vendredi 29 mars 2024
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Marie-Claude Beaud : “Il faut redonner de la visibilité aux arts visuels !”

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Marie-Claude Beaud
« Ce qui me passionne dans les musées, c’est de transmettre. » Marie-Claude Beaud. Directrice du NMNM. © Photo Monaco Hebdo.

Véritable électron libre, Marie-Claude Beaud a été nommée directrice du nouveau musée national de Monaco (NMNM) il y a un an. Arrivée « sans idée préconçue », elle évoque sa première année. Et nous confie ses projets. Interview relue.

M.H. : Votre premier bilan ?
M.-C.B. : Je suis arrivée avec un préjugé favorable. J’ai trouvé une équipe plus ou moins traumatisée par le départ de son directeur, et par des lieux qui avaient changé de destination. Je savais qu’il n’y avait pas de véritable musée. Nathalie Rosticher, la conservatrice en chef qui a assuré l’intérim, a conduit « les ballets russes » avec succès, puisque nous avons comptabilisé 20 000 entrées à la villa Sauber. Ce qui est beaucoup pour un petit lieu de 500 m2. Cette expo a eu pour fonction de remotiver, de remobiliser, de remodeler et de restructurer une équipe un peu désorientée. Et elle a démontré que, tout ce qu’on avait autour des arts des spectacles, était un point fort de la collection.

M.H. : Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?
M.-C.B. : La première année m’a servie à comprendre les différents cercles : autour du palais, autour du gouvernement, autour de l’administration et de la société civile. Au Luxembourg (ndlr : où elle a été directrice du musée d’art moderne Grand Duc Jean, de 2000 à 2008), l’administration était plus moderne. Peut-être à cause de l’Europe. Ici elle est en pleine transformation. J’ai reçu le soutien de Jean Charles Curau, le patron de la direction des affaires culturelles (DAC) qui nous a aidés à résoudre des problèmes administratifs. Des systèmes que je connaissais pas ou que je ne pratiquais plus. Comme des chèques par exemple. On perd un temps fou avec la paperasse ! J’étais un peu dans l’accélération. Car j’avais une fondation au Luxembourg. Alors qu’ici c’est un établissement public et ça ne fonctionne pas de la même façon. Mais j’aime aller vite. Et maintenant j’ai compris les circuits.

M.H. : Votre budget est suffisant ?
M.-C.B. : Concernant le budget, on nous a tapé sur les doigts. Nous sommes bien sûr solidaires de la crise, mais on nous a un peu trop coupé les vivres. Je ne suis pas choquée par la réduction de budget pour les expositions. Nous avons dû puiser dans les fonds de réserve des années précédentes. Par contre, je suis gênée par la suppression du budget d’acquisition. Nous allons redemander en haut-lieu une rallonge de crédit pour l’année 2010 et pour le budget rectificatif. Car nous voulons diffuser des publications, développer une communication internationale pour faire face à la concurrence mondiale, faire produire des œuvres uniques que nous garderons dans nos collections à l’occasion des expos. Et pour ça, il nous faut des moyens financiers.

M.H. : Et votre équipe ?
M.-C.B. : Cristiano Raimondi m’assiste au développement. Et j’ai renforcé mon équipe avec une chargée de communication, une administratrice, du personnel à l’éducation des publics et à la régie des expositions. Alors qu’à la scénographie, nous avons la chance de collaborer avec Dominique Drillot, un magnifique metteur en lumières. Mais dans l’idéal, nous aurions besoin de nouveaux partenaires et experts extérieurs, d’un assistant de communication, d’un assistant à l’éducation et d’un documentaliste.

M.H. : Qu’est-ce que le concept “training for a museum” ?
M.-C.B. : On veut entraîner l’équipe à la notion de musée à Monaco, avec les particularités d’un petit pays recélant une communauté internationale, et ayant des relations privilégiés avec l’Italie et la France. Avec « training for a museum », on prend ce qu’on a dans nos collections, et on va plus haut, plus loin. On part d’un héritage culturel, historique et artistique et on enrichit le propos. Ce qui me passionne dans les musées, ce n’est pas de faire des affaires pour acheter les œuvres chics et chères. C’est de transmettre. J’achète des œuvres, je constitue une collection, je travaille avec une équipe, et je transmets à un public avec l’aide des artistes : c’est ça, « training for a museum ».
M.H. : Mais vous devez aussi arriver à monter un programme dans des petits lieux ?
M.-C.B. : Tout à fait. Nous exposons dans deux villas, la Sauber et la Paloma. Sauber, dédiée aux arts du spectacle, rouvre en juin prochain avec Looking up… avec Yinka Shonibare MBE, un artiste britannique d’origine nigériane. Paloma sera spécialisée sur le paysage et le territoire. Ce qui est à la fois la force et la faiblesse de Monaco, c’est sa localisation : un rocher qui regarde la mer. L’exposition d’ouverture va surprendre les gens car le projet architectural, c’est quand même de transformer une maison privée en musée public. Elle rouvre le 17 septembre. Et nous allons travailler avec le jardin exotique et le musée d’anthropologie sur un billet commun. Il n’y aura jamais, dans nos lieux, d’expositions permanentes, où on accroche les toiles une fois pour toutes et où on attend le visiteur. Plus aucun musée ne fait ça !

M.H. : Et votre collaboration avec le musée océanographique ?
M.-C.B. : La collaboration a été un peu compliquée car nous étions, avec Robert Calcagno, deux directeurs qui arrivaient. Lui à la barre d’une grosse machine qui dépend du système français, et moi, avec un manque de moyens. Le partenariat avec le musée océanographique sur le rapport art et science est formidablement intéressant. Car nous mêlons nos savoir-faire scientifique et artistique. Il se concrétise pour la première fois avec Damien Hirst, ce vilain petit garçon brillant. Il est absolument génial sur l’utilisation de l’espace, d’une intelligence remarquable. D’ailleurs, il entraine son public là où il le veut. Mais nous sommes peu intervenus sur cette exposition. Car cet artiste contrôle tout. Nous avons mis à disposition et formé des guides avec l’équipe du musée, et nous avons rédigé les fiches.

M.H. : Et ensuite ?
M.-C.B. : La suite de ce partenariat se réalisera au mois de novembre, sous l’impulsion du musée océanographique, avec une exposition sur le thème de la biodiversité et la présence d’un artiste chinois, Huang Yong Ping, qui travaille sur la taxidermie. D’ailleurs, il est en train d’accomplir une commande pour le musée.

M.H. : Et en 2011 ?
M.-C.B. : En avril 2011, nous présenterons à notre initiative « un cabinet de curiosité » en lien avec le travail de l’artiste-scientifique allemand Ernst Haeckel (1834-1919) dont certaines œuvres sont au musée océanographique. Avec des inventions très poétiques de nouvelles espèces à partir d’organismes existants, par l’artiste David Casini. Mark Dion y participera également, avec le résultat de ses plongées. Ces artistes sont sur un autre plan que Damien Hirst. Car ils travaillent sur le contenu scientifique comme des scientifiques. Ce n’est pas la même approche.

M.H. : Vous allez vous agrandir ?
M.-C.B. : L’opération de squattage organisée doit être limitée dans le temps. Et nos réserves sont trop petites pour entreposer toutes nos collections. Nous devrions gagner des m2, entre 2500 et 3000, en creusant sous les terrasses de la villa Sauber. Nous sommes en pleine étude avec le service prospective pour leur présenter un cahier des charges. Car l’idée principale, c’est d’obtenir plusieurs salles d’au moins 500 m2 d’un seul tenant, avec des hauteurs sous plafond d’au moins 4 mètres. Tout ça doit se faire dans un temps assez court.

M.H. : Des résidences d’artistes au programme ?
M.-C.B. : Nous soutenons un projet de résidence artistique qui est en train de se mettre en place avec Charlotte Casiraghi, “On M. Residency”, en collaboration avec la DAC, qui commencera en juin prochain. Un artiste a déjà été sélectionné et bénéficiera d’une résidence de 3 mois dans un atelier du quai Antoine 1er, mis à disposition par la DAC. Mais je laisse le soin à Charlotte de l’annoncer prochainement. 3 mois me paraît un bon timing. Pas pour finaliser une œuvre, mais pour débuter un projet. Ils feront certainement une opération d’open studio le moment voulu. Il faut redonner de la visibilité aux arts visuels.

M.H. : Vous avez d’autres projets ?
M.-C.B. : Il faut utiliser toutes les capacités qu’il y a à Monaco, qu’on sous estime parfois, et utiliser tous les possibles. Nous souhaitons développer avec l’association des Amis du NMNM et d’autres mécènes des liens privilégiés en leur demandant de venir nous aider sur un programme d’exposition, éducatif, de publication… Ce sont des échanges de projets. Le premier pourrait se faire au moment du Grand Prix de F1, avec l’installation de Bertrand Lavier : Ferrari 308 GTS. Un mécène finance toute l’installation de l’œuvre dans le garage de la Villa Sauber. En échange de quoi il peut utiliser ses jardins pendant un certain temps défini par contrat. Et puis, je voudrais pousser les jeunes artistes monégasques, à sortir de la Principauté, à aller voir ailleurs, à prendre la température du monde artistique, pour se confronter, se mettre en compétition. Et sortir d’un cercle fermé, pour mieux revenir ensuite.

Un jardin, une autre œuvre d’art

“J’adore les jardins !, s’enthousiasme Marie-Claude Beaud. Je pense qu’ils sont un lieu d’expression et de conception formidables. Nous avons un projet de création de jardin succulent à Paloma avec la direction de l’aménagement urbain (DAU), pour ramener le public, notamment les plus jeunes, vers la nature. Je suis frappée par la force incroyable de la végétation, qui est si bien entretenue à Monaco, peut être pour se faire pardonner de l’invasion un peu brutale de ces immeubles. Le dernier pressoir à olives, gardé par le service des jardins, sera certainement incorporé au parcours Vita, de l’autre côté de la Paloma. La Villa Sauber, quant à elle, a recueilli des agrumes qui devaient être déménagés. Et ça m’a donné une idée radicale ! Dans cette villa, de nombreuses sculptures ont été emmagasinées sans le moindre sens entre elles. Nous allons les disposer face à ces agrumes déracinés, comme un inventaire général ! Et quand les travaux seront terminés à Sauber, je voudrais faire appel à un artiste paysager pour qu’il conçoive un véritable jardin avec une pensée, une histoire”.

Prochaines expositions du NMNM

Villa Sauber

Dès le 13 mai, le NMNM exposera une de ses dernières acquisitions, Ferrari 308 GTS de Bertrand Lavier, qui deviendra une œuvre publique visible sur l’avenue Princesse Grace dans le garage de la Villa Sauber, réaménagé pour l’occasion en une vitrine d’exposition.
A partir du 8 juin : « Looking up… », une série qui invitera des artistes contemporains à regarder autrement les collections du musée. Yinka Shonibare, MBE sera le premier artiste convié. Ce nigérian a travaillé sur le monde de la danse en film et en sculpture et a pris le wax africain (tissu traditionnel) comme un emblème : un homme conscient de l’histoire mêlée de l’Angleterre avec ses colonies, et de l’Europe face à l’esclavage. Le NMNM a acheté la méduse pour sa collection.

Villa Paloma

A partir du 18 septembre, l’artiste allemand Thomas Demand proposera une exposition autour de l’œuvre de Luigi Ghirri confrontant son travail, celui de René Magritte, de Tacita Dean, de Rodney Graham et de Martin Boyce. Le paysage vu à travers différentes techniques (photo réelle ou reconstituée, peinture, vidéo) pour différentes approches de la réalité selon divers formats.

Musée océanographique

A partir du 18 septembre 2010 : installation d’une création de Huang Yong Ping à l’occasion de l’exposition « Que Vive la Méditerranée et la biodiversité ! »
Exposition de Mark Dion et David Casini autour de l’œuvre de Ernst Haeckel à partir d’avril 2011.