jeudi 28 mars 2024
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Jean Alesi « Charles a la voiture pour devenir champion du monde »

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Jean Alesi connaît par cœur le tracé urbain de Monaco pour avoir participé à douze reprises à cette course mythique, sans jamais toutefois être parvenu à la remporter. Aujourd’hui consultant pour Canal+, l’ancien pilote Ferrari explique à Monaco Hebdo les enjeux de ce 79ème Grand Prix de Monaco. Il juge les chances de la Scuderia, et de Charles Leclerc, qu’il érige en favori pour la victoire finale.

Quels sont les enjeux de ce Grand Prix de Monaco ?

Les grands enjeux, c’est évidemment la nouvelle donne avec le règlement de 2022 où l’on a des voitures qui sont vraiment différentes de ce que l’on avait l’habitude de voir et les pilotes de conduire. Il va y avoir dans les rues de Monaco des voitures beaucoup plus imposantes que les précédentes donc ça va être une découverte pour tout le monde. Surtout que Monaco reste un tracé atypique aimé par les pilotes.

« Il va y avoir dans les rues de Monaco des voitures beaucoup plus imposantes que les précédentes, donc ça va être une découverte pour tout le monde »

Quel impact peuvent avoir les résultats du week-end dernier à Barcelone (1), notamment pour Ferrari et Charles Leclerc ?

Abandonner un Grand Prix, c’est toujours difficile pour un pilote et une écurie. Dans la situation de Charles, qui était en tête du championnat du monde et qui avait course gagnée, abandonner fait vraiment, vraiment mal. La bonne chose dans cette histoire, c’est que Charles sait qu’il a une voiture. Les modifications qui ont été apportées sur sa voiture au Grand Prix de Barcelone ont fait que ça a marché. Car, parfois, il y a des modifications qui sont apportées qui font que la voiture devrait logiquement être plus rapide, mais il arrive que ce ne soit pas confirmé par la piste. À Barcelone, Charles a pris la pole position, il mène le Grand prix. Malheureusement, pour un problème de fiabilité, il ne passe pas la ligne d’arrivée. Mais il sait qu’à Monaco, il aura une voiture qui sera au rendez-vous.

Cette année peut-elle être la bonne pour Charles Leclerc ?

Aujourd’hui chez Ferrari, Charles a la voiture pour gagner, et il est en train de montrer qu’il peut le faire. Mais il fait partie de la nouvelle génération. Il a, je pense, le matériel qui peut l’aider à devenir champion du monde, mais ça va être une très longue saison. Il ne faut pas qu’il tombe dans des pièges comme, éventuellement, Monaco, dans le sens où il est chez lui, tout le monde l’attend. Lui, il a une grande soif de victoire, mais c’est une arme à double tranchant. Monaco, c’est vraiment un circuit où il faut garder son calme et une concentration permanente.

« Charles a une grande soif de victoire, mais c’est une arme à double tranchant. Monaco, c’est vraiment un circuit où il faut garder son calme et une concentration permanente »

Cette pression peut être difficile à supporter ?

On a vu dans le passé que Charles était un garçon qui supporte et gère bien la pression. Je ne pense pas que ce soit quelque chose qui puisse le déranger. L’important, c’est vraiment d’être « focus ». Le fait d’avoir le Grand Prix sur trois jours, c’est mieux. Par expérience, je me rappelle que le fait de faire le jeudi, puis rien le vendredi, puis repartir le samedi et dimanche, cela cassait un peu le rythme de la course. Et il pouvait y avoir des pressions beaucoup plus compliquées à gérer à Monaco. Maintenant, ça reste un week-end standard, avec vendredi, samedi, et dimanche. Cela va aussi lui être favorable.

Leclerc reste sur trois abandons consécutifs à Monaco : quel impact psychologique cela peut-il avoir sur le pilote Ferrari ?

Il faut rester positif, comme il l’est actuellement. Connaissant Charles, il ne doit pas penser à l’abandon, mais, au contraire, à ce que sa voiture soit compétitive et rallie l’arrivée. Il a une bonne voiture, il a une bonne équipe. C’est surtout à ça qu’il faut penser.

Quelles sont les clés de ce 79ème Grand Prix de Monaco ?

La météo est un facteur très important. À partir du moment où l’on sait que l’on a un week-end sec, ça aide beaucoup, car la confiance et l’adhérence sur la piste va crescendo. Les premiers tours, les voitures glissent beaucoup et au fur et à mesure des séances et des courses de support, on arrive à avoir plus d’adhérence, et à aller de plus en plus vite. C’est vraiment le circuit de concentration.

« Je sais que ça discute beaucoup pour l’avenir du Grand Prix de Monaco. Mais c’est tout à fait normal pour Liberty Media [propriétaire de la F1 — NDLR] de mettre tous les promoteurs à égalité. C’est ensuite à la principauté de prendre des décisions »

Qui sont vos favoris et vos outsiders ?

Par rapport au Grand Prix de Barcelone, on a pu voir clairement que les outsiders aujourd’hui ce sont les Mercedes. C’est drôle de les mettre en outsiders, mais ils ont quand même remonté un peu la pente. En début d’année, ils avaient une voiture très peu compétitive, mais, désormais, ils sont en mesure de se battre pour le podium. Les prétendants à la victoire, il y en a deux : c’est Max [Verstappen — NDLR] et Charles.

Comment expliquer les difficultés de Mercedes en ce début de saison ?

C’est très simple à expliquer. Il y a eu un changement de réglementation qui a donné la chance et permis aux ingénieurs de repartir d’une feuille blanche. Car entre la voiture de l’année dernière et celle de cette année, il n’y a rien qui est réutilisé. Ce sont des voitures totalement nouvelles. Nous voyons à la télévision des voitures qui ne se ressemblent pas. Chacun a une philosophie d’utilisation de l’aéro différente. Et Mercedes a été le seul “team” [équipe — NDLR] qui a joué la carte extrême, c’est-à-dire qu’ils ont fait une voiture assez révolutionnaire, mais qui, apparemment, est très compliquée à « performer » sur la piste.

Quel regard portez-vous sur les nouveautés 2022 en F1 : nouvelles règles, nouveaux véhicules… ?

Je trouve ça génial. C’est la première fois depuis que la Formule 1 (F1) existe, qu’il y a un règlement qui est fait pour redonner une chance un peu à tout le monde, notamment les petites écuries, puisqu’il y a un “budget cap”. On ne peut pas dépenser l’argent sans limite, comme dans le passé. Il y a donc aussi un petit jeu d’économie pour pouvoir travailler sur l’auto, avec une petite fenêtre d’évolution pendant la saison. Une voiture, c’est comme un restaurant. C’est-à-dire que vous avez une carte, vous prenez du caviar, ça a un prix, vous prenez du saumon, ça a un prix… Aujourd’hui, tout le monde regarde qui fait quoi. Notamment entre Red Bull et Ferrari, tout le monde se regarde attentivement, pour voir si on ne dépasse pas ce budget.

Vous avez indiqué que les monoplaces étaient désormais plus imposantes que dans le passé : le circuit de Monaco est-il toujours adapté aux F1 modernes ?

Monaco, c’est le circuit au monde qui m’a le plus impressionné dans l’évolution de la technologie des autos et de la piste. Eux [les organisateurs — NDLR] sont évidemment dans un carcan. Ils ne peuvent pas déplacer les murs, ni la mer, ni la voirie de la ville, mais ils arrivent toujours à faire une modification qui va dans le sens de la F1 moderne. Surtout pour la sécurité. Malheureusement, j’ai vécu une période, en 1994, où nous avions perdu Roland Ratzenberger (1960-1994) et Ayrton Senna (1960-1994) [les deux pilotes sont décédés le même week-end, sur le circuit d’Imola, à l’occasion du Grand Prix de Saint Marin — NDLR]. Le Grand Prix suivant, c’était Monaco. Et nous avons eu tout de suite un accident assez important à la chicane. La chicane a été modifiée, la piscine, la Rascasse… Ce sont tous des endroits qui ont été vraiment modelés pour des voitures qui vont de plus en plus vite. Et ça, sans casser l’ADN de la piste qui est toujours très excitante. Quand on roule à Monaco, c’est un orgasme total pour un pilote. Je dis bravo à Monaco.

jean alesi acm
Photo @ Automobile Club de Monaco

Le Grand Prix de Monaco est-il toujours aussi spectaculaire ?

Oui, bien sûr. On n’a pas l’habitude de voir des F1 rouler dans un centre-ville, passer à côté d’un casino, rentrer dans un tunnel, passer dans une chicane au bord de la mer… Ce sont des images que l’on peut avoir des années 1950, jusqu’à aujourd’hui. Ça ne change pas du tout. Il y a la hauteur des vibreurs, ou les barrières, qui ont changé de couleur ou de hauteur, mais on peut superposer les photos et on a toujours les mêmes images de ces endroits. On ne peut donc pas s’en passer.

De nouveaux Grands Prix ont fait, ou vont faire, leur apparition au calendrier, notamment Bakou, Miami, et Las Vegas en 2023 : faut-il s’inquiéter pour l’avenir du Grand Prix de Monaco ?

Pas du tout. Ce qui est important pour l’organisateur, Liberty Media [propriétaire de la F1 — NDLR], c’est de mettre tout le monde à égalité. Je sais que ça discute beaucoup pour l’avenir du Grand Prix de Monaco. Mais, mettre tous les promoteurs à égalité, c’est tout à fait normal pour Liberty Media. C’est ensuite à la principauté de prendre des décisions.

Vous avez participé douze fois au Grand Prix de Monaco sans jamais parvenir à le remporter : est-ce un regret dans votre carrière ?

Oui (rires). Monaco et Monza ce sont les deux endroits [où je n’ai pas gagné]. Surtout à Monaco, où j’ai fait deux fois le record du tour pendant le Grand Prix. Il y a eu des épisodes qui ont fait que j’avais Grand Prix gagné, mais, techniquement, il se passait un truc qui m’a enlevé ma victoire. J’ai toujours aimé cet endroit, et je me suis toujours présenté le mieux possible pour prendre l’opportunité de gagner, car je me sentais bien sur ce circuit. Mais c’est la course (rires).

Le retour de Ferrari au premier plan doit vous ravir, vous qui avez disputé 79 Grands Prix (16 podiums dont une victoire) entre 1991 et 1995 sous les couleurs de la Scuderia ?

Ça fait plaisir. J’ai beaucoup d’amis qui sont encore au sein de la Scuderia. Et de les revoir gagner, c’est génial. Ferrari, pas seulement pour moi mais dans l’histoire de la F1, c’est l’équipe chouchou, c’est l’équipe qui fait rêver, c’est l’équipe qui amène les passionnés. Quand j’étais tout jeune, je regardais la F1 à la télévision, Gilles Villeneuve conduisait une Ferrari, c’était spectaculaire. J’étais content, et ça m’a donné cette passion. Ça fait vraiment plaisir de les revoir aux avant-postes.

1) Le Grand Prix d’Espagne a été remporté, dimanche 22 mai 2022, par le pilote néerlandais Max Verstappen (Red Bull). Il a devancé sur la ligne d’arrivée son coéquipier Sergio Perez (Red Bull) et le Britannique George Russell (Mercedes). Parti en pole position, le Monégasque Charles Leclerc a été contraint à l’abandon au 27ème tour, victime d’un problème moteur, alors qu’il menait la course avec une certaine avance. Le pilote Ferrari a perdu par la même occasion la première place au championnat du monde des pilotes au profit du tenant du titre, Max Verstappen.

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