vendredi 29 mars 2024
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Gilles Jacob : « Je revendique un droit à l’erreur »

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Gilles Jacob, l’ancien sélectionneur du festival de Cannes, qui fut président de 2001 à 2014 (1), commente pour Monaco Hebdo l’actualité autour du 71ème festival de Cannes, qui se déroule du 8 au 19 mai. Alors qu’il vient de publier son Dictionnaire amoureux du festival de Cannes(2), Gilles Jacob évoque aussi ses souvenirs, les palmarès discutables, les relations avec Netflix ou encore l’affaire Harvey Weinstein. Interview. 

Pourquoi avoir décidé d’écrire ce Dictionnaire amoureux du festival de Cannes ?

On m’a proposé d’écrire ce livre. Surtout, ce livre fait plus de 800 pages, ce qui permet de le lire sous des angles très différents : historiques, artistiques, sociologiques, administratifs, journalistiques avec les critiques, géographiques, économiques… Je ne voulais pas m’intéresser qu’aux cinéphiles, je voulais viser aussi le grand public. Au fond, il ne s’agit pas d’un dictionnaire amoureux du festival de Cannes, mais plutôt du cinéma mondial. D’ailleurs, j’ai rendu hommage à 200 ou 250 grands réalisateurs, à des actrices, à des acteurs…

Votre premier festival de Cannes, c’était en 1964 comme journaliste : de 1964 à 2018, qu’est-ce qui a changé ?

Tout. Et à un point que vous ne pouvez pas imaginer. Puisqu’au début, ce festival se déroulait dans une seule salle de 1 200 places, située dans l’ancien palais, qui est devenu un hôtel. Les gens étaient principalement logés au Carlton, et aussi au Majestic et au Martinez. Ils faisaient quelques dizaines de mètres pour se rendre à la salle de projection. Il n’y avait aucune sécurité, pas de barrières. Il n’y avait que quelques dizaines de photographes et de journalistes qui faisaient leur travail très paisiblement. Je ne veux pas faire de nostalgie, mais les choses étaient très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui.

Vraiment ?

Oui. Par exemple, Jean Cocteau (1889-1963), qui a été trois fois président du jury du festival de Cannes, arrêtait parfois la projection d’un film en plein milieu, en disant : « Et si on allait dîner ? ». Il partait dîner dans l’arrière pays avec son jury et ils revenaient pour reprendre le film à l’endroit où ils l’avaient laissé. Vous imaginez ça aujourd’hui ? C’est impensable !

Comment ce festival s’est développé ?

L’arrivée du nouveau palais en 1983 a tout changé, car il a permis de développer le marché du film. Et c’est bien tombé, car c’est arrivé au moment où je sentais que l’Etat allait considérablement réduire les flux financiers permettant de faire fonctionner ce festival.

Votre réaction ?

J’ai dirigé le festival de Cannes vers trois grands axes : le marché du film, l’arrivée des télévisions, notamment avec un accord signé avec Canal+ et le club des grands partenaires, que ce soit L’Oréal, Air France, Chopard ou la Société Générale. Ce club nous a permis de créer des événements, en plus de la projection des films. Notamment des anniversaires, des hommages, des expositions… Après avoir acquis notre indépendance diplomatique et artistique, nous avons ainsi gagné notre indépendance économique.

Indépendance diplomatique ?

En 1972, quatre ans après mai 1968, le festival de Cannes a décidé qu’il choisirait ses films lui-même. Créé en 1946, sur une initiative du ministre de l’éducation nationale et des Beaux-arts du Front populaire, Jean Zay, et du ministre de l’intérieur, Albert Sarrault, c’était alors les pays qui envoyaient les films qui les représentaient au festival de Cannes. Ils envoyaient donc des films très académiques ou les films des copains… C’est pour cette raison que nous avons décidé de ne plus accepter cette situation. Et tous les autres festivals ont suivi.

Désormais, le business et l’industrie du cinéma sont de plus en plus puissants : artistique ou financier, qui domine aujourd’hui ?

Dans tous les cas de figure, c’est l’artistique qui doit dominer. Même si, bien évidemment, l’aspect financier est très présent, parce que le cinéma coûte très cher. C’est une industrie qui ne fabrique que des prototypes, sauf quand un film engendre des suites. Notre travail, c’est de veiller à ce que les films présentés soient les meilleurs disponibles à un moment donné. Et qu’il s’agisse aussi de films qui fassent progresser l’écriture cinématographique. Surtout à un moment où on se bat face à la concurrence des séries et des nouveaux dispositifs audiovisuels.

Il y a de plus en plus de marketing dans le cinéma, avec des films modifiés suite à des projections test, pour aboutir à des produits finalement très uniformisés, très formatés ?

Il y a toujours eu des projections test. Par exemple, en 1979, pour voir Apocalypse Now, j’ai envoyé une journaliste de L’Express, qui s’est déguisée en vieille femme, pour se glisser dans une projection test. A la fin de la projection, chacun devait remplir une fiche expliquant ce qu’il avait ou pas, ce qu’il faudrait changer, etc. Cette journaliste a pu ensuite me faire un compte-rendu complet. Ce qui m’a permis, par la suite, de pouvoir lancer les pourparlers pour voir le film.

Quelles anecdotes cannoises vous ont le plus marqué ?

En 1973, pour le film de Marco Ferreri, La Grande Bouffe, les acteurs se sont fait cracher dessus, après la projection. On n’avait jamais vu ça. On avait déjà eu des sifflets, des hurlements, des gens qui quittaient la salle… Mais on avait jamais eu d’attaques physiques. Notamment sur Catherine Deneuve, qui était là, au bras de Marcello Mastroianni (1924-1996), mais qui n’était pas du tout au générique de La Grande Bouffe. Voilà comment on en arrive, parfois, à des aberrations…

D’autres polémiques vous ont marqué ?

Bien sûr. Par exemple avec L’Avventura (1960) de Michelangelo Antonioni. C’était un film qui était en avance sur son temps, et qui a provoqué une véritable bagarre, y compris entre les critiques. Du coup, le public a eu envie de voir par lui-même et il s’est rendu dans les salles de cinéma. Ce qui a été une bonne chose pour ce film.

Il y a aussi parfois eu des tensions au sein de certains jurys ?

C’est arrivé. Je me souviens, par exemple, d’un jury présidé par Isabelle Adjani. Elle ne s’entendait pas avec l’un des jurés, le réalisateur anglais Mike Leigh, qu’elle traitait de « nain de jardin ». Ce n’était pas d’une amabilité folle. Et lui, il répondait en disant : « Elle ne sait même pas ce que c’est qu’un travelling. »

Les jurés peuvent se tromper ?

Je revendique un droit à l’erreur, parce que tout le monde se trompe, tout le temps. Le directeur du festival se trompe le premier en ne prenant pas un film qu’il aurait fallu prendre et en laissant un film qu’il aurait fallu prendre. Le journaliste se trompe, parce qu’il est obligé de travailler vite. Et le jury se trompe souvent. Par conséquent, beaucoup de films n’ont pas eu la Palme d’or, alors qu’ils auraient dû l’avoir, pendant que d’autres films l’ont eu avec un long-métrage qui n’était pourtant pas le meilleur film de leur réalisateur.

Vous avez des exemples ?

Prenons le réalisateur grec Theo Angelopoulos (1935-2012). Lorsqu’il a eu la Palme d’or avec L’Eternité et un jour (1998), ce n’était pas avec son meilleur film. Le Danois Bille August a obtenu deux Palmes à Cannes : en 1988 avec Pelle le Conquérant, et en 1992 pour Les Meilleures Intentions. Le premier était un film estimable, alors que le second n’était pas terrible.

Comment en arrive-t-on là ?

On arrive souvent à ce genre de situation lorsque le jury n’arrive pas à se mettre d’accord entre deux films. Il faut alors trouver un compromis en se mettant d’accord sur un troisième film. Et souvent ce troisième film est moins bon que les deux premiers.

Pourquoi les chefs d’Etat évitent de se montrer à Cannes ?

Il y a tellement de projecteurs à Cannes, que beaucoup d’hommes et de femmes politiques viennent monter les marches. J’ai, par exemple accueilli, le Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin, qui avait joué dans un film et qui a donc monté les marches comme un acteur. Mais c’est vrai que les présidents de la République ne viennent pas à Cannes. Valéry Giscard d’Estaing n’a jamais voulu venir. Il n’aime pas le cinéma. D’ailleurs, quand je lui ai demandé la légion d’honneur pour Federico Fellini (1920-1993) et Ingmar Bergman (1918-2007), il l’a refusée à Fellini parce que Bergman avait eu un problème d’ordre fiscal. Comme Giscard d’Estaing n’a pas donné la légion d’honneur à Bergman, il ne l’a pas donnée non plus à Fellini. Ce n’est que plus tard qu’ils sont arrivés à l’avoir.

Et dans les années 90 et 2 000 ?

J’ai eu des batailles homériques avec la fille de Jacques Chirac. Parce qu’elle estimait que Cannes était trop connoté « strass et paillettes », elle ne voulait pas que son père, qui a présidé la France de mai 1995 à mai 2007, vienne au festival. J’avais même proposé, avec l’appui du conseiller en communication Jacques Pilhan, de casser le protocole.

Comment ?

L’idée, c’était, avec le directeur du festival de Cannes, Pierre Viot, d’accueillir Jacques Chirac sur les marches en costume complet, et pas en smoking. Malgré ça, ça n’a pas été possible. Mais, en mai 1997, à l’occasion du 50ème festival de Cannes, Jacques Chirac est venu déjeuner avec le jury et tous les anciens présidents de jury. Depuis, François Hollande n’est pas venu. Et Emmanuel Macron a autre chose à faire, ce que je comprends très bien. Au moment où la vie des Français est très dure, les chefs d’Etat français considèrent que venir à Cannes serait indécent.

Dans votre dictionnaire, une entrée est consacrée à Harvey Weinstein : comment se comportait-il à Cannes ?

Ce n’était pas seulement à Cannes. Deux fois par an, je voyageais pour chercher des films. J’allais notamment à New York et à Hollywood. Harvey Weinstein se comportait comme un gougnafier. C’était un homme horrible, qui voulait vous intimider par sa présence très corpulente et un regard vraiment méchant. Il me harcelait au téléphone. En 24 heures, il a dû m’appeler 10 fois. J’ai compris que si je cédais, j’étais fichu. Donc, je lui ai dit que, même si son film était très bon, je ne le prendrai pas, pour faire un exemple et le faire savoir dans le monde entier.

Vous avez rencontré Weinstein à d’autres occasions ?

Alors que j’étais à Hollywood, entre deux films, je

suis allé manger une omelette dans une petite taverne mexicaine. Tout d’un coup, Harvey Weinstein était là, à genoux. Il m’a dit : « Je ne me relèverai pas tant que vous ne prendrez pas mon film. » C’était un film de Sean Penn. Je lui ai répondu : « Vous pouvez rester là toute la nuit si vous le voulez. Parce que je vous le dis tout de suite : je ne prends pas votre film. » C’est avec cette brutalité, qui est venue contrer une autre brutalité, que je suis arrivé à tenir ma position.

Comment se comportait Harvey Weinstein pendant le festival de Cannes ?

Comme beaucoup de magnats américains, il résidait souvent à l’hôtel du Cap. Sans être invité, il venait dans des dîners que j’organisais. Il se dirigeait vers moi, en m’expliquant qu’il venait simplement prendre un verre. Et puis, il partait avec l’un de mes invités, sois-disant pour faire des affaires. N’osant pas refuser, la personne le suivait. C’était d’une impolitesse et d’une grossièreté complète.

Accusé d’agressions sexuelles en octobre 2017, la participation de Kevin Spacey a été “effacée” du nouveau film de Ridley Scott, Tout l’argent du monde : ça vous inspire quoi ?

Si on considère que Kevin Spacey s’est mal comporté et que, pour cette raison, on ne le fasse pas tourner dans un film, c’est un autre problème. Là, il a fallu remplacer Kevin Spacey par un autre acteur, ce qui a coûté des millions de dollars. Tout ça me paraît un peu biscornu. Et ça n’empêche pas que c’est un très bon acteur. Mais s’il doit être condamné, qu’il le soit.

En 2011, Lars Von Trier a été exclu du festival pour avoir dit qu’il « comprenait Hitler », mais son film a pourtant été conservé et primé ?

On peut très bien exclure une personne qui s’est mal conduite ou qui a fait des déclarations ahurissantes. Mais il y a 150 personnes qui travaillent sur un film : ces gens-là ne sont pas responsables. On a donc demandé à Lars Von Trier de quitter Cannes, mais on n’a pas exclu son film, Melancholia (2011). Et je crois qu’on a bien fait. L’actrice américaine, Kirsten Dunst, a d’ailleurs obtenu le prix d’interprétation féminine pour ce film.

Depuis l’affaire Weinstein, la parole des femmes du monde entier semble avoir été libérée ?

Mais depuis l’affaire #metoo, un chambardement mondial est en cours (lire notre dossier publié dans Monaco Hebdo n° 1036). Ce qui est très bénéfique, parce que ça va redonner aux femmes la présence qu’elles auraient dû avoir depuis longtemps. Notamment pour le métier de metteur en scène. Parce que, souvent, les femmes sont confinées par les producteurs dans des rôles de techniciennes, de scripts, de monteuses, de chefs opérateurs… Ce sont, bien sûr, de très beaux métiers. Mais metteur en scène, c’est généraliste. Et c’est donc le plus beau métier du monde.

Dans le monde du cinéma, les femmes sont en souffrance ?

Au bout d’un certain temps, les comédiennes ne trouvent plus de rôles. Pour le métier de metteurs en scène, être une femme rend les choses beaucoup plus difficiles que pour les hommes, et les salaires sont bien moindres. Je ne suis pas pour la parité dans les festivals. C’est au cinéma de commencer à travailler là-dessus. En revanche, je suis pour l’égalité des salaires. Car cela va revaloriser les femmes, en leur donnant plus de force et plus de moyens.

En avril dernier, le directeur des contenus de Netflix, Ted Sarandos, a indiqué qu’aucun film Netflix ne sera projeté cette année sur la Croisette : Cannes peut continuer à se priver de Netflix ?

Cannes a proposé à Netflix de venir hors compétition. Mais les choses ont été faites à l’envers. On a commencé en 2017 par mettre les films Netflix en compétition. Du coup, la profession a très violemment réagit. Cette année, les films Netflix ont donc été proposés hors compétition. Et le patron de Netflix n’a pas aimé, estimant que ses films devaient être traités comme les autres. Du coup, pour le moment, on est dans une impasse.

Comment gérer ce dossier sensible ?

Quand il y a des bouleversements technologiques, il faut commencer doucement. Il faut y aller, il faut être les premiers, mais il faut le faire de manière à ce que ce soit relativement accepté par les professions. Ce sont les salles de cinéma qui sont lésées par Netflix. Car un film ne peut être diffusé sur une plateforme de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) que 36 mois après sa sortie. Or, le patron de Netflix ne va pas dépenser des millions de dollars et attendre 36 mois pour montrer son film à ses abonnés. Il veut pouvoir diffuser son film tout de suite auprès de ses abonnés.

Vous êtes optimiste ?

Les choses vont finir par se tasser. Le nombre de mois avant une première diffusion va sans doute baisser et Netflix fera un effort pour comprendre la situation, un peu particulière, de la France.

Cette année, il y a une cinquantaine de films en sélection officielle, dont seulement 20 en compétition : comment passe-t-on de quelques 1 900 films visionnés à cette sélection très resserrée ?

En juin et juillet, on fait des listes de films. Tout le monde a le droit d’envoyer son film au festival de Cannes, d’autant plus que maintenant, ça ne coûte plus rien. Lors de ma prise de fonction, ça coûtait l’équivalent de plusieurs milliers d’euros, entre les droits de douane, les assurances, le transport, le retour des bobines qui pesaient plusieurs kilos… Aujourd’hui, grâce à internet, les films sont envoyés par un simple lien informatique. Vu le nombre de films reçus, on a monté un comité de sélection pour les films français et un autre pour les films étrangers. Mais aussi pour les courts métrages et pour les films de fin d’année à la ciné-fondation.

Qui décide, à la fin ?

Le délégué général, c’est-à-dire le directeur du festival. Evidemment, il ne peut pas tout voir. Il s’appuie donc sur les rapports de ses collaborateurs qui lui recommandent de voir tel ou tel film, en particulier. Ensuite, il décide. Mais pas forcément et uniquement par rapport à ce qu’on lui conseille. Il décide aussi par rapport à une répartition mondiale, par rapport à différents types de cinéma… Il n’y a pas que la qualité artistique d’un film. Il y a aussi toute l’harmonisation générale de la programmation qui est prise en compte.

Combien de films vous visionnez, avant un festival ?

Plusieurs centaines. Mais on ne les regarde pas tous en entier. Même s’il arrive qu’on arrête de regarder un film trop tôt et qu’on se trompe. Mais il est difficile de faire autrement. Car en multipliant 1 900 films par plus de deux heures, on se rend compte que ce n’est humainement pas faisable de voir tous les films.

Peut-on rester délégué général du festival de Cannes pendant plusieurs décennies sans risquer l’usure ?

Après 38 ans dans ces fonctions, je dirais que oui, on peut rester aussi longtemps. Il peut aussi y avoir un phénomène d’usure et il faut alors savoir arrêter de soi-même. Quand on ne ressent plus la petite étincelle d’excitation dans la salle de projection, là, il faut arrêter. Dans les autres festivals, comme Berlin ou Venise, on est élu pour quatre ans. En France, on est un salarié et on peut rester tant que ça se passe bien.

Il faut exercer ce métier à plein temps ?

Vu le volume de travail, oui.

Pourquoi ne pas limiter les mandats de délégué général du festival à quatre ans, comme à Venise par exemple ?

Si on ne fait que quatre ans, ça ne fonctionne pas. Car, la première année, on essaie de comprendre la structure et ce qu’a fait notre prédécesseur. Sur les années deux et trois, on travaille et on fait quelques réformes. Mais l’année quatre est une année électorale : du coup, il faut faire campagne. Et, mécaniquement, on travaille moins et on prend moins de risques. Deux ans efficaces sur quatre, c’est trop peu : il faut donc impérativement des mandats renouvelables un certain nombre de fois, afin de pouvoir travailler sereinement.

Cette année, on verra, hors compétition, The man who killed Don Quixote de Terry Gilliam, enfin achevé après plus de 15 ans de problèmes qui ont empêché sa sortie ?

J’étais très ami avec Jean Rochefort (1930-2017). Ce Don Quichotte, c’était le rôle de sa vie. Le tournage de ce film a été effrayant. C’était en Espagne, il pleuvait tout le temps, ce qui rendait donc parfois le tournage impossible. Malgré une ceinture, Jean Rochefort souffrait le martyr, car il avait des problèmes de vertèbres lombaires. Or, comme il était très bon cavalier, il était tout le temps à cheval. Mais la douleur a fini par le pousser à l’abandon. Le film a donc été arrêté et les assurances ont dû payer. Un documentaire, Lost in La Mancha (2002), a même été réalisé autour de ce non-film, que certains ont dit maudit. Finalement, en mai 2017, Terry Gilliam est parvenu à finir ce film, dont les premiers tournages ont eu lieu en octobre 2000. Je verrai ce film avec un pincement au cœur, car je n’arrive pas à voir pour ce rôle un autre acteur que Jean.

En avril 2018, TF1 a demandé une troisième coupure publicitaire pour les films : votre réaction ?

Je suis violemment contre. Ça va finir par devenir de la publicité interrompue, de temps en temps, par un petit bout de film. Si on aime le cinéma, on ne peut pas être pour ce genre de mesure. Ce n’est pas possible.

Sur les 40 dernières années, quelles sont les personnalités qui vous ont le plus marqué à Cannes ?

Je pense à Jeanne Moreau (1928-2017), Orson Welles (1915-1985) et Akira Kurosawa (1910-1998). Mais aussi Federico Fellini, un ami disparu et une perte énorme. Il y a également Alain Resnais, qui a eu plein de malheurs à Cannes, parce que ses films ont été refusés pour des raisons politiques. J’adore aussi les frères Coen, leurs films décalés, leurs univers, leurs acteurs, leurs trognes. Tous leurs films sont merveilleux. Je citerais aussi Juliette Binoche, parce que je l’aime tendrement. Et Isabelle Huppert, parce que c’est une grande comédienne.

 

1) Délégué général du festival de Cannes en 1978, puis président entre 2001 et 2014, Gilles Jacob, 87 ans, dirige toujours la Cinéfondation, un atelier qu’il a créé et qui est réservé au développement de projets de jeunes cinéastes venus du monde entier. Cet ancien journaliste et critique de cinéma a cédé son poste de président à Thierry Frémaux, puis à Pierre Lescure, qui couvrira les éditions 2018, 2019 et 2020. Début mars 2018, suite à des changement de statuts et de réduction de nombre de sièges, Gilles Jacob n’a pas été réélu au conseil d’administration du festival de Cannes.
2) Dictionnaire amoureux du festival de Cannes, de Gilles Jacob (Plon), 816 pages, 25,50 euros, 14,99 euros (format numérique Kindle).