vendredi 19 avril 2024
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Vadim Vasilyev : « Une carrière,
ce n’est pas faire gagner le plus
d’argent possible à 18 ans »

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S’il a quitté, à regret, l’AS Monaco en février 2019, Vadim Vasilyev n’a pas pour autant abandonné le milieu du football.

En effet, l’ancien vice-président du club de la principauté a créé à Monaco une société de conseil et d’intermédiaire dans les transferts, baptisée VV Consulting, qui a réussi à se faire une place dans le foot-business. Une reconversion réussie sur laquelle l’homme d’affaires russe revient pour Monaco Hebdo. Interview.

Vous avez créé, en juin 2019, la société VV Consulting : de quoi s’agit-il ?

À l’origine, VV Consulting était une société de conseil dans le milieu du football. Car des investisseurs, présidents et dirigeants ont besoin d’être accompagnés dans certaines démarches ou études. Puis, VV Consulting a évolué pour devenir une vraie agence. On a une double casquette, puisqu’on réalise l’intermédiation et la gestion de joueurs. C’est-à-dire qu’on peut faciliter les liens entre deux clubs et aider un agent, même si le joueur ne nous appartient pas. Et on dispose aussi de nos propres joueurs. On les aide à construire leur carrière.

Comment vous est venue l’idée de créer cette société ?

J’ai bien réfléchi quand j’ai quitté l’AS Monaco. J’ai eu quelques sollicitations pour rejoindre des clubs, ailleurs. Mais je voulais enfin faire quelque chose pour moi-même, quelque chose qui m’appartient, et pas travailler pour les autres, parce que j’ai pu constater dans ma vie que tout peut changer d’un jour à l’autre. Et moi, je souhaite maîtriser ma vie, mon succès, mes erreurs, et assumer ce que je fais.

Pourquoi êtes-vous resté à Monaco pour monter votre société ?

Avec ma femme, on ne voulait pas quitter Monaco, parce qu’on aime bien ce pays. Nous avons été bien accueillis ici, nous avons des amis à Monaco. Enfin, la sécurité, les valeurs et le cadre de vie sont vraiment importants pour nous.

Comment est perçue votre arrivée dans le milieu hyperconcurrentiel des agents ?

Certains agents voient arriver un ancien dirigeant, qui a quand même réussi à faire un milliard d’euros de transferts, qui a un réseau important, et qui construit une équipe avec des gens forts autour de lui. Cela peut susciter la jalousie ou la peur, mais c’est ça la vie. Il faut toujours avancer. Ceux qui sont contre se trompent de combat.

Quel est votre rôle dans la réalisation d’un transfert ?

Les dirigeants ont beaucoup de dossiers sur leur bureau. Et les transferts ne sont qu’une partie de leur métier. Ils n’ont pas le temps, ni l’accès à tout le marché. Ils ont souvent des relations directes et traitent certains dossiers sans interférence d’un agent et/ou d’un intermédiaire. Mais il existe d’autres cas où les dirigeants n’ont pas la connaissance d’un certain marché ou de certains clubs, et ils ont besoin d’être assistés ou aidés pour faciliter un “deal”. De temps en temps, quand deux présidents avec des égos et des ambitions parlent directement ensemble, cela se conclut rarement dans de bonnes conditions. L’un se fâche, l’autre veut montrer sa fierté… Il faut alors parfois une personne, au milieu, qui puisse faciliter les transactions. J’ai vu plusieurs transactions capoter à cause de petits détails.

Vadim Vasilyev, président de VV Consulting
Vadim Vasilyev, président de VV Consulting © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

« J’ai eu quelques sollicitations pour rejoindre des clubs ailleurs. Mais je voulais enfin faire quelque chose pour moi-même, quelque chose qui m’appartient, et pas travailler pour les autres »

Que faites-vous pour les joueurs ?

Les jeunes joueurs, qui ne connaissent pas encore le milieu, ont besoin d’être accompagnés dans leur transfert pour négocier les meilleures conditions, ou pour avoir accès à certains clubs. C’est ce rôle d’intermédiaire que joue VV Consulting. Et on gère aussi nos propres joueurs. On commence seulement à construire notre propre portefeuille [une dizaine de joueurs se sont engagés avec VV Consulting — NDLR]. Dans les prochains mois, nous allons « signer » quelques joueurs en plus.

Vous souhaitiez rester dans le foot à tout prix ?

Quand tu as connu le foot, tu ne veux plus rien faire d’autre après. Moi, j’ai fait plusieurs choses dans ma vie. Le négoce, l’investissement, la restauration, la diplomatie… Mais le plus passionnant, c’est le foot. C’est à la fois une passion et un vrai métier.

Avez-vous été contacté par des clubs ?

Oui, j’ai été contacté. Mais il ne s’agissait pas de grands clubs. Si je reprenais un club, je voulais faire un pas en avant. On a pratiquement tout gagné avec l’AS Monaco, on a eu un succès sportif et financier… je ne voulais pas aller plus bas. Je ne voulais pas aussi faire déménager ma famille, car nous sommes bien ici à Monaco. Et puis, je souhaitais travailler à mon compte.

Certaines rumeurs ont fait état d’un intérêt du Spartak Moscou ?

Le Spartak est un des plus grands clubs en Russie. C’est le club le plus populaire comme Marseille. Mais ce club manque de stabilité. Il y a toujours des changements de dirigeants, ça tourne beaucoup. Je n’ai pas senti un projet suffisamment stable. C’est un grand club mais quand tu connais un peu ce qui se passe, rejoindre ce club représentait un grand risque. J’ai donc refusé.

Quelles sont les difficultés quand on crée une société comme VV Consulting ?

Je découvre encore plus le milieu du foot que lorsque j’étais dirigeant. Il y a beaucoup de zones grises, avec des gens malhonnêtes et des faux agents. Beaucoup vendent du rêve, ils font du lavage de cerveau aux joueurs juste pour faire un “deal” [une transaction, un marché — NDLR]. Et une fois qu’ils ont l’argent, ils délaissent les joueurs. Certaines familles sont aussi en difficulté et, de temps en temps, elles ne cherchent pas la meilleure carrière pour leur enfant mais essaient plutôt de profiter de la situation. Enfin, certains joueurs qui sortent de certains quartiers, sont contrôlés par des gens qui n’ont rien à voir avec le foot. Ce que j’ai appris depuis que je suis dans le métier, c’est qu’il faut bien filtrer, bien prioriser, et bien choisir l’équipe avec laquelle tu peux travailler. Il faut être clair et transparent.

Les agents de joueurs sont souvent pointés du doigt : est-ce justifié ?

C’est compréhensible. Il y a de l’argent. Et si tu tombes sur un joueur de qualité, tu peux gagner ta vie grâce à lui. C’est la raison pour laquelle des personnes qui ne sont pas dans le métier ont accès à certains joueurs. Ils créent un cercle autour du joueur et de l’entourage et sont omniprésents 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Mais ça ne veut pas dire qu’ils gèrent bien la carrière du joueur. Ça signifie juste qu’ils tiennent le joueur. Ils font du lavage de cerveau pour leurs intérêts. Mais il ne faut pas non plus généraliser, il y a aussi de bons agents.

Vadim Vasilyev, président de VV Consulting
Vadim Vasilyev, président de VV Consulting © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

« Je découvre encore plus le milieu du foot que lorsque j’étais dirigeant. Il y a beaucoup de zones grises, avec des gens malhonnêtes, et des faux agents »

Que faut-il faire pour éviter ce genre de pratiques ?

Je ne sais pas. Si on pouvait mettre plus d’ordre dans la maison, ce serait bien pour les agences qui travaillent légalement et en toute transparence. Il le faut surtout pour les jeunes joueurs car, une carrière, ce n’est pas faire gagner le plus possible à 18 ans. Si on a un bon contrat tant mieux, mais c’est toute une carrière qu’il faut construire. Moi, j’ai vu de jeunes joueurs se perdre dans les plus grands clubs, à Manchester City, à Manchester United… Le rôle de l’agent, c’est donc de bien conseiller les joueurs. Mais il faut aussi que les joueurs et leur entourage soient à l’écoute. Il faut parler le même langage. Moi, j’ai déjà refusé des joueurs parce que je n’ai pas senti qu’on partageait les mêmes valeurs ou les mêmes idées.

N’y a-t-il pas trop d’argent dans le foot ?

C’est vrai que l’argent a un peu pourri ce milieu, parce que les gens ont vu que ça pouvait rapporter gros. Si tu maîtrises un bon joueur, tu peux bien gagner ta vie. Mais, aujourd’hui, la FIFA souhaite mettre plus d’ordre et limiter les commissions. Je pense que cela va faire disparaître pas mal d’agents dans les deux ou trois ans à venir. Et les moyennes et grandes agences bien organisées pourront fonctionner.

Un plafond salarial [“salary cap” — NDLR] comme aux États-Unis, est-ce possible ?

En Europe, je ne vois pas comment on peut mettre en place un “salary cap” dans le foot. Cela me semble compliqué, car ce sont les lois de plusieurs pays. Aujourd’hui, je ne vois pas non plus la volonté, parce que le changement serait si profond qu’il y aurait toujours l’opposition des grands clubs qui ont du poids. Cela impliquerait aussi de réduire les salaires. Mais il existe d’autres moyens pour mettre plus d’ordre. On pourrait par exemple « caper » [plafonner — NDLR] les salaires par un pourcentage des recettes. Car aujourd’hui, des grands clubs ont des problèmes. Même Barcelone.

Que vous apporte votre expérience de vice-président dans votre nouveau rôle ?

Ça m’apporte beaucoup. Avant, j’étais de l’autre côté et je sais exactement comment ça se passe quand tu négocies avec un dirigeant, ce qu’il peut penser, les inconvénients, les choses sur lesquelles tu peux t’appuyer… Je sais comment se font les transferts. Quand on est agent, il faut apprendre à bien gérer les joueurs, ce que je ne faisais pas quand j’étais vice-président. Mais je pense que c’est plus facile à apprendre.

L’AS Monaco peut-il être un terrain de chasse ?

Bien sûr. L’Academy [le centre de formation de l’AS Monaco — NDLR] est reconnue dans le monde du foot. A un moment donné, si je peux travailler avec des joueurs du centre de formation, je serai ravi. D’ailleurs, nous avons déjà évoqué quelques dossiers avec Oleg Petrov [le vice-président du club de la principauté — NDLR]. Ça n’a pas abouti, mais un jour, pourquoi pas. Je pense que nous trouverons un jour quelque chose qui sera bien pour le club, mais aussi pour l’agence.

Pourquoi Ludovic Giuly a-t-il rejoint votre société ?

Il a quitté le club avant que je l’aie embauché. Ce n’est pas moi qui l’aie incité à quitter le club. Il m’a expliqué pourquoi il quittait le club, mais ce n’est pas à moi d’en parler. Ludo a passé ses examens d’entraîneur FIFA, le plus haut niveau dans ce milieu. Il veut devenir entraîneur. Il n’est pas pressé, mais je vais regarder comment l’aider à devenir entraîneur. En attendant, on s’appuie sur sa connaissance du foot et du milieu. Récemment, il a voyagé dans un pays africain, avec un de mes collaborateurs. On va prochainement faire d’autres déplacements.

A-t-il des pistes pour lui permettre de devenir entraîneur ?

Aujourd’hui, tant qu’il ne devient pas entraîneur, on essaie de faire quelque chose ensemble pour la société avec sa connaissance et ses contacts. Et cet été, on va regarder. C’est à ce moment-là qu’il y aura des changements dans les clubs.

Dans votre portefeuille, vous avez beaucoup de jeunes joueurs à fort potentiel : pourquoi ciblez-vous ce type de profil ?

Il n’y a pas que des jeunes joueurs. Il y a aussi Romain Saïss [né le 26 mars 1990, Romain Saïss est un défenseur central ou milieu défensif international marocain qui joue à Wolverhampton en Premier League — NDLR]. Et les joueurs que l’on espère « signer » prochainement ne seront pas de jeunes joueurs. Mais les jeunes joueurs, ça me passionne, parce que ça me donne l’opportunité de construire une carrière, de les aider à faire les bons choix. Car tu peux partir dans un grand club et prendre un gros chèque. Tu seras content, mais tu peux perdre ta carrière. Mon rôle, c’est de bien les conseiller, et de leur dire s’ils sont prêts, ou non, pour tel ou tel challenge. Il faut parfois savoir dire non à certaines sollicitations. Les jeunes joueurs, ce sont des paris.

Cela s’apparente à de la spéculation ?

Oui, c’est vrai. Dans ce milieu, personne ne peut faire 100 % de bonnes décisions. Ça n’existe pas. Même les meilleurs directeurs sportifs. Mais si tu fais plus de bons choix que de mauvais, c’est déjà une réussite. Spéculation ? Ce n’est pas dans le mauvais sens du terme. Tant que le joueur a des qualités, la bonne tête, et le bon entourage, peu importe qu’il n’arrive pas au plus haut niveau, l’important c’est de l’accompagner et de lui permettre d’arriver à faire quelque chose dans sa vie. Par exemple, Bernardo Silva jouait en équipe B à Benfica, car le club et l’entraîneur n’ont pas cru en lui. C’était une spéculation, quelque part, quand on l’a pris. Fabinho aussi. D’autres n’ont pas réussi. On ne peut pas avoir que des Kylian Mbappé. Des phénomènes comme ça, il y en a peu.

Vadim Vasilyev, président de VV Consulting
Vadim Vasilyev, président de VV Consulting © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

« Cette crise va calmer les excès. Tout le monde va être plus raisonnable, et plus attentif. Les clubs vont réfléchir davantage avant de dépenser l’argent »

Le mercato d’hiver vient de se terminer : comment se déroulent les affaires pendant cette crise sanitaire ?

Il est vraiment difficile de voyager avec toutes les restrictions. La pandémie de Covid-19 a impacté le foot dans le mauvais sens. Ce mercato d’hiver a été l’un des pires depuis des années. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas eu un mercato aussi calme. Il y a eu des prêts, avec ou sans option d’achat. Mais je pense que la confiance ne va revenir lorsque les gens reviendront au stade. Si la vaccination est un succès en Europe et si les supporteurs peuvent revenir au stade, le foot va tourner et les dirigeants vont souffler parce qu’ils auront des recettes. Quand tu vois des grands stades vides, ce sont des recettes en moins. Les sponsors sont aussi en train de renégocier leurs contrats, même avec des grands clubs.

Les pertes sont importantes pour les clubs ?

Oui, elles sont importantes. Que ce soit en France ou ailleurs. En France, c’est encore plus difficile à cause de la situation avec les droits télévisuels. Mais en Allemagne, Espagne, Angleterre… le contexte est lourd aussi. Cette crise va calmer les excès. Tout le monde va être plus raisonnable et plus attentif. Les clubs vont réfléchir davantage avant de dépenser l’argent. Peut-être que cette douche froide était nécessaire. Mais la vie va petit à petit revenir à la normale.

Êtes-vous inquiet pour la Ligue 1 (L1) ?

Le conflit sur les droits télé est une mauvaise nouvelle, car les clubs ont déjà intégré les futures recettes de Mediapro dans leur budget. Sans les supporteurs et sans les droits télé, ça va être dur. Mais je ne suis pas inquiet dans le sens où la L1 ne va pas disparaître. Je n’ai pas de solution magique, mais la Ligue de football professionnel (LFP) et les clubs vont trouver une solution. Cette crise est importante mais je pense que les clubs en ressortiront plus forts. Ils seront plus vigilants et prudents sur leurs dépenses, sur leur budget.

Le Covid-19 a-t-il aussi un impact sur la valeur des joueurs ?

Certainement. Le pourcentage, je ne le connais pas. C’est au cas par cas. Mais il est certain que le Covid-19 a fait baisser les prix des joueurs. Les clubs font actuellement des efforts pour faire baisser les salaires, ce ne sera pas facile. Mais je pense que les clubs ne donneront plus de salaires exorbitants.

La valeur des joueurs testés positifs au Covid-19 a-t-elle baissé ?

À l’heure actuelle, non. Tant qu’il n’y a pas de preuves scientifiques. Et surtout, s’il y a des conséquences, ce sera à long terme. Les joueurs testés positifs que je connais sont très légèrement impactés. C’est comme une grippe.

À quoi faut-il s’attendre pour le prochain mercato d’été ?

Ça va dépendre du succès de la vaccination. Ce qui est important pour les dirigeants, c’est de savoir si les stades vont rouvrir ou pas. Dès que les stades rouvriront, il y aura des recettes et les dirigeants seront plus à l’aise. Même les clubs qui ont de l’argent avec des actionnaires forts ne vont pas dépenser. Mais d’ici l’été, je pense et j’espère que la situation sera meilleure et que les dirigeants sauront s’il y a une possibilité de rouvrir les stades. C’est ce qui va impacter le marché des transferts.

Combien vous rapporte un transfert ?

Aujourd’hui, j’investis beaucoup pour faire grandir l’organisation. Donc, actuellement, j’ai plus de dépenses que de recettes. La pandémie a bien sûr impacté la société. Pendant le confinement, on n’a pratiquement rien pu faire. Et le vrai travail a commencé il y a quelques mois. En tout cas, ce ne sont pas des sommes exorbitantes, déjà parce qu’il n’y a pas eu de grands transferts et aussi parce que le Covid impacte les commissions… Je ne pense donc pas aujourd’hui aux recettes mais à faire grandir la société.

Que faites-vous pour la faire grandir ?

On a fait plusieurs voyages, on commence à avoir des interlocuteurs dans différents pays. Mais je souhaite que VV Consulting reste une agence « boutique ». Il y a de grandes agences qui ont des centaines de joueurs sous contrat. Moi, je préfère être comme une petite boutique, c’est-à-dire connaître les joueurs, leur entourage, leurs soucis…

Combien de salariés avez-vous ?

Actuellement, nous sommes cinq. Mais nous avons quelques partenariats avec un certain nombre d’agents ou de personnes qui ont des réseaux. Ce sont des interlocuteurs sur lesquels on s’appuie pour certains marchés ou pour faire des jobs précis.

Vidéo : Vadim Vasilyev répond à l’Equipe sur les accusation de conflit d’intérêts