samedi 20 avril 2024
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“La triche continue d’être récompensée”

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Le docteur Jean-Pierre de Mondenard, ancien médecin du Tour de France et spécialiste du dopage
« Ceux qui ne se dopent pas sont obligés d'être physiquement tout le temps dans le rouge. Résultat, ils prennent aussi des risques pour leur santé », Jean-Pierre de Mondenard, ancien médecin du Tour de France. © Photo DR.

Le docteur Jean-Pierre de Mondenard, ancien médecin du Tour de France et spécialiste du dopage, affirme dans un livre choc que le dopage est généralisé dans le foot.

Monaco Hebdo?: Pourquoi avoir écrit ce livre(1) ?

Jean-Pierre de Mondenard?: Je n’ai pas d’attirance particulière pour le dopage. Mais au début des années 70, quand j’étais médecin sur le Tour de France, je me suis rendu compte que le dopage était généralisé. Avec un discours hypocrite. Car en privé, dans le milieu, personne ne s’en offusquait. Que ce soit les dirigeants d’équipe ou les patrons du Tour. Alors que devant les médias, tout le monde était très langue de bois et minimisait ce problème. Mais je me suis vite aperçu que le dopage touchait tous les sports. D’ailleurs, j’ai fait mes études de médecine à Toulouse et j’ai joué au rugby en amateur. Or, j’étais au contact de joueurs internationaux. Et ils racontaient qu’ils prenaient des amphétamines?! Pour le foot, c’est pareil. Ce que tout le monde refuse d’admettre. Du coup, j’ai décidé de compiler les informations que j’avais et d’en faire un livre.

M.H.?: Ça vous a pris combien de temps??

J.-P.D.M.?: 30 ans de recherche et 6 mois de travail. Mais ce sont des milliers d’heures de boulot.

M.H.?: Mais se doper quand on joue au foot, c’est vraiment efficace??

J.-P.D.M.?: Bien sûr. D’ailleurs, il faut m’expliquer comment les produits autorisés, comme le glucose, les vitamines ou la créatine, que les footballeurs consomment en grandes quantités, seraient efficaces alors que les produits dopants ne le seraient pas??

M.H.?: Les footballeurs sont pourtant très contrôlés??

J.-P.D.M.?: Sauf qu’il y a rarement des joueurs contrôlés positifs. Du coup, comme les instances du football ne peuvent pas communiquer sur les joueurs qui se font attraper, ils communiquent sur le nombre de contrôles. D’ailleurs, la fédération internationale de football association (FIFA), qui gère le foot dans le monde, annonce environ 25?000 contrôles par an. Or, il y a environ 1 contrôle pour 1?000 joueurs, contre 1 pour 10 chez les cyclistes. En 2006, selon le médecin fédéral, le risque d’être contrôlé en Ligue 1 et Ligue 2 était de 0,05 %. Soit 1 pour 2?000?! Mais de toute façon, ces contrôles ne sont pas efficaces.

M.H.?: Pourquoi??

J.-P.D.M.?: Parce qu’il existe une bonne vingtaine de substances qui restent indécelables. Ensuite, parce que les règles et les sanctions de la lutte dopage sont entre les mains des fédérations. Or ce sont eux qui profitent des retombées de leur sport?! Du coup, tant que ce sera à la FIFA de réglementer et de sanctionner, il ne se passera rien. Bref, pour que les contrôles soient vraiment efficaces, il faudrait qu’ils soient menés par une instance indépendante qui soit en dehors du monde sportif.

M.H.?: Votre objectif avec ce livre??

J.-P.D.M.?: Donner au public des faits pour qu’il puisse se faire sa propre opinion. En tout cas, en décembre 2006, quand L’Equipe a demandé à ses lecteurs?: « Pensez-vous que le football est aussi gangréné par le dopage?? », 83 %, sur plus de 91?000 votants, ont estimé que le foot est touché comme les autres sports. Ce qui signifie que le discours rassurant de la FIFA ne trompe personne.

M.H.?: Vous apportez des preuves??

J.-P.D.M.?: Mais ça ne manque pas?! Exemple?: en octobre, une étude universitaire lancée par le Comité olympique allemand a démontré que pendant la Coupe du monde 1954, l’équipe d’Allemagne, qui a gagné la finale, était dopée aux amphétamines. Ce qui prouve que dans le foot, on peut doper une équipe entière et que ça marche. Bref, le dopage n’est pas une histoire récente.

M.H.?: D’autres exemples??

J.-P.D.M.?: Une étude de 1961, faite par un ancien footballeur devenu médecin, Gerardo Ottani, démontre qu’en 1958, dans le championnat italien de Série A, 27 % des joueurs prennaient des amphétamines, 62 % des stimulants du coeur et de la respiration. Et 68 % prennaient des stéroïdes anabolisants. Or, en 1958, il y avait un seul match par semaine. Alors qu’aujourd’hui, les joueurs s’entraînent deux fois par jour, font deux matches par semaine et ils feraient tout ça au Vittel-cassis??

M.H.?: Les amphétamines étaient très répandues après-guerre??

J.-P.D.M.?: Oui. D’ailleurs, après la deuxième guerre mondiale, tous les sports étaient touchés par le dopage. Notamment aux amphétamines. A l’époque, on en trouve partout. Exemple?: en alpinisme, ceux qui ont vaincu les 14 sommets de 8?000 mètres, l’ont fait en prenant des amphétamines. De toute façon, ce n’est pas le sport qui fait le dopage mais c’est la compétition. Donc, dès qu’il y a compétition, il y a dopage. Bien sûr, certains sports sont plus touchés que d’autres.

M.H.?: Pourquoi??

J.-P.D.M.?: A cause de la médiatisation. Parce que la compétition, c’est une question d’ego. Car on est dans une société où il faut exister. Or, on n’existe que par la reconnaissance, en étant admiré par les autres. Donc l’égo c’est le moteur numéro 1 de la dope, bien avant l’argent. Sinon pourquoi les haltérophiles se doperaient??

M.H.?: Vous avez subi des pressions en écrivant ce livre??

J.-P.D.M.?: Non. Mais jusqu’à ce que ce livre soit annoncé, j’ai fait attention d’en parler le moins possible.

M.H.?: Mais personne n’a dû accepter de vous parler??

J.-P.D.M.?: Bien sûr. Mais j’ai fait un travail de scientifique. Avec pour objectif de contrecarrer toutes les fausses idées colportées par le monde du foot. Exemple?: quand on entend que le foot est un sport tactique et que par conséquent doper 11 joueurs en même temps, ça ne marcherait pas. Ce qui est faux. Donc mon travail consiste à expliquer pourquoi ses arguments ne tiennent pas. D’ailleurs, en lisant les biographies de certains joueurs, comme Marcel Desailly, Raymond Kopa ou Dominique Rocheteau, on apprend beaucoup de choses.

M.H.?: Quels dopants prennent les footballeurs??

J.-P.D.M.?: Pour savoir ce que prennent les footballeurs, il suffit de regarder ce que prennent ceux qui se font coincer. En gros, il y a trois catégories?: les stéroïdes anabolisants pour la puissance et la masse musculaire. Il y a aussi les stimulants, comme l’éphédrine ou la cocaïne, qui améliorent le temps de réaction. Ce qui permet d’être en action plus vite que l’adversaire. Et puis, il y a les désinhibants, comme le cannabis.

M.H.?: Le cannabis, c’est vraiment dopant??

J.-P.D.M.?: Bien sûr. Car tous les produits qui agissent sur le système nerveux central sont potentiellement des dopants. Parce qu’ils modifient votre comportement face à votre environnement. Ce qui ne veut pas dire que ça marche à tous les coups. Car il faut bien gérer la dose qui est prise. Au fond, se doper, c’est très technique.

M.H.?: Donc le dopage est hyper individualisé??

J.-P.D.M.?: Oui. D’ailleurs, beaucoup de gardiens de but ont été contrôlés positifs au cannabis. Ce qui est assez logique. Car quand vous avez derrière votre but 80?000 supporters qui vous insultent et vous jettent des objets plus ou moins dangereux pendant 90 minutes, ça aide?!

M.H.?: Mais les footballeurs contrôlés positifs à la cocaïne ou au cannabis affirment avoir tout simplement fait la fête??

J.-P.D.M.?: Evidemment. Car c’est quand même beaucoup plus glorieux de dire qu’on a pris de la cocaïne pour faire la fête, surtout quand on est jeune et fort, que de reconnaître que c’était pour se doper et tricher. Pourtant, dans une interview, l’ancien président de l’OM, Bernard Tapie, expliquait que la cocaïne, c’est le dopant le plus efficace pour les footballeurs.

M.H.?: C’est vraiment dangereux??

J.-P.D.M.?: Oui. A partir du moment où on prend un dopant et qu’on a une activité physique intense et répétée, le risque augmente encore. Et on risque la mort. Surtout avec les nouveaux produits, pas toujours parfaitement bien maîtrisés, avec lesquels les risques sont majeurs.

M.H.?: C’est-à-dire??

J.-P.D.M.?: Avec les nouveaux produits qu’on conjugue avec un effort physique, les dopeurs n’ont pas le recul nécessaire pour prévoir toutes les réactions possibles. Car ça prend des années. Exemple?: avec les anabolisants, 20 ans après, on s’est aperçu que ça entraîne une hyper excitation et une violence extrême. D’ailleurs, certains ont assassiné leurs conjoints?! Mais ça provoque aussi des cancers, des problèmes hépatiques et des artérites. Ce qui peut ensuite déboucher sur des amputations.

M.H.?: Mais il y a aussi des footballeurs qui refusent de se doper?!

J.-P.D.M.?: C’est vrai. Mais du coup, ceux qui ne prennent rien sont obligés d’être physiquement tout le temps dans le rouge. Résultat, ils prennent aussi des risques pour leur santé.

M.H.?: Mais, alors que beaucoup de matches sont télévisés, il y a peu de footballeurs morts en direct??

J.-P.D.M.?: Il y a déjà eu des cas suspects. Comme le Camerounais Marc-Vivien Foé, qui est mort à 28 ans d’un accident cardiaque à Lyon en juin 2003 devant les caméras de télé. Mais avec les progrès du suivi médical et des médecins dopeurs, les risques de mort immédiate sont moindres. Mais ça peut provoquer plus tard des maladies graves. Comme des cancers digestifs ou des leucémies par exemple.

M.H.?: Il y a eu des soupçons de dopage à Monaco??

J.-P.D.M.?: Difficile à dire. Mais en lisant les livres d’anciens joueurs de l’OM, comme Marcel Desailly ou de Jean-Jacques Eydelie, on apprend qu’il y avait des séances de dopage collectif à l’époque où Bernard Tapie était président. Des propos confirmés par Chris Waddle et Tony Cascarino qui ont avoué ne pas savoir ce qu’on leur injectait avant les matches. En fait, les joueurs sont dans un loft. Du coup, ils ne se rendent pas toujours compte qu’ils sont confrontés à des pratiques anormales.

M.H.?: Ce qui n’a pas étonné l’entraîneur de Monaco, Arsène Wenger (2) ?

J.-P.D.M.?: Non car à l’époque, Arsène Wenger luttait avec l’OM pour le titre de champion de France. Et la bagarre était très dure avec Tapie et son équipe.

M.H.?: Du coup, les médecins des clubs de foot sont complices du dopage??

J.-P.D.M.?: A partir du moment où on aide un joueur blessé ou malade à jouer, on est dans une conduite dopante. Car s’il faut soigner rapidement, il ne faut pas oublier que le repos fait partie de la thérapie. Mais je ne juge pas ces médecins. Parce que c’est compliqué d’être médecin dans un club de foot. Car on est souvent choisi par l’entraîneur. Et on fait partie d’un staff, avec pour mission d’avoir des résultats. Donc on devient un médecin de la performance. Et on n’est plus un médecin de la santé. En fait, il faudrait que les médecins ne soient pas salariés des clubs pour éviter toute pression liée au résultat.

M.H.?: Le dopage peut être vaincu??

J.-P.D.M.?: Tant que la lutte anti-dopage sera entre les mains des différentes fédérations, la bataille contre le dopage sera perdue d’avance. D’ailleurs, ça fait 45 ans que ça ne marche pas. Et il n’y a aucune raison pour que ça change.

M.H.?: Mais il y a quelques contrôles positifs?!

J.-P.D.M.?: On est dans un système où quand un joueur se fait prendre, on l’essore en le faisant payer pour tous les autres. Ce qui permet aux autres joueurs d’être avertis que la substance est décelable et qu’il faut changer de produit. Résultat, ils ne seront jamais contrôlés positif. Et l’injustice sera totale et multipliée à l’infini.

M.H.?: Il n’y a vraiment aucun espoir??

J.-P.D.M.?: J’y croirai le jour où à la tête de l’agence mondiale antidopage (AMA), il y aura des gens intraitables. Comme l’expert italien de la lutte antidopage, Sandro Donati. Ou l’allemand Werner Franke, qui a révélé les affaires de dopages en RDA avec la Stasi. Mais ça n’arrivera pas. Car ils font peur. Du coup, la triche continue d’être récompensée.

(1) Dopage dans le football, la loi du silence, de Jean-Pierre de Mondenard, Editions Jean-Claude Gawsewitch, 19,90 euros.

(2) En janvier 2006, Arsène Wenger, qui a entraîné Monaco de 1987 à 1994, a déclaré dans L’Equipe?: « Ce sont des choses que je savais, que beaucoup de gens savaient. On parle ici de la pire période qu’a connu le football français. Il était gangrené de l’intérieur par l’influence et les méthodes de Tapie à Marseille […]. C’était très dur. A l’époque, on vivait dans le sentiment de la corruption et du dopage. Il n’y avait rien de pire que de savoir que les dés étaient pipés. »

docteur Philippe Kuentz, médecin de l'AS Monaco
Docteur Philippe Kuentz, médecin de l'AS Monaco © ASM-FC.

“Tout le monde ne triche pas”

Pour répondre à Jean-Pierre de Mondenard, Monaco Hebdo donne la parole au docteur Philippe Kuentz, médecin de l’AS Monaco depuis 6 ans.

Monaco Hebdo?: Le dopage est vraiment généralisé dans le foot??

Philippe Kuentz?: Il ne faut pas dire?: « Tous dopés?! » Cela me choque d’entendre ça. Car tout le monde ne triche pas.

M.H.?: Et à Monaco??

P.K.?: En 6 ans, on n’a eu aucun cas de dopage. Pourtant on est contrôlé chaque année par l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) et par le comité monégasque anti-dopage.

M.H.?: Comment se déroulent les contrôles??

P.K.?: Il s’agit de contrôle inopinés qui ont lieu à l’occasion des matches ou à l’entraînement. Pour le moment, on n’a jamais été contrôlé à La Turbie. Uniquement en stage. Et en interne, le club fait aussi des contrôles à l’improviste.

M.H.?: Mais vous n’avez pas les mêmes moyens que l’AFLD?!

P.K.?: C’est vrai. Du coup, on se focalise plus sur la recherche de certains produits interdits, mais plus basiques. Comme le cannabis par exemple.

M.H.?: C’est vrai que les contrôles ne sont pas vraiment efficaces??

P.K.?: Difficile à dire. Car c’est un sujet très complexe et très technique. Avec des produits très évolués, comme des EPO de dernière génération par exemple. Alors qu’on parle même de génie génétique. Donc je suis les directives des instances nationales et internationales, avec la Fédération internationale de football association (FIFA) et l’Agence mondiale anti-dopage (AMA).

M.H.?: En 6 ans, le nombre de contrôles a augmenté??

P.K.?: Non, c’est stable. Ce qui a changé, c’est que, depuis 2 ans, il y a désormais ce qu’on appelle un “joueur cible” par équipe. En fait, un joueur par club est tiré au sort en début de saison pour devenir “joueur cible”. Ce qui l’oblige ensuite à se localiser tous les jours par Internet pour pouvoir être contrôlé à tout moment. Y compris à la maison.

M.H.?: Quand un joueur est malade ou blessé, vous le mettez au repos ou vous l’aidez à jouer le prochain match??

P.K.?: On le soigne et on se positionne ensuite sur sa capacité à jouer. Mais il doit bien sûr être guéri de sa blessure et avoir un niveau de jeu et une condition physique suffisante pour être aligné. Bref, c’est un tout.

M.H.?: C’est vous qui avez le dernier mot??

P. K.?: Il y a toujours une discussion. Mais bien sûr, s’il y a des questions vitales en jeu, j’insiste un peu et je serai suivi par l’entraîneur, Guy Lacombe. Mais de toute façon, on travaille tous ensemble pour éviter les récidives.

M.H.?: Mais il y a des footballeurs qui ont été positifs au cannabis??

P.K.?: C’est plus un problème de société qu’un dopant. Car prendre du cannabis, pour un footballeur, je ne vois pas l’intérêt. Et puis, il y aussi des techniques qui évoluent de dopante vers non dopante.

M.H.?: Lesquelles??

P.K.?: Le facteur de croissance par exemple. C’est basé sur une prise de sang. Ensuite on centrifuge le tout, on récupère une fraction de ce sang qui contient des plaquettes. Car dans ces plaquettes, il y a des facteurs de croissance qui permettent d’accélérer la réparation des tissus. Or, il y a quelques années, c’était autorisé. Avant d’être interdit et d’être à nouveau autorisé cette année. Du coup, c’est une technique qu’on utilise à Monaco.

M.H.?: Mais un joueur peut toujours se doper en cachette??

P.K.?: C’est pour éviter ça qu’on leur parle et qu’on leur explique les risques du dopage. Mais ce sont des pro. Donc ils savent qu’ils ne doivent pas piocher dans la pharmacie de leur épouse en cas de problème.

M.H.?: Si un joueur monégasque est contrôlé positif, vous êtes responsable aussi??

P.K.?: Non. C’est le sportif qui sera seul responsable de ce qu’il a pris.

M.H.?: Vous avez parfois eu des doutes en voyant jouer certaines équipes??

P.K.?: Non. Les seuls doutes que j’ai eu, c’était à Athènes en 1975, quand j’ai participé aux championnats d’Europe junior de lancer de javelot. J’ai fini 4ème. Or, les deux Allemands de l’Est et le Russe qui étaient devant moi avaient une musculature très impressionnante pour des jeunes de 18 ans…

M.H.?: Vaincre un jour le dopage, c’est possible??

P.K.?: C’est vieux comme le monde. Cela ne changera pas. Bien sûr, avec les contrôles, le suivi des joueurs, la prévention et les sanctions, il y a du mieux. Mais il y aura toujours des tricheurs.