vendredi 19 avril 2024
AccueilCultureAaron : « Monaco représentela dolce vita »

Aaron : « Monaco représente
la dolce vita »

Publié le

AaRON est en concert à Monaco le 21 mai à l’espace Léo Ferré (1). Le duo Simon Buret – Olivier Coursier cartonne avec son troisième album studio, We Cut the Night. Simon Buret s’est confié à Monaco Hebdo. Interview.

Comment définir votre nouvel album, We Cut the Night(2) ?

J’espère que c’est un album éclairé, chargé de déclencheurs de sensations.

Ce disque est aussi beaucoup plus électronique : pourquoi ?

On a voulu faire un disque le plus resserré possible. On a travaillé sur les pleins et les déliés. Mais aussi sur l’espace entre les sonorités. Après, on a toujours mélangé les sons synthétiques et traditionnels dans nos chansons. On a toujours aimé cette idée d’avoir un squelette mélodique classique, c’est-à-dire une chanson que l’on puisse interpréter en guitare-voix ou en piano-voix, avec une vraie mélodie. Autour de ça, on aime poser des muscles plutôt synthétiques. C’est un mariage que l’on apprécie.

Ce côté très électro n’était donc pas prémédité ?

Il n’y a pas eu de volonté au départ d’aller plus dans un sens que dans un autre. On se met au service des mots et de la fusion entre ce qui est dit dans la musique et dans les mots. C’est ça qui nous intéresse.

En écoutant cet album, on pense à New Order et à Depeche Mode ?

On a des influences visuelles. On n’a jamais ressenti le besoin d’aller vers un style de musique en particulier. Notre façon de travailler est vraiment très visuelle. On a envie de parler du quotidien. J’ai toujours essayé d’écrire des choses qui parlerait aux gens. Je m’intéresse aux loosers, à ceux qui ne sont pas forcément en première ligne. Mais aussi aux sentiments les plus intimes. J’aime l’idée qui consiste à penser que l’on fait partie d’un tout et que l’on est tous relié les uns aux autres. C’est quelque chose qui m’influence. La grande nature et la force brute de la vie m’influencent aussi.

Vous avez aussi évoqué l’influence du film de Jim Jarmusch, Only Lovers Left Alive (2013) ?

Ce film raconte l’histoire d’amour vécue par un couple de vampires. Mais Jim Jarmusch ne s’intéresse pas aux vampires. C’est juste un terreau pour aborder la question de l’éternité. Quand on est éternel et qu’on a tout vécu, qu’est-ce qu’il nous reste ? Qu’est-ce qu’il reste dans un couple, dans l’amour, dans la vie et dans le rapport aux autres lorsqu’on a tout vécu ? C’est une question intéressante. Il reste alors souvent les choses essentielles. Aller chercher l’essentiel, l’essentiel des sentiments, c’est quelque de fort, qui m’a beaucoup touché dans ce film.

La nuit est presque aussi un personnage de ce film ?

Only Lovers Left Alive est un film qui parle du silence. Le film se déroule essentiellement la nuit, lorsque le masque social est différent et que cela permet de ne pas être piégé dans des codes sociaux trop évidents. On a alors l’esprit un peu plus libre, ce qui facilite aussi la création nocturne.

Vous êtes influencé par d’autres artistes ?

Oui. Notamment le vidéaste Bill Viola et le photographe Gregory Crewdson, deux artistes qui travaillent beaucoup entre chien et loup. La notion de clair-obscur me parle beaucoup : l’ombre portée par la lumière et inversement. Car il n’y a pas de lumière sans ombre et pas d’ombre sans lumière. Avec Olivier, on aime bien qu’un morceau possède plusieurs lectures, que tout ne soit pas donné d’emblée.

Comment sont répartis les rôles avec Olivier Coursier ?

J’écris les textes. Ensuite vient le moment du rebond dans la composition. On cherche alors le son qui va nous exciter l’oreille. On taille, on grossit, on modifie… Mais surtout, on se laisse porter par ce qu’on fait. On aime aller vers l’inconnu. On essaye de trouver des axes et des choses qu’on n’a pas déjà faits. La musique est quelque chose d’infini. Aujourd’hui, avec les moyens que l’on a, on peut creuser et chercher de façon presque illimitée. C’est très excitant de rechercher pleins de matières et de sons différents.

C’est difficile de travailler à deux ?

Non. C’est un échange, c’est ce que j’appelle le moment du rebond entre Olivier et moi. Le fait d’avoir deux cerveaux sur la même longueur d’onde permet de gommer des idées superflues, d’aller à l’essentiel, de se dire que l’on va trop loin ou pas assez.

Musicalement, quelles sont vos influences ?

Avec Olivier, on a des goûts sur lesquels on se retrouve. On est assez complémentaires. J’aime avant tout les voix et le message ou le propos qui est derrière. Je suis traversé par des mots ou des phrases que j’estime essentiels et que je retrouve dans des chansons de Nina Simone (1933-2003), Jeff Buckley (1966-1997) ou de Leonard Cohen. Dernièrement, j’ai aimé Sufjan Stevens (3).

A l’inverse, qu’est-ce que vous n’aimez pas ?

Je n’aime pas quand les sentiments sont appuyés, quand on me dit : là tu dois danser, là tu dois courir, là tu dois pleurer… J’aime quand chacun peut faire sa propre interprétation du morceau.

Et Olivier, il écoute quoi ?

Il écoute souvent des choses assez techniques qui lui permettent d’aller chercher de nouveaux sons et de nouvelles matières. On se retrouve tous les deux à aimer The Weeknd ou Sufjan Stevens. En ce moment, Olivier écoute aussi beaucoup de sonorités hip-hop.

Dans votre album We Cut the Night, les titres Blouson noir ou The Leftovers sont taillés pour être des hits : c’était une volonté ?

Pas du tout. Faire les choses pour avoir du succès, c’est dangereux. Il faut d’abord que ces chansons soient un hit dans ma tête. Après, tant mieux si ça marche. On a eu la chance que certains de nos morceaux aient du succès. Et à chaque fois, ce que qui me surprenait, c’est que ce n’était pas prévu. En 2007, le titre U-Turn (Lili), avant d’être un tube, c’était rien du tout.

Vraiment ?

C’était un titre qui avait été refusé par toutes les radios. Donc tout ça ne veut rien dire. C’est tellement aléatoire… Ce sont des circonstances et des accidents heureux. Le fait que Blouson noir soit devenu une sorte d’emblème nous dépasse un peu. Et tant mieux.

Mais aujourd’hui, vous êtes connus !

Aujourd’hui, lorsqu’on sort un album, même si on ne connait pas sa destinée, on sait qu’on sera un minimum entendu. Et que des gens curieux vont écouter notre travail. Quand on fait un morceau comme The Leftovers, je pense tout de suite à la scène. Et je fantasme ce qu’il va se passer en concert. Plus que l’idée de tube, c’est le lien partagé qui nous intéresse. La possibilité de voir la réaction directe des gens face à quelque chose que l’on a créé à deux, en studio, nous excite.

Votre univers visuel est très soigné : comment est née la pochette de We Cut the Night ?

On a rencontré un collectif qui s’appelle A4. Ils avaient travaillé sur la pochette de l’album At Least for Now (2015) de Benjamin Clementine. Cette pochette nous avait beaucoup plu, parce qu’elle symbolisait beaucoup de choses et jouait sur une double lecture.

Vous avez travaillé avec A4 autour de quelles idées ?

Essentiellement deux idées. La nouvelle de Marcel Aymé (1902-1967) Le Passe-muraille (1941), qui est un livre qui m’a beaucoup marqué lorsque j’étais plus jeune. J’y voyais l’idée que la nuit, on peut traverser les murs. Et que donc, on pouvait traverser sa propre peau, sa propre carapace. Et c’est un peu l’idée du titre We Cut the Night : couper sa propre nuit pour emmener son monde intérieur vers l’autre.

Et la deuxième idée ?

C’est la couverture de survie. J’ai toujours été interpellé par cette couverture de couleur or que l’on voit aux JT dès qu’il y a une catastrophe. Comme une pépite d’or, on essaie de préserver la vie avec. Il y a quelque chose de très fort là-dedans. Du coup, les mecs de A4 nous ont proposé de poser ces couvertures de survie sur nos visages. On a mis en image ce mur que l’on traverse et nos visages recouverts qui sont des pépites de vie que l’on ramène, qui jaillissent de l’intérieur.

Et pour le clip de Blouson noir ?

On avait terminé notre album We Cut the Night et on cherchait une idée pour le présenter. Mais on voulait autre chose qu’une simple publicité qui dise : « Achetez l’album d’AaRON. » On a alors pensé à une sorte de préface, comme les quelques lignes d’un auteur qui présente ce qu’il va se passer, sans vraiment tout donner, pour pousser à lire la suite.

Pour cette préface, vous avez travaillé avec l’acteur américain, John Malkovich ?

John Malkovich connaissait notre travail, car on a des amis en commun. Mais on ne s’était jamais rencontré. Je lui ai donc écrit pour lui expliquer la genèse de Blouson noir. Ça lui a parlé. Il m’a rappelé et on a construit ensemble cette introduction à l’album, avec des phrases que j’ai écrites selon la technique du cut-up. Une technique qui consiste à découper un texte original en morceaux pour créer un nouveau texte. C’est John Malkovich qui dit ce texte, j’ai trouvé la statue avec des bras ouverts que l’on voit derrière lui. Ces bras symbolisent l’ouverture vers un nouveau chapitre.

Que représente John Malkovich pour vous ?

Pour nous, il incarne physiquement la notion de clair-obscur. Il y a autant de lumière que de noirceur en lui. Plus largement, il représente le symbole de vie.

Pourquoi cette volonté de chercher à tout maîtriser : la musique mais aussi tous les aspects visuels et scéniques ?

C’est moins une volonté de maîtrise, qu’un partage avec les autres. Avec Olivier, on a envie de raconter tellement de choses… Aujourd’hui, on a la possibilité de collaborer avec beaucoup de gens. Avec les mecs d’A4, on a vraiment travaillé main dans la main. C’est un partage. La manière dont on encadre un projet ou une chanson, c’est important pour nous.

Vos formations de départ expliquent en partie cette recherche permanente de l’ouverture ?

Je viens des Beaux Arts et Olivier était graphiste au départ. On a toujours aimé s’intéresser à beaucoup d’univers. Jusqu’à la mode, les vêtements, la façon de présenter les choses sur scène, les lumières… Tout est lié. Je vois la musique comme un point de départ vers plein d’autres choses. On présente une sensation, une émotion ou un instant suspendu. A partir de là, les possibilités pour mettre les couleurs là-dessus sont gigantesques.

En 2011, vous avez dit dans une interview : « AaRON, ce n’est pas que U-Turn (Lili) » : aujourd’hui vous en avez marre qu’on vous parle toujours de cette chanson ?

Pas du tout. Je ne pense pas avoir dit ça sous cette forme-là. J’adore U-Turn (Lili). Ce titre est un vrai cadeau qui nous a permis de rencontrer le public. Il nous a ensuite fallu apprivoiser ce nouveau monde qui se présentait à nous. Notre premier album, Artificial Animals Riding On Neverland (2007) a été assez largement écouté. On a donc très vite compris qu’on était un groupe. Si on avait subi le poids de n’être qu’une chanson, cela aurait été très dur. Mais être accepté en tant que groupe nous a portés.

Vous ne ressentez vraiment aucune lassitude face à des tubes comme U-Turn (Lili) ?

On n’est pas esclave de nos morceaux, car on réorchestre toujours tout. On rejoue nos anciens titres avec de nouvelles matières. Cela nous permet d’être libres. Et puis, on a fait que trois albums. Je n’ai pas encore 50 ans. Voir que nos albums se vendent, que les gens sont curieux de notre travail, voir que nos concerts sont remplis, voyager, c’est un tel cadeau…

En tout cas, U-Turn (Lili) a vraiment boosté votre carrière ?

U-Turn (Lili) a été un titre fort en France, car il accompagnait le film de Philippe Lioret, Je vais bien, ne t’en fais pas (2006). Mélanie Laurent et Kad Merad ont eu un César. Mélanie n’était pas vraiment connue avant ce film. Et nous, on a été nominés aux Victoires de la musique pour U-Turn (Lili). Tout a été tellement grand pour tout le monde, alors que ça n’était pas du tout prévu… Ça nous a tous marqués. Mais c’était juste un premier rendez-vous qui, par magie, a continué.

Vous allez revenir au cinéma, que ce soit sur une bande originale ou comme acteur ?

C’est toujours au cas par cas. Il faut voir ce qu’on nous propose. En tant qu’acteur, aussi. Le problème, c’est qu’on voyage beaucoup, donc c’est compliqué. Mais oui, c’est toujours dans un coin de ma tête.

Désormais, la médiatisation passe aussi parfois par la publicité et on entend Blouson noir dans une publicité pour Yves Saint Laurent à la télévision ?

Yves Saint Laurent est une maison qui possède une symbolique très forte. C’est une sorte de monument français. On a donc été touché qu’ils fassent appel à nous pour ce spot publicitaire diffusé dans le monde entier. Au fond, ça dépasse la simple idée d’une publicité. Vendre du parfum, c’est vendre une odeur et donc vendre un souvenir. C’est impalpable. Et c’est assez drôle de vendre quelque chose d’impalpable…

Si vous aviez été approchés par une marque de lessive, vous auriez refusé ?

On a déjà dit non. Parce que ça ne correspondait pas à l’image qu’on avait envie de donner. Mais je trouve drôle que les gens découvrent la musique par la publicité. On rentre dans le cœur même du capitalisme et de la consommation, car il s’agit de publicités destinées à faire vendre des produits. Et en même temps, on ramène ça à quelque chose de complètement éthéré et d’aérien qui est la musique. De la musique qui va amener des gens à des concerts.

Sinon, vous lisez quoi en ce moment ?

Je suis en train de lire M Train (2016) de Patti Smith (4). Elle fait partie des gens qui me nourrissent beaucoup, par leurs mots, par leur énergie. Elle incarne quelque chose d’essentiel pour moi aujourd’hui. Je suis donc ravi à chaque fois de me plonger dans l’un de ses livres. Que ce soit Just Kids (2010) ou Glaneurs de rêves (2014), il y a toujours des choses que j’attrape et qui me nourrissent beaucoup.

Le dernier film que vous avez vu, c’était quoi ?

C’était un DVD : Le Testament d’Orphée (1959) de Jean Cocteau (1889-1963). Je n’avais jamais vu ce film. J’adore Cocteau. C’est étrange, mais c’est assez bouleversant. Il y a dans ce film beaucoup de choses qui peuvent emmener ailleurs. Sinon, dernièrement j’ai aussi beaucoup aimé Youth (2015), de Paolo Sorrentino. J’avais déjà adoré La Grande Bellezza qu’il a réalisé en 2013 et qui, pour moi, est un chef d’œuvre qui m’a complètement scotché.

Et le dernier disque que vous avez écouté ?

Low (1977) de David Bowie (1947-2016). Je l’écoute à fond. J’adore ça. Bowie est un exemple de liberté et de curiosité. Je crois qu’on meurt le jour où on cesse d’être curieux.

La scène, c’est important pour vous ?

C’est extrêmement important pour nous. La quintessence du partage, c’est la scène. On est tous ensemble dans un moment présent et on va chercher un goût d’absolu. Il n’y a alors plus de passé, plus de futur : c’est de l’énergie brute, primaire et même animale. Que ce soit en tant que spectateur ou en tant que musicien, c’est ça que je viens chercher à un concert.

Comment se déroule votre dernière tournée, We Cut the Night Tour ?

On est quatre sur scène. Le cinquième membre, c’est la lumière. La lumière apporte une nouvelle forme de lecture. Par rapport au titre de notre dernier album, on cherchait à trouver quelque chose qui coupe l’espace. Et on a réussi à trouver.

Depuis le début de cette tournée, quel est le concert qui vous a le plus marqués ?

On a joué à La Réunion en plein air, sous un ciel étoilé, dans une sorte de théâtre antique entouré de cocotiers, avec la mer devant nous. C’était complètement dingue. Il y avait une énergie incroyable. J’avais l’impression d’être un miroir aux étoiles.

Vous avez déjà joué à Monaco ?

Oui. Mais jamais à la salle Léo Ferré.

Monaco, ça représente quoi pour vous ?

Monaco, ça représente la dolce vita.

(1) Tarifs : de 21 à 24 euros. Billets disponibles dans les points de vente habituels.

(2) We Cut the Night, AaRON (Cinq7/Wagram), 15,99 euros (CD).

(3) Carrie and Lowell, Sufjan Stevens (Asthmatic Kitty/Differ-ant), 20 euros (CD).

(4) Cette interview a été réalisée le 23 mars 2016.