jeudi 18 avril 2024
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Sean Fitzpatrick : « Le rugby est le cœur et l’esprit de notre nation »

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Les Laureus Awards se sont déroulés à Monaco le 14 février. Le rugbyman néo-zélandais champion du monde en 1987 et capitaine des mythiques All Blacks, Sean Fitzpatrick, vice-président et académicien de la fondation Laureus Sport for Good, utilise le sport et le rugby comme levier de changement social dans le monde entier. Il s’est confié à Monaco Hebdo.

Vous avez aujourd’hui 53 ans : que faites-vous depuis que vous avez arrêté le rugby, en 1997 ?

Depuis que j’ai arrêté le rugby, j’ai continué à m’impliquer dans le sport à travers les médias, en tant que consultant (1). J’écris des articles sur le rugby pour des journaux en Nouvelle-Zélande et en Grande-Bretagne. C’est formidable de toujours faire partie du monde sportif. J’ai aussi le privilège de faire partie de l’académie des Laureus. J’ai visité plusieurs projets sur le terrain dans le monde entier qui utilisent le sport pour venir en aide à des jeunes en difficulté. J’ai ainsi pu vivre des expériences inoubliables. Le poids que peut avoir le sport dans les différentes communautés du monde entier est incroyable.

Pourquoi avoir créé la fondation Laureus Sport for Good ?

Tout a commencé à Monaco en 2000 lors de la toute première édition des Laureus World Sports Awards. J’avais arrêté ma carrière de rugbyman depuis deux ou trois ans et j’avais été invité à devenir un membre fondateur de l’académie des Laureus World Sports. On s’est donc retrouvé à Monaco et on s’est assis dans une pièce dans laquelle se trouvaient les plus grands sportifs de l’histoire. Certains sont des idoles avec lesquelles j’ai grandi : Edwin Moses, Boris Becker, Martina Navratilova, Katarina Witt, Viv Richards, Beefy Botham…

Que s’est-il passé ensuite ?

C’est ensuite qu’est arrivé dans cette pièce certainement le plus grand homme que j’ai jamais rencontré : Nelson Mandela. Tout le monde était en admiration. Je l’avais rencontré quelques fois auparavant, notamment en 1995 à l’Ellis Park, à Johannesburg, avant la finale de la Coupe du monde de rugby. Mais se retrouver avec lui dans cette pièce, de façon si intime, est un moment qui m’a coupé le souffle. Je me souviens qu’il a évoqué 1995 avec moi.

Que vous a dit Nelson Mandela ?

Le président Mandela nous a expliqué combien le sport pouvait être une inspiration pour changer la société et la vie des gens. Il nous a galvanisés, il nous a poussés à agir pour faire évoluer tout ça. C’est à ce moment-là que Laureus Sport for Good a été créé.

Aujourd’hui, que faites-vous avec Laureus ?

Je suis président de la Laureus World Sports Academy, qui réunit plus de 60 légendes vivantes du monde du sport. Nous sommes tous passionnés par le rôle d’influenceur que le sport peut avoir pour agir positivement sur la société. Nous agissons aussi comme des ambassadeurs de la Laureus Sport for Good.

C’est-à-dire ?

On prend le temps de se déplacer pour voir les plus de 100 projets que nous soutenons dans le monde entier. Ce qui permet d’attirer l’attention et de sensibiliser sur les problèmes qui touchent la société d’aujourd’hui. Chaque année, en tant que membres de l’académie, nous avons aussi l’honneur d’être dans le jury final qui vote pour désigner le gagnant des Laureus World Sports Awards.

Quels sont les principaux objectifs de Laureus Sport for Good ?

Laureus Sport for Good vise à utiliser la puissance du sport pour mettre un terme à la violence, la discrimination et soulager le handicap. L’idée, c’est de démontrer que le sport peut changer le monde. En soutenant actuellement plus de 100 projets dans le monde entier, Laureus Sport for Good travaille aussi sur six secteurs clés qui entrent dans le cadre du programme des Nations Unies pour le développement durable : santé, éducation, les femmes et les jeunes femmes, l’emploi, l’intégration sociale et la paix et la sécurité.

Quels sont vos liens avec Monaco ?

Monaco a accueilli les tout premiers Laureus World Sports Awards en 2000. C’est là que le président Nelson Mandela a dit : « Le sport a le pouvoir de changer le monde ». Dix-sept ans plus tard, les mots de Mandela sonnent toujours juste. Ils sont devenus un leitmotiv, notre principe derrière tout ce que nous faisons. Le mouvement des Laureus Sport for Good a vraiment été scellé le jour après ces premiers Awards à Monaco.

Monaco essaie de développer son club de rugby : pourriez-vous jouer un rôle dans ce projet ?

Monaco a une formidable équipe de football, l’AS Monaco. Alors pourquoi pas une grande équipe de rugby aussi ? Il suffit de regarder ce que parvient à faire Toulon, sur la Côte d’Azur. J’aime tout ce qui peut permettre au rugby de se développer dans de nouveaux endroits. Aujourd’hui, le rugby des clubs dans le monde entier est passionnant : il n’a jamais été en aussi bonne santé. Mon club, ce sont les Harlequins de Londres. Je suis devenu un membre du bureau de ce club en 2008 et c’est uniquement là-dessus que je me concentre. Mais je souhaite à Monaco le meilleur dans son projet de développement du rugby ici, en Principauté. Je serai toujours heureux de pouvoir les aider.

La princesse Charlene est sud-africaine et passionnée de rugby : son aura peut aider à développer le rugby à Monaco ?

Je ne sais pas si la Princesse Charlène s’intéresse au rugby. Mais elle adore le sport. C’est une athlète sud-africaine qui a participé aux Jeux Olympiques (JO) de Sydney, en 2000 (2). Beaucoup de Sud-Africains sont de vrais fans de rugby.

Il y a un quelque chose de spécial, lié au rugby, entre la France et vous ?

Vous pouvez dire ça, oui. J’aime la France et le rugby français. Le rugby français est toujours joué avec passion et panache. De plus, l’équipe de France peut parfois être être totalement imprévisible. D’ailleurs, les Français ont souvent été un problème pour les All Blacks.

Un exemple ?

En 1999, la France a battu les All Blacks 43-31 en demi-finale de Coupe du monde. Ce match est aujourd’hui considéré comme l’un des plus beaux matches jamais vus… Sauf si vous êtes néo-zélandais bien sûr !

Et la France a récidivé…

En 2007, lors d’un quart de finale de Coupe du monde, la France a gagné 20-18 contre la Nouvelle-Zélande. Quatre ans plus tard, lors de la Coupe du monde 2011, les All Blacks ont gagné en finale contre la France, mais ça a été très serré (7-8). Du coup, la victoire 62-13 des Néo-Zélandais en quart de finale de la Coupe du monde 2015 a été une immense performance.

Quel souvenir gardez-vous de la première finale de la Coupe du monde remportée chez vous, contre la France, en 1987 ?

C’est ma seule victoire en Coupe du monde, donc c’est pour moi quelque chose de très spécial, en effet. Dans beaucoup de Coupes du monde, les All Blacks étaient considérés comme l’une des meilleures équipes mondiales, sinon la meilleure. Mais nous n’avons pas toujours assumé ce statut et remporté ce trophée.

Sean Fitzpatrick
© Photo Laureus

Et en 1987 ?

En 1987, nous étions très forts. Je me souviens qu’en finale, le match a presque été confortable pour nous. La France venait de jouer un match très difficile en demi finale contre l’Australie [gagné 30 – 24 dans les dernière secondes après un essai de Serge Blanco, N.D.L.R.].

Cela a beaucoup pesé ?

Certains estimaient que les Français n’auraient pas assez de temps pour récupérer physiquement de ce match contre l’Australie. Mais j’aime penser que c’est nous qui ne leur avons pas donné la possibilité de nous battre. C’était une énorme expérience pour moi. Je suis entré seulement en finale, car notre talonneur et capitaine, Andy Dalton, s’était blessé. Gagner cette finale a été l’un des meilleurs moments de ma vie.

Si vous ne deviez retenir qu’un seul match entre la Nouvelle-Zélande et la France, ce serait lequel ?

Il y a eu tellement de superbes matches entre ces deux pays… Je ne dirais pas que c’est un “classique“, mais en termes d’importance et de résultat, avec la finale de Coupe du monde en 1987, on pouvait difficilement faire mieux.

Quels sont les joueurs français les plus connus en Nouvelle-Zélande ?

Il y a tellement de noms… Ce serait injuste d’en citer seulement quelques-uns.

Vous avez été All Blacks de 1986 à 1997 et capitaine des All Blacks de 1992 à 1997 : quels sont les moments qui vous ont le plus marqué ?

La série de matches gagnés en 1996 en Afrique du Sud a été pour moi un véritable accomplissement. Il faut rappeler qu’à l’époque, les All Blacks n’avaient jamais remporté une série de rencontres dans ce pays.

C’était si important que ça ?

La déception ressentie en 1995, lors de la finale perdue en Coupe du monde contre l’Afrique du Sud (15-12) explique ce ressenti. Car en 1996, on jouait alors contre les champions du monde en titre. J’ai compris ce que cela représentait en Nouvelle-Zélande, lorsqu’un ancien grand joueur des All Blacks (3), Don Clarke (1933-2002), m’a félicité dans le tunnel, alors qu’on sortait du terrain. Il avait les larmes aux yeux. Il m’a pris dans ses bras et m’a dit : « Merci pour avoir fait ce qu’aucune autre équipe des All Blacks n’avait fait. Maintenant, je peux mourir en paix. »

Le rugby a beaucoup changé depuis les années 80 et 90 : comment jugez-vous cette évolution ?

Le rugby est très différent aujourd’hui de ce qu’il était lorsque j’étais joueur. Le professionnalisme a eu un impact énorme sur ce sport. Désormais, de plus en plus de gens connaissent le rugby et le pratiquent. L’un des plus gros changements, c’est la dimension physique. Les joueurs sont toujours plus gros, plus puissants et plus rapides. Les chocs sont devenus très durs et de plus en plus de joueurs sont concernés par des blessures de longue durée et des commotions cérébrales.

Que fait le monde du rugby face à cette mutation ?

Je pense que le monde du rugby est conscient de tout cela. Et qu’il essaie de faire ce qu’il peut pour atténuer ces effets négatifs.

Il y a aussi du positif ?

Oui. Les bénéfices ont été énormes. Le jeu est beaucoup plus rapide, plus ludique, le niveau technique est devenu phénoménal et cela se voit dans les matches. Le public est là. Les différentes compétitions sont attendues avec excitation : le tournoi des 6 Nations, le championnat anglais, la Coupe d’Europe… Et c’est une bonne chose de voir que le rugby à 7 est désormais un sport olympique qui s’est transformé en un véritable conte de fée, avec la victoire des Fidji en 2016, lors des JO de Rio.

Le rugby est devenu trop violent ?

J’ai dit que le rugby était devenu plus physique, mais je ne crois pas qu’il soit devenu plus violent. Peut-être est-on plus attentif à ça grâce aux ralentis proposés par les chaînes de télévision. Mais croyez-moi, c’était très dur lorsque je jouais ! Je pense qu’avec l’usage de la vidéo pour les arbitres et les risques de sanctions pour les joueurs, ce sport fait ce qu’il peut pour s’attaquer au jeu trop violent.

Comment un pays de moins de 5 millions d’habitants, comme la Nouvelle-Zélande, parvient à dominer le rugby mondial depuis des décennies ?

Le rugby est le cœur et l’esprit de notre nation et il l’a toujours été. Quels que soient les autres sports, et même si la télévision pousse les enfants à jouer au football ou au basket, le rugby reste le sport numéro 1 en Nouvelle-Zélande. Remporter consécutivement deux Coupes du monde en 2011, puis en 2015, nous a aidés aussi.

Sean-Fitzpatrick-@-Kristian

D’autres raisons expliquent ces succès ?

C’est également lié à l’histoire et à la tradition à travers lesquelles l’aura des All Blacks s’est construite pour devenir l’incarnation des valeurs néo-zélandaises. De plus, en Nouvelle-Zélande, le sport est très important à l’école, ce qui n’est pas toujours le cas dans d’autres pays. J’ai toujours voulu jouer au rugby et être un All Black. Et cet état d’esprit existe encore chez la plupart des enfants néo-zélandais aujourd’hui.

Pourquoi est-il si difficile de battre les All Blacks ?

C’est lié à la passion des joueurs qui représentent les All Blacks. Il y a aussi de bons entraîneurs, bien sûr. Même si on est un petit pays, il existe une force à la fois étonnante et profonde chez nous. Lors de la dernière Coupe du monde, en 2015, les All Blacks auraient pu aligner sur le terrain deux équipes capables de gagner. Vous vous souvenez de la Coupe du monde 2011 ?

Oui ?

Lorsque notre demi d’ouverture Dan Carter s’est blessé, il a été remplacé. Nous avons fini avec un ailier qui était un troisième choix et nous avons quand même gagné la Coupe du monde. Aucune autre nation ne peut faire ça.

Actuellement, l’équipe d’Angleterre est la plus forte en Europe ?

L’Angleterre a toujours été une nation de rugby très forte. Ils bénéficient d’un important réservoir de joueurs. Actuellement, ils sont une équipe avec laquelle il faut compter. Leur entraîneur, l’Australien Eddie Jones, est parvenu à changer l’équipe en peu de temps. Ils alignent actuellement 15 matches sans défaite et ils sont donc en course pour marquer la Coupe du monde 2019 au Japon.

Et les autres nations européennes ?

Avec l’entraîneur néo-zélandais Joe Schmidt, et après leurs performances de novembre, l’Irlande pourrait aussi être considérée comme l’une des meilleures équipes en Europe. J’attends de voir comment se déroule le tournoi des 6 Nations pour eux.

Est-il exact que les All Blacks se méfient toujours beaucoup plus des Français que d’autres équipes ?

Oui, parce que les Français ne pensent pas qu’ils peuvent battre les All Blacks, donc ils jouent de façon très libérée.

Le championnat français, le Top 14, est devenu le meilleur championnat du monde ?

Non, il y a beaucoup de très bons championnats aujourd’hui.

Comment jugez-vous le rugby français ?

Lors de leurs deux derniers matches contre les All Blacks et l’Angleterre, les Français ont montré qu’ils avaient fait beaucoup de progrès.

 

(1) Sean Brian Thomas Fitzpatrick est né le 4 juin 1963 à Auckland. Sélectionné 92 fois pour 82 victoires, 51 fois capitaine, le talonneur du XV deNouvelle-Zélande a mis un terme à sa carrière en 1997, à l’âge de 34 ans. Installé à Londres, Fitzpatrick est aussi consultant pour la BBC et pour Sky Sports.
(2) En 2000, aux Jeux Olympiques (JO) de Sydney, la Princesse Charlène a terminé cinquième du 4 x 100 mètres quatre nages par équipe. Alors âgée de 22 ans, elle est au sommet de sa spécialité : le dos crawlé. La même année, elle gagne le 200 mètres dos du meeting Mare Nostrum, à Monaco, où le Prince Albert lui remet le bouquet de la victoire.
(3) Don Clarke (1933-2002) est l’un des plus grands joueurs de l’histoire du rugby néo-zélandais. Il a été sélectionné officiellement 31 fois avec les All Blacks entre 1956 et 1964, mais il a porté le maillot noir 86 fois en ajoutant les rencontres qui n’étaient pas considérées comme des test matches. Cet excellent buteur était surnommé « The Boot » (« la Godasse »).