vendredi 29 mars 2024
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Dans la chambre d’un drôle de bébé nommé Christian Bérard, avec le NMNM

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Le Nouveau musée national de Monaco (NMNM) présente sa nouvelle exposition Christian Bérard, Excentrique Bébé, jusqu’au 16 octobre 2022 à la Villa Paloma. Un bel hommage à cet artiste, injustement réduit à ses frasques mondaines dans la culture populaire.

S’il y a bien un reproche que l’on fait régulièrement aux artistes, c’est de passer plus de temps à construire leur réputation qu’à créer de nouvelles œuvres dans leurs ateliers et studios. Cette critique, un brin stérile, et qui ne date pas d’hier, est tout de même révélatrice d’un phénomène auquel le petit monde de l’art n’arrive pas à se défaire. La preuve avec Christian Bérard (1902-1949) dont une belle, et rare, collection est exposée à la Villa Paloma, avec le Nouveau musée national de Monaco (NMNM), jusqu’au 16 octobre 2022. Lorsque l’on entend parler pour la première fois de cet artiste touche-à-tout, c’est davantage au sujet de ses amitiés passées avec tout le gratin de la mode, de la littérature, et du spectacle, qu’au sujet de son talent. Oui, il a été l’ami proche de Jean Cocteau (1889-1963), de Salvador Dali (1904-1989), de Louis Jouvet (1887-1951), ou encore de Christian Dior (1905-1957), mais est-ce bien là l’essentiel de son beau, et malheureusement court, parcours artistique ? Qui, à part un puriste ou un connaisseur, est véritablement capable de nommer une seule de ses œuvres, même en connaissant l’artiste, ne serait-ce que de nom ? Cette exposition du NMNM permet de combler cette lacune, en faisant un tour complet du travail de Christian Bérard.

Lorsque l’on entend parler pour la première fois de cet artiste touche-à-tout, c’est davantage au sujet de ses amitiés passées avec tout le gratin de la mode, de la littérature et du spectacle, qu’au sujet de de son talent

Excentrique bébé
© Photo Clément Martinet / Monaco Hebdo

Mis en scène par Jacques Grange, le « décorateur des stars »

Christian Bérard, dit « Bébé », était peintre, décorateur, costumier de théâtre et de cinéma, dessinateur de mode, ensemblier, et probablement plus encore. Tantôt doué de finesse, poussant son sens du détail à son paroxysme, tantôt excentrique, coloré et impérieux, les trois étages de la Villa Paloma ne sont pas de trop pour mettre de l’ordre dans cette exposition Christian Bérard, excentrique bébé, qui nous plonge dans l’univers et l’intimité de cet artiste fêtard. Le cadre de cette exposition est si intimiste, en effet, que l’on croirait entrer dans sa chambre, lui qui recevait, posait et créait régulièrement allongé dans son lit. C’est dans sa chambre, également, qu’il peignait ses portraits, loin de Paris, et au plus proche de la Méditerranée, s’inspirant volontiers des peintres italiens du Quattrocento, de la Grèce Antique, et des calanques de Marseille. Pas étonnant si, tout au long de l’exposition, se mêlent les couleurs et les évocations du Sud et de la Provence, cette région qui l’a tant inspiré. Monaco et Monte-Carlo occupaient aussi une place de choix dans la vie de l’artiste : « Monte-Carlo me plaît tellement, c’est la ville de Dali », peut-on lire sur un croquis exposé au milieu de la collection du musée. Cette impression d’intimité, on la doit à Jacques Grange, l’architecte d’intérieur français présenté comme « le décorateur des stars », qui a mis en scène cette exposition. L’idée, pour cet architecte amoureux du travail du « Bébé », était de recréer à Monaco une maison bourgeoise, dans laquelle aurait pu vivre Bérard. La Villa Paloma est donc agrémentée de clins d’œil et de codes esthétiques inspirés des intérieurs mythiques de Jean-Michel Frank, le célèbre décorateur des années 1930, tout en réinterprétant les décors du salon des mécènes Charles et Marie-Laure de Noailles, qui ont joué un rôle déterminant dans la carrière de l’artiste. « J’ai découvert le travail de Bérard, comme beaucoup, avec ses costumes du film La Belle et la Bête (1946), et ses peintures avec les Noailles. J’ai ensuite partagé cette passion avec Yves Saint Laurent (1936-2008), qui a beaucoup regardé le coloriste Christian Bérard, et sa main de dessinateur de mode, dont il s’est inspiré. C’est un artiste qui m’a suivi toute ma vie », explique Jacques Grange à la presse, en marge de l’exposition.

Excentrique bébé
© Photo Clément Martinet / Monaco Hebdo

Cette impression d’intimité, on la doit à Jacques Grange, l’architecte d’intérieur français présenté comme « le décorateur des stars », qui a mis en scène cette exposition. L’idée était de recréer à Monaco une maison bourgeoise dans laquelle aurait pu vivre Bérard

Monsieur costumes

Artiste aux multiples palettes, « Bébé » excellait dans la création de costumes. Il a collaboré au cinéma avec Jean Cocteau pour le mythique La Belle et la Bête (1946) dans lequel il a imposé un style plus animal à Jean Marais (1913-1998), contrairement à ce qui était prévu initialement, tout en alliant à l’atmosphère du film le style des toiles sombres de Johannes Vermeer (1632-1675), aux gravures de Gustave Doré (1832-1883). Ce rapport aux costumes est mis en avant par l’exposition au deuxième étage de la Villa Paloma, où sont notamment présentés quelques-uns des projets de Bérard pour les Ballets russes. C’était le cas de Cotillon, créé en 1932 à Monte-Carlo, pour lequel il a collaboré avec l’écrivain russe Boris Kochno (1904-1990), son compagnon d’alors, et le chorégraphe George Balanchine (1904-1983). On retrouve ses maquettes également pour La septième Symphonie, créée en 1938 aux Ballets russes de Monte-Carlo. Toujours à Monaco, Bérard a réalisé plusieurs portraits de Gabrielle Chanel, pour qui il a également dessiné des modèles pour des magazines de mode. Il était aussi ami avec Christian Dior, qui lui a même dédié un modèle en robe blanche, et a suscité l’admiration du tout jeune Yves Saint Laurent (1936-2008), qui l’avait rencontré en Algérie à l’âge de 13 ans, à Oran : « Yves Saint Laurent donnait à ses dessins un coup de crayon, un geste, similaire à ceux de Bérard, et il reprenait ses couleurs nuancées pour ses collections. Moi, je m’inspirais de sa palette chromatique et de l’élégance de son savant négligé », ajoute Jacques Grange. Véritable figure de la mode, Bérard dirigera même l’exposition Le Théâtre de la Mode au sortir de la guerre, en 1945, en Angleterre, et aux États-Unis, pour promouvoir la haute couture française, auprès de 25 couturiers. Un travail qui résonne encore aux États-Unis aujourd’hui, et dont l’artiste américain Nick Mauss, invité par le NMNM pour l’exposition, s’est fait écho.

Véritable figure de la mode, Bérard dirigera même l’exposition Le Théâtre de la Mode au sortir de la guerre, en 1945, en Angleterre, et aux États-Unis, pour promouvoir la haute couture française, auprès de 25 couturiers. Un travail qui résonne encore aux États-Unis aujourd’hui

  • Excentrique bébé
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Nick Mauss collabore

Comme le veut la tradition du NMNM, chaque exposition d’envergure compte son artiste invité. Pour ce Christian Bérard, excentrique bébé, c’est Nick Mauss, qui a déjà exposé trois fois ses travaux à Monaco, mais aussi au Whitney Museum of American Art de New York (Transmission), à la Kunsthalle Basel de Bâle (Bizarre Silks, private imaginings and narrative facts, etc.) et au Museu de Arte Contemporânea de Serralves à Porto (Intricate Others). On admire son travail dès l’entrée de la Villa Paloma, en levant les yeux au ciel, vers les drapeaux à l’effigie de Bérard qui flottent sous le vent. Nick Mauss a en effet réalisé 8 Flags, a different person, où il incorpore les montages photographiques d’un portrait de Bérard au milieu d’étendards, ornés d’étoiles phosphorescentes rappelant l’antichambre de velours jaune qu’il avait conçue en 1939 pour l’institut Guerlain des Champs-Élysées. Cette antichambre, l’artiste l’a reproduite au premier étage de la Villa Paloma, autour d’un album de photographies de la comtesse de Castiglione (1837-1899), que Bérard avait illustré et mis en scène en 1930. L’artiste Nick Mauss nourrit d’ailleurs un intérêt tout particulier pour le style transversal de Bérard, en mêlant dessin, écriture, et décoration dans ses travaux. « Par nature, Bérard n’est pas du tout un illustrateur. Quoi qu’il représente, c’est quelque chose qui l’a profondément touché. Sauf pour ses occasionnels croquis de mode, les apparences superficielles de la société lui passent entièrement à côté. Ce qu’il saisit est rendu dans la fragilité de son essence », explique Nick Mauss. Et c’est bien ce qui se dégage de cette exposition : de la création pure, loin des questions superficielles qui entachent le parcours de Christian Bérard.

Exposition ouverte tous les jours :

10 heures à 19 heures du 9 juillet au 30 septembre.

10 heures à 18 heures du 1er octobre au 13 novembre.

Tarif : 6 euros, gratuit pour les moins de 26 ans, groupes scolaires et groupes d’enfants, Monégasques, demandeurs d’emploi sur justificatif et personnes en situation de handicap. Billet couplé avec le Grimaldi Forum, du 9 juillet au 28 août, pour 13 euros. Entrée gratuite le dimanche.

Le catalogue de l’exposition dirigée par Célia Bernasconi, Christian Bérard, excentrique bébé, est disponible à la Villa Paloma en version française et en version anglaise. Ce catalogue est édité chez Flammarion (280 pages, illustrations couleurs et noir et blanc, 22×30 cm). Il est vendu 50 euros.