vendredi 19 avril 2024
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Vincent Vatrican : « On passe de l’amateurisme au professionnalisme »

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A l’occasion de l’inauguration des nouveaux locaux de l’Institut audiovisuel de Monaco au 83 boulevard du Jardin exotique, en face de la Villa Paloma, Monaco  Hebdo a rencontré son directeur, Vincent Vatrican.

Il retrace les missions de l’Institut, sa programmation artistique, la valorisation des archives. Mais aussi son souhait de voir un jour une salle de cinéma gérée entièrement par l’Institut.

Comment s’est passée l’installation dans les nouveaux locaux ?

On était juste à côté, en face du Garden House. On avait 260 mètres carrés de bureaux. Là, on a 3 fois 450 mètres carrés (rires). Évidemment, ça change la donne. On saute de l’amateurisme au sens vrai du mot, qui aime les choses, à réellement une dimension professionnelle et scientifique du travail. Ce n’est pas comparable.

Quelles sont les missions de l’Institut audiovisuel de Monaco ?

Les missions sont toujours les mêmes qu’au moment de sa création, en 1998. L’idée c’est de collecter, sauvegarder, valoriser le patrimoine audiovisuel de Monaco. Donc de collecter tous les documents qui peuvent faire mémoire dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel : films, documentaires, actualités, reportages, et films amateurs.

Comment vous traitez les films amateurs que vous recevez ?

Le fonds d’image est tout de même essentiellement un fonds professionnel, et pour beaucoup, un fonds télévisuel, puisqu’on a récupéré les archives de Télé Monte-Carlo (TMC). Et on gère aussi la sauvegarde de la chaîne locale, Monaco Info. C’est vrai que le fonds amateur a un statut particulier. C’est environ 3 000 films, déposés par 80 ou 100 familles de Monaco. Ces petites images ont longtemps été ignorées par les cinémathèques et les archives, parce qu’on considérait que ce n’était pas du cinéma. La communauté d’historiens, de scientifiques s’est rendu compte que ces images-là renseignent sur l’histoire de nos sociétés, des rituels sociaux. On sort sa caméra pour des moments importants de la vie d’une famille. Toutes ces histoires accumulées forgent aussi la grande histoire. A partir du moment où on a collecté ces images et qu’on les a travaillées, on accueille tous les films sur le même pied d’égalité. Après, la valorisation, c’est autre chose. Le conservateur n’est pas là pour émettre des jugements de valeur. Par contre, pour le programmateur, il y a un œil un peu plus critique, un discours à tenir. Et, forcément, il y a des films plus intéressants que d’autres.

Est-ce que ce regard différencié sur la vidéo amateur n’a pas changé récemment, du fait de la technologie qui permet à chaque individu de tout filmer en permanence ?

Absolument. Je pense que le smartphone participe à cela, puisque les gens filment et postent tout ce qu’ils engrangent. Cela participe aussi d’un mouvement. Le cinéma amateur a réellement été développé dans les années 1980, essentiellement par des cinémathèques en région. Ces petits films témoignaient d’abord d’un territoire. Quand j’ai monté la structure, on a commencé par faire un travail de terrain et voir comment ils s’y prenaient. Et c’est là qu’on a découvert la richesse de ce fonds-là. Il y a eu un certain engouement, une prise de conscience de l’intérêt de ces films. Assez vite, dans les années 2000, pas un documentaire de création ne se faisait sans faire appel à des images amateurs, parce que parfois, c’est le seul témoignage que l’on peut avoir de telle ou telle personne, par exemple de sa jeunesse, quand il n’était pas connu. On nous sollicite parfois pour des images du Monégasque Léo Ferré (1916-1993).

Avec le fonds de la famille Badia ?

Il se trouve que c’est l’ami de la famille qui a déposé plein de films ici, à l’Institut. C’est comme ça qu’on tombe sur ces images de jeunesse, qui peut-être ne seraient jamais sorties du cercle de famille. C’est vrai que, de fil en aiguille, avec l’évolution des médias et du numérique, aujourd’hui on peut filmer une heure d’image comme ça. Alors qu’hier, il fallait charger une caméra, avec une bobine. On surveillait bien l’éclairage, on faisait une prise. Elle n’était pas bonne, on la refaisait. Ça n’existe plus. Désormais, on filme en temps continu. Et on publie tel quel. C’est l’une des raisons qui nous poussent à développer des ateliers pour les scolaires [une salle est prévue à cet effet dans les nouveaux locaux – N.D.L.R.], pour faire un travail d’éducation à l’image.

© Institut Audiovisuel de Monaco -Philippe Fitte

« Les jeunes sont dans le robinet ouvert d’images. Ça nous semble important de leur faire toucher du doigt que filmer une image, ce n’est pas innocent. Il faut qu’ils se questionnent sur ce qu’ils filment »

Quel type d’initiation critique vous faites ?

C’est important de sensibiliser les jeunes à cela. Notamment en termes de pratiques. Un jeune de 10 ans aujourd’hui, la pellicule, ça ne lui parle pas. Le montage non plus. Les jeunes sont dans le robinet ouvert d’images. Ça nous semble important de leur faire toucher du doigt que filmer une image, ce n’est pas innocent. Il faut qu’ils se questionnent sur ce qu’ils filment.

Est-ce que cette intensification des flux d’images vidéo rendra votre travail plus difficile à l’avenir ?

Ça le rend déjà difficile. Quand on a commencé, l’essentiel des dépôts, c’était du film d’une durée entre 3 et 12 minutes, ce qui était assez gérable. Début 2000, on a commencé à avoir des gens qui nous amenaient de la vidéo VHS, etc. Là où 40 ans plus tôt, on avait cinq minutes d’images d’une maman qui filmait son enfant en train de prendre son premier bain au Larvotto, là, c’était une heure d’images. C’est difficile de se dire que c’est bien ou pas bien. Les données ne sont plus du tout les mêmes. Pour l’instant, on est encore un peu épargné : on a assez peu de fonds amateurs. Nos fonds sont surtout professionnels.

Ces fonds représentent la grande partie de votre travail ?

Oui. Il y a les archives de TMC, de Monaco Info, du festival de télévision de Monte-Carlo, du Sportel, et des ballets de Monte-Carlo. On est sur des volumes en téraoctets, mais aujourd’hui on sait bien gérer ça.

Comment se traduit la valorisation de ces documents, une fois traités ?

Pendant longtemps, avant que nous n’emménagions ici, donc jusqu’en 2018, la valorisation des collections passait essentiellement par des productions que l’on réalisait nous-mêmes. La réalisation la plus emblématique c’est le label « Monaco en films », créé en octobre 1998, à nos débuts. L’objectif était de pouvoir montrer aux spectateurs un montage de différentes archives qu’on a récupérées, et qu’on a sauvegardées pour l’occasion. On le fait toujours aujourd’hui, mais de manière beaucoup plus pointue. On a décliné ce label en ciné-conférences depuis 4 ou 5 ans, pour illustrer et commenter une thématique, comme, par exemple, sur la naissance de Monte-Carlo, sur le prince Albert Ier, ou sur Monaco et la mer.

Quel personnel mobilise vos productions ?

En interne, on a une équipe de production que je dirige, avec le responsable technique, le monteur, l’ingénieur du son et Estelle Macé, en charge de l’action culturelle. Il y a déjà un travail de réflexion et de conception. Rentrent ensuite dans la boucle les historiens et les documentalistes qui vont nous garantir que toutes les images sélectionnées sont bien datées et bien documentées. Puis, il y a le travail du monteur qui prend souvent très longtemps pour essayer de bien assurer les enchaînements d’un sujet à l’autre. Donc ces productions nous prennent environ 5 à 6 mois de travail.

Comment réalisez-vous la numérisation des images à partir d’anciennes pellicules ?

Le document qui rentre à l’Institut est expertisé. Il y a deux critères : l’état du document, qui nous permet de décider la filière de traitement (photochimique et/ou numérique), et le lien avec Monaco. Évidemment, notre vocation, c’est la mémoire de Monaco. Par contre, on ne démembre pas une collection. Si quelqu’un nous amène 10 bobines, avec 3 sur Monaco et 7 sur la Bretagne, on garde l’intégrité de la collection, et on fera l’ensemble. C’est aussi une mémoire constituée. Lorsqu’on a l’accord du déposant sur le traitement, et pour qu’on garde une copie originale, on fait la numérisation. L’élément d’origine est reconditionné en boîte neuve, et il descend dans les stocks dans les chambres froides. Après, il ne bougera plus, sauf révolution technologique, avec de nouveaux scanners. Ce qui est déjà arrivé.

Quel type de production proposez-vous ?

A côté du label « Monaco en films », on fait aussi des productions en fonction de l’actualité. L’occasion fait le larron. On a fait quelque chose pour le centenaire des ballets russes, et aussi un petit module également en 1999, pour la mise en souterrain de la voie de chemin fer. C’est une manière de valoriser les archives que de les refaire vivre pour des occasions diverses, avec d’autres acteurs culturels.

Quelle autre valorisation d’archives proposez-vous ?

La deuxième valorisation, c’est d’être en capacité de proposer ces archives pour des productions télé. Des documentaires principalement, centrés sur Monaco le plus souvent. Ou sur des personnalités du monde artistique.

Combien coûte l’achat de droits à l’image ?

On me pose rituellement la question. Le tarif est le même, quelle que soit l’archive, que ce soit de l’inédit ou pas. Le coût moyen, c’est entre 300 et 600 euros la minute pour de la diffusion pour une chaîne de télévision française. Mais, souvent, les producteurs prennent des droits francophones pour exploiter en Suisse, Belgique et Canada, pour amortir le coût.

Le prix dépend aussi de l’audience potentielle ?

Aussi, oui. Pour ce qu’on appelle une chaîne premium comme TF1, a priori, ce n’est pas dans les mêmes barèmes qu’une chaîne du câble, du type C8, ou la chaîne Histoire TV. Plus l’audience potentielle est large, plus le droit d’utiliser les images est cher. Même entre TF1 et TMC, quand bien même c’est le même groupe, si la première diffusion du programme est sur TF1, le droit à la minute de l’archive qu’ils auront acheté sera plus élevé que si la première diffusion est sur TMC.

Vous avez aussi une programmation artistique à l’Institut ?

Pendant longtemps, c’était cela. Mais il y a une autre forme de valorisation, c’est l’ouverture au public. On va ouvrir prochainement la consultation au public. Dans l’ADN de départ de cette structure, l’idée c’est de constituer des archives pour les rendre publiques, pas pour garder des trésors sous la table. Aujourd’hui, on a quasiment 10 000 heures d’images numérisées et documentées. Pour nous, c’est important, d’avoir une consultation sur site [qui n’est pas encore possible à ce jour, à cause de la pandémie de Covid-19 – N.D.L.R.]. Et, à termes, une consultation dématérialisée via un portail de consultation.

12h08 à l’est de Bucarest, comédie roumaine sur la chute de Ceausescu, programmée le 16 février 2021 au théâtre des Variétés. © Institut Audiovisuel de Monaco

« Pour la programmation de Tout l’art du cinéma, on alterne aussi des films connus et moins connus. Edward aux mains d’argent (1990) de Tim Burton, notre film de Noël, est certainement plus connu que 12h08 à l’est de Bucarest (2006), de Corneliu Porumboiu »

Quand sera disponible la consultation au public ?

Il faut qu’on réfléchisse à un nouveau protocole pour respecter les mesures sanitaires. On espère le plus vite possible. Dans un premier temps, ça sera de la recherche assistée par les documentalistes, parce qu’il faut bien connaître l’outil, notre base de données, pour effectuer ces recherches. Ça sera de la consultation sur rendez-vous pour étudiants, chercheurs, historiens, etc.

Dans vos missions, vous proposez aussi une saison de films cinématographiques, avec Tout l’art du cinéma ?

Oui, c’est en 2004 qu’on a commencé. Ça s’appelait alors les Mardis du cinéma. Puis, ce label a évolué pour devenir Tout l’art du cinéma. L’idée était de pouvoir proposer à Monaco une programmation de cinéma de qualité, pour pouvoir montrer des films de répertoire, des grands classiques, ou des films de recherche. On essaye d’aller chercher des films d’époque et de pays très différents pour éviter de tomber dans le franco-français, ou le franco-américain.

Le fil conducteur de la programmation, c’est une recherche de diversité ?

De diversité et de qualité. On alterne aussi des films connus et moins connus. Edward aux mains d’argent (1990) de Tim Burton, notre film de Noël, est certainement plus connu que 12h08 à l’est de Bucarest (2006), de Corneliu Porumboiu. Il avait été présenté à Cannes, et c’est un film franchement drôle. Ça raconte le moment où le régime de Ceausescu (1918-1989) a basculé, au travers d’une chaîne de télévision qui essaie de monter un plateau télé avec des témoins en leur posant des questions sur ce qu’ils faisaient à 12h08, au moment où tout a basculé. Il y a une dimension farce, et c’est très drôle. Voilà un peu le grand écart de ce qui est proposé.

Où se déroulent les projections ?

Essentiellement au théâtre des Variétés. En fonction des collaborations, ça peut changer de lieu. Si j’ai un regret encore aujourd’hui par rapport à tout ce qu’on a mis en place, c’est de ne pas avoir encore de salle de projection. Ici, on a une petite salle, mais sa vocation est de faire de la projection accompagnée. On étudie le cinéma et ses différentes formes avec un public, scolaire ou lambda. Par contre, on n’a pas de salle de cinéma. Toute cette programmation, on est obligé de la faire dans différents lieux de Monaco.

C’est encore en discussion cette salle de projection ?

Oui, c’est envisagé. Il s’agirait d’une salle modeste, mais qui permettrait d’avoir une programmation quotidienne. Là, si vous voulez voir le film roumain 12h08 à l’est de Bucarest, ce sera possible seulement le 16 février 2021, à 20 heures.

Vous n’avez pas peur que ce genre de projets n’aboutissent pas à cause de coupes budgétaires à venir, en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19 ?

Alors, effectivement, la situation est compliquée pour l’État. Mais on a eu l’assurance que toute la partie artistique ne serait pas impactée. Pour l’ensemble des acteurs culturels, c’est une excellente nouvelle. Sur la question de la salle de cinéma, pour concrétiser un projet comme ça, ça va prendre deux, trois, ou quatre ans. Ce n’est pas pour tout de suite.

Dans votre passage de l’amateurisme au professionnalisme, c’est le dernier élément manquant ?

Oui. Parce qu’il y a une histoire du cinéma à Monaco, ne serait-ce que si on pense à la princesse Grace (1929-1982). Avant l’Institut, il n’y avait rien sur le cinéma en principauté. C’est ça que je veux, modestement, essayer de corriger.

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