes After Sex
Raffiné. Derrière le quatuor Cigarettes After Sex, il y a l’Américain Greg Gonzalez qui est l’âme de ce groupe né à El Paso, au Texas, en 2008. Après un premier EP baptisé I. en 2012, il aura fallu se contenter d’une poignée de singles croisés en 2015 sur internet, notamment Affection et Keep On Loving You, pour patienter jusqu’au premier album. Sombre, majestueux et d’une élégance rare, ce premier album est d’une sidérante beauté. Les rythmes lents, obscurs et raffinés, servent à structurer ces ballades d’une folle sensualité. Parfait exemple avec K., qui offre une ouverture douce et aérienne à ce premier album très mélancolique qu’il ne faut rater pour rien au monde. Ce disque pop au romantisme noir assumé, porté notamment (mais pas seulement) par le très beau Each Time You Fall In Love, est un album important. Sans doute l’un des plus importants de 2017.
Cigarettes After Sex, Cigarettes After Sex (Partisan Records/Pias), 12,99 euros (CD), 19,99 euros (vinyle).