samedi 20 avril 2024
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Tour de France – Jean-Pierre de Mondenard : “On protège les tricheurs”

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Docteur Jean Pierre de Mondenard, spécialiste du dopage :
Docteur Jean Pierre de Mondenard, spécialiste du dopage : «Pour chaque histoire, j’ai publié les preuves de ce que j’avance.» © Photo DR

Alors que le Tour de France part le 3 juillet, le docteur Jean-Pierre de Mondenard sort un livre (1) qui s’attaque à 36 histoires supposées “mythiques” autour du cyclisme. Et cet expert rétablit la vérité. Un livre assez étonnant.

Monaco Hebdo : Pourquoi avoir décidé d’écrire ce livre ?
Jean-Pierre de Mondenard : Je suis un passionné de vélo. Et j’ai été médecin sur le Tour de France jusqu’en 1975. Cela fait 30 ans que je pense à ce livre que j’ai écrit en 6 mois et qui a nécessité l’achat de milliers de livres. Or, je me suis aperçu que les gens copiaient les uns sur les autres, et que les erreurs se pérennisaient.

M.H. : Des exemples ?

J.-P. de M.: Les dates de naissance des coureurs. Ou des textes recopiés à l’identique, à la virgule près. Je pense, par exemple, à celui signé par le journaliste Robert Chapatte, à propos du coureur Hugo Koblet sur le Tour 1951. C’est un texte qu’on retrouve à l’identique sur 12 lignes, mais signé par Pierre Chany, un journaliste de la rubrique cyclisme de L’Equipe. Alors, qui a copié sur qui ? Sans oublier les erreurs des journalistes sur le dopage. Car souvent, ils n’ont pas les connaissances nécessaires. Voilà pourquoi j’ai décidé d’écrire ce livre.

M.H.: Il y a vraiment des histoires totalement fausses ?

J.-P. de M.: Bien sûr ! Notamment cette légende qui attribue au journaliste Albert Londres l’expression «les forçats de la route.» Alors que c’est un autre journaliste, Maurice Genin, qui l’a publiée le premier, en 1906, dans la revue de l’Automobile club du Rhône-Revue de la chambre syndicale des cycles et automobiles de Saint Etienne. Soit 18 ans avant ! Beaucoup d’historiens des médias et du cyclisme continuent à dire que Londres est le père de cette fameuse expression alors qu’il n’a jamais écrit ça !

M.H.: D’autres histoires exemplaires ?

J.-P. de M.: Plusieurs “experts” comme Patrick Chêne, le journaliste de France 2, ont affirmé que Greg Lemond a remporté le Tour 1989 avec un guidon “corne de vache”. C’est-à-dire un guidon inventé en 1979 par les Allemands de l’Est, composé de deux tubes courts dirigés vers le haut, comme des cornes. En fait, Lemond s’est imposé devant Laurent Fignon grâce à un guidon de triathlon ! Bref, rien à voir. Cela revient à confondre une trottinette et une bicyclette.


M.H. : Rien sur Lance Armstrong ?

J.-P. de M.: Si, deux chapitres. Dont un où je l’appelle le «?supermenteur en boucle.?» On entend souvent qu’Armstrong est le plus jeune vainqueur d’étape et du Championnat du monde sur route. Et qu’il est aussi le plus âgé des vainqueurs du Tour. Or, tout est faux?! Car il est devancé d’un an et 9 mois par le Belge Karel Kaers, qui a été champion du monde en 1934. De plus, Armstrong n’est que le 4ème coureur le plus vieux a avoir gagné le Tour. Mais pas mal de journalistes deviennent complices du mythe Armstrong. Notamment le spécialiste du cyclisme à L’Equipe, Pierre Ballester, ou Jean-Yves Donor du Figaro et Jean-Emmanuel Ducoin de L’Humanité. Tous présentent Armstrong comme «le plus jeune champion du monde de l’histoire», «le plus jeune vainqueur de l’histoire à 21 ans», ou «le plus jeune champion du monde du cyclisme de l’après-guerre.» Tout est faux !

M.H. : Ces erreurs sont-elles destinées à protéger les intérêts de certains ?

J.-P. de M.: Pas forcément. Pour Armstrong, c’est surtout un problème d’ego. Pour les «forçats de la route», c’est à cause de gens qui ne font pas leur boulot de journaliste ou d’historien.

M.H. : Et sur le dopage, on protège qui ?

J.-P. de M. : Les tricheurs. Car impossible de se valoriser en tant que coureur quand tout le monde sait que vous vous êtes dopé.


M.H. : Comment être sûr que vous avez raison sur chacune des 36 histoires ?

J.-P. de M. : Pour chaque histoire, j’ai publié les preuves de ce que j’avance. Car à chaque fois je fais parler les faits et les textes. De plus, j’ai parfois fait parler des témoins de l’époque. L’objectif était de remonter à la source.

M.H. : Mais votre livre risque de nuire à l’image du Tour ?

J.-P. de M. : Mais c’est l’inverse ! D’ailleurs, je suis un fan de cyclisme qui fait 15 000 km par an en vélo ! Donc, j’aime le Tour de France. Et je ne mets pas en cause le Tour, mais ceux qui le servent. C’est-à-dire le public, les journalistes, les cyclistes… Mais pas tous, bien sûr. Le problème, c’est que par faiblesse, par hypocrisie ou par arrangements, les gens qui servent le Tour ne le respectent pas.

M.H. : Pourquoi ?

J.-P. de M. : Parce qu’on nous gave de mots, mais on ne fait rien. Exemple : après l’affaire Festina en 1998, le Tour 1999 a été annoncé comme celui du «renouveau.» Au fond, on se gargarise avec des mots, pas sur des faits. Ce qui n’est pas nouveau. Exemple : un an après la mort du coureur anglais Tom Simpson au Ventoux en 1967, on parle du «Tour de la santé.» Mais des témoignages montrent que le dopage est aussi répandu qu’avant?! Autre précédent : sur le Tour 1955, Jean Malléjac échappe de peu à la mort, toujours au Ventoux. Résultat, l’année suivante, on parle de «la désintoxication du Tour.» Bref, on n’avance pas. Car tout ça, ce ne sont que des mots. Alors que le Tour de France souffre de maux.

M.H. : Mais il n’y a pas que les cyclistes qui se dopent !

J.-P. de M. : Bien sûr. Car ce n’est pas le cyclisme qui fait le dopage. C’est la compétition et l’ego des hommes. Du coup, tous les sports peuvent être touchés : le foot, le rugby, le basket, l’athlétisme… Evidemment, certains ont une morale. Mais j’estime que 90 % se doperont s’ils sont sûrs de ne pas se faire prendre, 5 % se doperont toujours et 5 % ne se doperont jamais.

M.H. : Pourtant les contrôles anti-dopages sont négatifs !

J.-P. de M. : Normal. Car il y a actuellement une vingtaine de substances indécelables. Du coup, impossible de dire qu’on lutte efficacement contre le dopage ! De plus, il existe des substances un peu “limites” qui ne sont pas interdites, et qui ne sont donc pas recherchées. Mais qui répondent aux critères du dopage. Enfin, il y a aussi les produits utilisés à des fins thérapeutiques qui sont donc autorisés.n

(1) 36 histoires du Tour de France, Jean-Pierre de Mondenard, Hugo & Cie, 308 pages, 15,50 euros.