jeudi 28 mars 2024
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Caroline Vigneaux :
« J’ai un féminisme de réconciliation »

Publié le

Avocate de 2000 à 2008, Caroline Vigneaux, a abandonné le monde de la justice pour se lancer dans une carrière d’humoriste. Elle est actuellement en tournée avec son deuxième spectacle, qu’elle a présenté à Monaco dans le cadre des Sérénissimes de l’humour 2022. Interview.

Quels sont les grands thèmes qui traversent votre second spectacle, Caroline Vigneaux croque la pomme ?

Mon but premier, c’est de faire rire. J’aime faire rire avec du fond. Des journalistes ont qualifié mes spectacles « d’humour intelligent ». Ça me fait très plaisir. L’écriture de ce spectacle a nécessité deux ans de recherches. Il s’intitule Caroline Vigneaux croque la pomme parce que je parle beaucoup des femmes. Pour cela, je remonte à Adam et Ève, que je réécris à ma façon. Je parle de l’évolution des droits de la femme en France. Ça permet de comprendre pourquoi le féminisme est né, et toujours avec humour.

Quoi d’autre ?

Je brise aussi les tabous féminins. Par exemple, j’ai mis au point un GPS pour trouver le point G. Normalement, après mon spectacle, tout le monde sait où il se situe.

Dans votre spectacle, vous endossez plusieurs rôles, notamment le rôle de l’homme, de l’ado, de la mamie, et, bien sûr, de la blonde ?

J’aime me moquer de tout le monde, et de moi la première. L’humour offre cette liberté. En France, on peut rire de tout. Contrairement à ce que pensent plein de gens, je pense qu’on peut rire de tout. La seule limite étant ce qui ne me fait pas rire.

Et qu’est-ce qui ne vous fait pas rire ?

Beaucoup de choses ne me font pas rire. La politique ne me fait pas du tout rire, par exemple.

Ce deuxième spectacle est un succès : qu’est-ce qui en fait la force ?

Ce deuxième spectacle est encore mieux écrit que le premier. Je suis une grande fanatique des mots, et la langue française s’y prête. On a tellement de mots, qui permettent tellement de nuances… Ça permet d’être vraiment très précis. De plus, tout ce que je dis dans ce spectacle est vrai. Chaque date citée est vraie. Cela a nécessité un gros travail d’écriture. Mais c’était mon objectif de départ : faire rire les gens, et, en même temps, apporter de la culture.

Caroline Vigneaux spectacle monaco
© Photo JMD Prod

« C’est la première fois que je viens en spectacle à Monaco. Je suis très excitée. Monaco représente un lieu de vie de rêve. Les princesses de Monaco, le Rocher… Il y a tout un imaginaire qui va avec Monaco, et qui ressemble au paradis »

Qu’est-ce que ça représente Monaco pour vous ?

C’est la première fois que je viens en spectacle à Monaco. Je suis très excitée. Monaco représente un lieu de vie de rêve. Les princesses de Monaco, le Rocher… Il y a tout un imaginaire qui va avec Monaco, et qui ressemble au paradis.

Vous adaptez certaines parties de votre spectacle à la sociologie de la ville dans laquelle vous jouez ?

Très peu. À chaque fois qu’on me dit ça, c’est comme si l’humour n’était pas une seule et même unité. Mais c’est vrai que j’aime beaucoup l’improvisation. C’est un moment où on est sur un fil, et c’est lié à chaque ville, et à chaque public. Donc chaque improvisation est différente. En fait, tout dépend de ce qu’il se passe, ou non, dans la salle.

Le féminisme est très présent dans ce spectacle : que signifie “être féministe” en 2022 ?

Comme je le dis dans mon spectacle, j’ai un féminisme de réconciliation. Parce que moi, j’aime les hommes. Je le dis haut et fort. Je trouve vraiment dommage qu’aujourd’hui on entende beaucoup trop les extrêmes, et très peu les féministes. Qu’ils soient hommes ou femmes d’ailleurs, ces féministes veulent davantage d’unité, d’amitié et de justice. C’est aussi ça qui m’a donné envie d’écrire ce spectacle. Mais on entend peu ce discours. Ce qu’on entend, ce sont des folles dingues qui disent que tous les hommes sont des prédateurs. Des choses folles, que je ne peux pas entendre. Du coup, je comprends pourquoi certaines personnes ne veulent pas se dire « féministes », alors qu’au fond, elles le sont.

Vraiment ?

Oui, parce que le féminisme c’est l’égalité des hommes et des femmes en droits. En France, juridiquement, cette égalité existe. Le problème, c’est que les mentalités nécessitent plus de temps pour changer. Quand on regarde des micro-trottoirs réalisés en France dans les années 1970, dans lesquels on demande aux hommes s’ils tapent sur leurs femmes, un homme sur deux répond : « Pas vraiment. Juste une claque comme ça, de temps en temps. Juste ce qu’il faut, quoi. » Un autre dit aussi : « De toute façon, les femmes ne comprennent que ça, donc de temps en temps, il faut y aller. » Et ça passait. On vient de là. Mais, les choses changent. Grâce à #MeToo, on a bien avancé. C’est pour ça que je dis que je suis une féministe optimiste, parce que je sais que l’on va dans le bon sens.

Qu’attendez-vous, aujourd’hui ?

Aujourd’hui, j’attends le moment où on aura exactement les mêmes salaires entre les hommes et les femmes. Il y a aussi le fameux « plafond de verre » qui fait qu’aux postes de commandement, on trouve beaucoup d’hommes. En revanche, pour les postes de travail situés en dessous, on a beaucoup de femmes, et peu d’hommes. Même dans le secteur de la cuisine, qui est souvent un lieu réservé aux femmes, dès que l’on va dans des restaurants trois étoiles Michelin, les femmes sont rares. Parce que la cuisine, quand c’est grand et fort, ça doit être fait par un homme. Tout ça vient d’une certaine culture. Et c’est en train de changer. Aujourd’hui, on trouve de plus en plus de femmes dans les restaurants trois étoiles Michelin, dans le BTP… Dans les cabinets d’avocats, le nombre de femmes associées évolue aussi à la hausse.

Caroline Vigneaux spectacle monaco
© Photo JMD Prod

« J’aime les hommes. Je le dis haut et fort. Je trouve vraiment dommage qu’aujourd’hui on entende beaucoup trop les extrêmes, et très peu les féministes, qu’ils soient hommes ou femmes d’ailleurs […]. C’est aussi ça qui m’a donné envie d’écrire ce spectacle »

L’éducation pèse beaucoup, aussi ?

C’est aussi un problème d’éducation. On dit aux filles d’être sage, de s’asseoir, de dessiner, et de ne pas abîmer leurs robes. En même temps, on pousse les garçons à ne pas se comporter comme une fille. On leur dit qu’un homme, un vrai, ça ne pleure pas, que ça n’a pas de sentiments, que c’est fort… Du coup, ce n’est pas facile non plus d’être un homme. Mais tout ça est en train de se rééquilibrer.

Vraiment ?

Concernant les violences faites aux femmes, on est enfin en train de prendre en compte l’ampleur de la vague. Pourquoi ? Parce que, enfin, les femmes parlent. Avant, personne n’en parlait, donc on ne savait pas. Aujourd’hui, quand je discute avec mes amies et que l’on réalise qu’aucune de nous n’a échappée à une forme d’agression, on se dit : « Ha oui, quand même… ».

La condition de la femme varie encore beaucoup d’un pays à un autre ?

Je termine mon spectacle sur la condition de la femme dans le reste du monde. L’Afghanistan est, bien sûr, un symbole. Mais il faut savoir qu’au Pérou, les filles ne peuvent pas aller à l’école quand elles ont leurs règles. En Inde, les filles doivent même dormir dans la rue pendant leurs périodes de règles, parce qu’elles sont jugées « impures ». Alors qu’il s’agit d’un truc de mammifères, et que c’est grâce à ça que l’on a des enfants.

À quand remonte votre engagement pour la cause féministe ?

Mon engagement pour la cause féministe remonte à très loin. Très vite, je me suis rendue compte quand j’étais enfant, que je n’avais pas le même traitement que mes cousins. Et cela m’énervait, parce que je n’ai pas choisi d’être une fille. Ce sentiment a ensuite été exacerbé avec ma vie d’avocate, parce que j’ai côtoyé beaucoup de femmes battues. Je me suis rendu compte de l’ampleur de la vague et du désastre que ça représente. Avoir été violée crée des traumatismes monstrueux. Sans oublier le parcours infernal entre le moment où une femme est violée, et le moment où elle décide de porter plainte. La prise en charge policière s’améliore, heureusement. Mais j’ai vu des trucs… Quand je dis à mes enfants qu’avant les femmes n’avaient pas le droit de vote, ils me regardent avec de grands yeux, en me demandant « pourquoi ? ». Dans mon spectacle, je me replonge dans différentes époques, avec la vision d’une femme d’aujourd’hui. C’est aussi ce que j’ai fait dans mon film, Flashback (2021), qui est actuellement diffusé sur Amazon Prime  (1).

Caroline Vigneaux film Flashback

Que raconte votre film, Flashback ?

Flashback raconte l’histoire d’une avocate qui se retrouve projetée dans le passé, parce qu’elle n’était pas féministe. Elle est confrontée à des époques où les femmes étaient traitées de façon totalement différentes. Avec sa vision de la vie d’aujourd’hui et sa liberté d’avocate, l’héroïne est plongée dans la Révolution française ou au Moyen Âge, par exemple.

Votre spectacle s’attaque aussi aux codes de la domination masculine ?

Un peu. La domination masculine a existé. Je comprends que certains hommes soient choqués par ce terme. Parce qu’aujourd’hui, la plupart des hommes ne sont plus dans la domination. Mais ceux qui y sont encore, existent et font beaucoup de bruit. Quand les hommes disent qu’ils ne savent plus comment draguer une femme, parce qu’ils sont un peu déboussolés, je leur réponds qu’ils peuvent continuer à faire comme avant. Mais quand une femme dit « non merci », il faut s’arrêter. C’est ça qu’elles demandent. Rien de plus. Se faire siffler dans la rue, ce n’est pas grave. Mais insulter une femme qui ne répond pas parce qu’elle n’en a pas envie, la suivre et la bousculer, ce n’est pas acceptable.

« Je me suis rendue compte quand j’étais enfant, que je n’avais pas le même traitement que mes cousins. Et cela m’énervait, parce que je n’ai pas choisi d’être une fille. Ce sentiment a ensuite été exacerbé avec ma vie d’avocate, parce que j’ai côtoyé beaucoup de femmes battues »

Même si la politique ne vous fait pas rire, votre spectacle évoque aussi la campagne pour l’élection présidentielle française ?

Il y eu deux soirs où j’ai improvisé autour d’Eric Zemmour. Sinon, je parle très peu de lui, parce que je trouve qu’on lui donne beaucoup trop la parole. Il brigue le poste présidentiel, et il pense sincèrement que, génétiquement, les femmes sont moins intelligentes. Il a dit que partout où il y a des femmes, le pouvoir s’évapore. Et il estime que les grands génies ne sont que des hommes. Il devrait aller voir Marie Curie (1867-1934) pour lui dire…

Pourquoi avoir mis fin à votre carrière d’avocate en 2008 ?

Étonnamment, c’est la mort qui m’a poussée à mettre fin à ma carrière d’avocate. J’ai perdu mon grand-père, et quand il est mort, j’ai réalisé que moi-même j’étais mortelle. Ça a changé ma vie. Comme Confucius [28 septembre 551 av. J.-C. — 11 avril 479 av. J.-C. — NDLR] le dit : « On a deux vies. La deuxième commence quand on se rend compte qu’on en a qu’une. » Je me suis demandé si, avant de mourir, j’aurai fait tout ce que je veux faire. J’ai donc démissionné. Et j’ai décidé de faire ce que j’avais envie de faire : au lieu de continuer à défendre les gens, désormais, je les fais rire.

Avec un père ingénieur, une mère orthophoniste, et une éducation catholique stricte, comment êtes-vous devenue humoriste ?

La question, c’est plutôt : comment ne suis-je pas devenue humoriste plus tôt ? Dans l’éducation que j’ai reçue, il n’était pas dans le champ de mes possibles d’être humoriste. Et puis, j’ai grandi, j’ai réfléchi, j’ai fait des rencontres, j’ai réalisé que je vais mourir, et aussi que je suis pilote de ma propre vie. Même si j’aime mes parents, c’est ma vie. Or, si on en a envie, on peut changer de vie. Quand on s’en rend compte, c’est très grisant. Certains n’osent pas parce qu’ils ont été programmés pour répondre à un environnement : avoir un bon poste, ne pas faire de vagues, atteindre l’âge de la retraite en pleine forme… C’est un choix de vie.

Vous aviez déjà fait des spectacles, même amateurs ?

En tant qu’avocate, je faisais partie de la revue de l’Union des Jeunes Avocats (UJA). Pendant une semaine, on faisait un petit spectacle, et on se moquait de la vie judiciaire du barreau de Paris. Mais si vous n’êtes pas avocat, les blagues sur l’article 700 ne vont pas trop vous faire rire…

Quelle a été la réaction de vos parents ?

Au départ, mes parents ne savaient pas, donc ils n’ont pas trop mal réagi. J’ai tout fait sans rien leur dire. J’ai démissionné, j’ai écrit un spectacle, et après je leur ai dit. Ils sont tombés de très, très haut. Je savais qu’ils ne pourraient pas me dire « oui, vas-y fonce ». Il n’y a pas un parent avec sa fille avocate dans un gros cabinet américain, qui a fait des études, qui gagne très bien sa vie, qui aime ce métier et qui a tout réussi brillamment, qui puisse faire ça. Car la peur des parents, c’est : « Mais tu n’y arriveras jamais ! ».

En cas d’échec, c’était quoi le plan B ?

Il n’y avait aucun plan B, parce que l’échec n’était pas une option. Je ne voulais pas puiser de l’énergie pour penser à un plan B. Je me suis dit que j’y penserai quand j’aurai réalisé, et décidé, que cette nouvelle orientation était un échec. J’ai mis toute mon énergie sur la réussite de cette nouvelle carrière. Ça aura été beaucoup de travail, mais il faut croire en soi. Parce que tu ne peux pas demander aux autres de croire en toi si toi, tu ne crois pas en toi.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile, au départ ?

Le plus difficile, c’est de sortir d’une vie structurée, avec un métier et des revenus. Bref, une vie « normale », avec des gens « normaux ». Tout était normalisé, tout allait très bien. Et puis, je suis passée d’un seul coup dans l’anormalité totale. Plus d’horaires, plus rien. Vous écrivez en vous demandant si ça va marcher. Puis, vous jouez dans une petite salle, en assurant aux quelques spectateurs qu’un jour, vous ferez l’Olympia.

Les séries préférées de Caroline Vigneaux actuellement

Vous dites souvent avoir été marquée par la série Sex and the City : pour quelles raisons ?

La série Sex and the City parle de sexe avec une liberté que je n’avais jamais vue. Il est question de pratiques que l’on connaît, mais dont on ne parle jamais. Cette série coïncide avec l’arrivée des premiers sex toys en France. Parce qu’avant cette série, un sex toy, c’était lié aux sex shops. Or, dans Sex and the City, Charlotte, qui est le personnage le plus coincé du groupe, prend du plaisir avec son sex toy pendant des heures. Je me suis dit : « En quoi c’est mal de le faire ? Elle a raison Charlotte ! » C’est comme ça que je suis allée acheter mon premier sex toy. Cette série m’a donné une liberté de penser, et de parler. Et l’envie de briser les tabous féminins, comme je le fais dans ce spectacle.

Qu’est-ce qui vous fait rire aujourd’hui ?

Plein de choses. J’ai beaucoup apprécié La Fabuleuse Mme Maisel, qui raconte l’histoire d’une jeune femme qui quitte tout pour devenir humoriste dans les années 1950. Forcément, ça me parle. C’est très bien écrit, et c’est très drôle. La série Fleabag, de Phœbe Waller-Bridge, est aussi très drôle. Sinon, j’ai bien aimé Euphoria ou La Servante Écarlate, qui ne m’a pas fait rire, mais qui m’a beaucoup fait réfléchir.

Quels artistes vous ont le plus influencé ?

Au départ, c’est Jacqueline Maillan (1923-1992) qui m’a donné envie de faire ce métier. Je l’ai découverte à l’âge de 6 ou 7 ans. Mon grand-père a mis une cassette VHS dans le magnétoscope, et j’ai vu Croque-monsieur (1964). Je m’en souviens encore. J’ai vu cette femme qui faisait rire toute ma famille. Je l’ai trouvé incroyable. Je me suis dit qu’on pouvait être comme elle, exubérante, bruyante… Jacqueline Maillan est la première à m’avoir donné le goût de la liberté.

Vos projets ?

Mon film Flashback, que j’ai écrit, réalisé, et dans lequel je joue, est diffusé depuis novembre 2021. Je sors un peu de ce tourbillon. J’ai des idées de long-métrage, mais aussi de séries. J’ai plein d’idées qui sont en cours d’écriture. Mais, pour l’instant [cette interview a été réalisée le 23 février 2022 — NDLR], il n’y a rien de concret. Je ne suis pas encore totalement sûre, mais je pourrais continuer à tourner avec mon spectacle jusqu’en janvier 2023. Ce qui me permettra d’écrire mon nouveau spectacle pendant ce temps-là.

Les Sérénissimes de l’humour 2022 : Le programme, du 15 au 19  mars

Patrick Timsit

Le 15 mars 2022. Tarif : 42 euros.

À 20 heures, au Grimaldi Forum

Caroline Vigneaux

Le 16 mars 2022. Tarif : 42 euros.

À 20 heures, au Grimaldi Forum

Jean-Luc Lemoine

Le 17 mars 2022. Tarif : 10 euros.

À 20 heures, au Grimaldi Forum

Plateau multi-artistes

Le 18 mars 2022. Tarif : 10 euros.

À 20 heures, au Grimaldi Forum

Roland Magdane

Le 19 mars 2022. Tarif : 42 euros.

À 20 heures, au Grimaldi Forum

+ d’informations sur : www.monaco-live-productions.com/agenda-spectacles/les-serenissimes-de-lhumour-2022.

Sur chaque billet vendu, 2 euros seront reversés à la fondation Flavien : www.fondationflavien.com.

1) Flashback, de Caroline Vigneaux, avec Caroline Vigneaux, Emy LTR, Lannick Gautry, Florent Peyre (FRA, 2021, 1h30). Sur Amazon Prime.