samedi 20 avril 2024
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Grand Prix de Monaco — Yann-Antony Noghès : « Rester unique, ce n’est pas ne rien changer »

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Cette année, cela fait dix ans que Canal+ diffuse le championnat du monde de Formule 1. Pour célébrer cet événement, la chaîne cryptée et son directeur général, Gérald-Brice Viret, ont décidé de proposer un documentaire consacré à l’équipe qui entoure le commentateur, Julien Fébreau, pour assurer la couverture des Grands Prix depuis 2013. La réalisation de ce documentaire, appelé Accélère, accélère !, dix ans de F1 sur Canal+ (1), a été confiée au Monégasque Yann-Antony Noghès, journaliste et patron de la société de production Check Productions. Pour Monaco Hebdo, il évoque son travail pour Canal+, et sa vision du Grand Prix de Monaco. Interview.

L’origine de ce documentaire ?

Tout s’est monté très vite. Au cours d’une discussion en décembre 2022, le directeur général de Canal+, Gérald-Brice Viret, qui connaît bien Monaco car il a dirigé TMC il y a une vingtaine d’années, m’a dit qu’il souhaitait célébrer le dixième anniversaire de la Formule 1 (F1) sur ses antennes à Monaco pendant le Grand Prix. Il a de quoi célébrer : la F1 est devenue en quelques années le sport majeur sur Canal, devant le football, avec des audiences en constante hausse. Il a choisi notre société Check Productions pour la réalisation d’un documentaire diffusé dans le cadre de cette célébration.

Quelle a été la logique retenue pour traiter ce sujet ?

On ne voulait pas partir sur un « best of » classique, avec les meilleurs moments entre 2013 et 2023. Nous avons opté pour un angle plus original, en suivant en immersion le travail de l’équipe de commentateurs de Canal+. Je tenais à suivre cette “team F1”, car, depuis plusieurs années, j’étais impressionné par leur professionnalisme et par la facilité qu’ils dégagent à l’antenne. Nous les avons suivis dans les coulisses, lors du Grand Prix d’Australie notamment, et je n’ai pas été déçu. Leur travail est unanimement reconnu par les téléspectateurs et les pilotes. Ils apportent la preuve qu’une somme d’individualités, avec de fortes personnalités, peut former un groupe soudé dans la durée. C’est très inspirant.

Documentaire Grand Prix Canal+
« Canal+ a parfaitement su accompagner la transformation opérée par les nouveaux actionnaires américains de la F1, à travers la série de Netflix sur la F1, Drive to survive, lancée en mars 2019. » Yann-Antony Noghès. Journaliste et patron de la société de production Check Productions. © Photo Canal+

Selon quelle logique avez-vous structuré ce documentaire ?

Déjà, et c’était très important pour nous, ce documentaire “made in Monaco” commence et se termine à Monaco. Réalisée par Franck Florino, la séquence d’ouverture montre tous les commentateurs au volant de magnifiques voitures, notamment une McLaren, une Aston Martin, et une Ferrari. Ils roulent sur la grande corniche, et on les voit converger vers le circuit de Monaco, où ils vont notamment croiser le pilote Esteban Ocon. Ils se dirigent ensuite vers le palais, où le prince Albert II a pris quelques minutes pour les recevoir et les féliciter pour leur “success story” ces dix dernières années.

« Le directeur des sports de Canal+, Thomas Sénécal, nous a confié que Julien Fébreau n’était pas franchement convaincu par cette idée de laisser vivre le départ sans commentaire. Finalement, cela a beaucoup plu aux abonnés, et Julien a même trouvé ce gimmick « Rendez-vous au premier virage », qui est devenu sa signature »

Qu’avez-vous prévu pour le final ?

Lors du tournage à Melbourne, nous avons été les témoins, en coulisses, d’un défi lancé à Margot Laffite par le rédacteur en chef de Canal, Laurent Dupin. Margot devait décrocher une interview avec le pilote australien Daniel Ricciardo. Mais l’opération s’est révélée plus difficile que prévu, et Laurent lui a dit que si elle n’y arrivait pas, elle aurait un gage. Elle lui a répondu que si elle y parvenait, c’est lui qui en aurait un. Je ne veux rien dévoiler, mais ce que je peux vous dire, c’est que le gage est en lien avec le célèbre plongeon de Ricciardo dans la piscine Red Bull à Monaco en 2018. Et qu’à la fin du documentaire, l’un des deux journalistes n’est plus tout à fait sec (rires).

Documentaire Grand Prix Canal+
Le pilote Alpine F1 Team, Pierre Gasly, interrogé par Margot Laffite et les équipes de Canal+. © Photo Canal+

Et entre ces deux séquences tournées à Monaco, qu’avez-vous décidé de montrer dans ce documentaire ?

Nous avons surtout cherché à montrer le défi que cela représente de travailler en direct autour d’un circuit de F1. D’abord, il faut pouvoir s’appuyer sur des techniciens fiables. Quand on est en direct à l’autre bout du monde, tout doit être parfaitement anticipé et testé. Et puis, en cas de problème, il faut être flexible et réactif. On a vraiment tenu à mettre à l’honneur l’équipe technique de Canal. Ensuite, bien entendu, on a voulu montrer comment le commentateur, Julien Fébreau, se prépare, très méthodiquement [à ce sujet, lire l’interview de Julien Fébreau « La F1 et la MotoGP ont encore un potentiel de développement important »], comment il obtient des informations “en off” dans le paddock, en allant notamment parler avec Frédéric Vasseur, le patron de l’écurie Ferrari, avec les ingénieurs de Red Bull, ou encore avec des pilotes, comme Pierre Gasly.

« On revient évidemment sur la victoire sur le fil de Pierre Gasly à Monza (Italie) en 2020, car cela a donné lieu à un dernier tour de piste de folie à l’antenne. On entend Julien Fébreau hurler à Pierre Gasly : « Accélère, accélère ! », d’où le titre de notre documentaire »

Vous avez aussi suivi les consultants F1 de Canal+ ?

On montre comment l’ancien pilote de F1 devenu consultant pour Canal+, Franck Montagny [lire l’interview de Franck Montagny dans ce dossier spécial F1, publiée dans ce numéro — NDLR], prépare ses chroniques. Ce qui est frappant avec Franck, c’est qu’il ose tout. Pierre Gasly nous dit même en interview : « Il n’y a pas de barrières pour Franck ! ». Il se balade très librement dans les stands, entre Ferrari et Red Bull. Il soulève les cordons pour passer. Il va étudier les ailerons, toucher les pneus… Il flirte souvent avec la limite, au risque de se heurter aux ingénieurs, car tout cela relève un peu du « secret défense ». Ce qui fait que, parfois, les ingénieurs se mettent en travers de la caméra, pour l’empêcher de filmer leurs dernières évolutions.

Quoi d’autre ?

Nous revenons évidemment sur la genèse de la fameuse formule de Julien Fébreau, qu’il prononce juste avant chaque Grand Prix : « Montez le volume et rendez-vous au premier virage. » Dès la diffusion de son premier Grand Prix, en 2013, Canal+ a eu la volonté d’innover et de ne faire entendre aux abonnés que les bruits des moteurs des F1 au moment du départ. Le directeur des sports de Canal+, Thomas Sénécal, nous a d’ailleurs confié que Julien Fébreau n’était pas franchement convaincu par cette idée de laisser vivre le départ sans commentaire. Finalement, cela a beaucoup plu aux abonnés, et Julien a même trouvé ce gimmick « Rendez-vous au premier virage », qui est devenu sa signature. Nous avons mis nos caméras dans la cabine de commentaires, et il s’est passé beaucoup de choses lors du départ du Grand Prix d’Australie.

Que voit-on pendant cette séquence ?

On voit Julien Fébreau et son consultant Jacques Villeneuve, champion du monde 1997, regarder le départ. La tension est forte dans la cabine. Les deux hommes ne parlent pas, mais ils enregistrent toutes les informations. Leurs yeux vont de gauche à droite, ils se font des signes… Et, dès le premier virage, c’est comme si Julien prenait lui-même le départ. Il démarre son commentaire en trombe, car il s’est passé beaucoup de choses. C’est une sorte d’explosion. C’est l’un des moments forts du documentaire.

« Cette première place de Pierre Gasly à Monza en 2020, personne ne l’avait vue venir. Thomas Sénécal nous raconte même que peu de temps avant, l’équipe de Canal se préparait à vivre une carrière entière de journalistes F1 sans voir un seul pilote français gagner »

Il y a d’autres moments forts ?

On revient évidemment sur la victoire sur le fil de Pierre Gasly à Monza (Italie) en 2020, car cela a donné lieu à un dernier tour de piste de folie à l’antenne. On entend Julien Fébreau hurler à Pierre Gasly : « Accélère, accélère ! », d’où le titre de notre documentaire. La dernière victoire d’un Français en F1 remontait à Olivier Panis en 1996, à Monaco, avec Ligier. Cette première place de Pierre Gasly, personne ne l’avait vue venir. Thomas Sénécal nous raconte même que peu de temps avant, l’équipe de Canal se préparait à vivre une carrière entière de journalistes F1 sans voir un seul pilote français gagner. Résultat, cela a donné un moment de télé d’anthologie. Pierre Gasly nous raconte que cela lui donne des frissons à chaque fois qu’il revoit la séquence.

Documentaire Grand Prix Canal+
« Romain Grosjean est un miraculé. Il a passé une trentaine de secondes dans les flammes […]. Je suis particulièrement sensible à cette histoire, car mon cousin, Lionel Noghès, avait été pris dans le brasier de sa voiture en 1972, au Mans. Il m’a raconté avoir perdu connaissance, et que ce sont les hurlements de la foule qui lui ont fait retrouver ses esprits et qui lui ont permis de jaillir hors de sa voiture. » Yann-Antony Noghès. Journaliste et patron de la société de production Check Productions. © Photo Canal+

Ces dix dernières années ont aussi été marquées par des moments très difficiles, comme l’accident de Romain Grosjean, à Bahreïn le 29 novembre 2020, au volant de sa Haas ?

Romain Grosjean est un miraculé. Il a passé une trentaine de secondes dans les flammes. Il faut savoir que Julien Fébreau était le témoin de Romain Grosjean, lors de son mariage avec Marion Jollès. Il est aussi le parrain de l’un de ses deux garçons. Cela a donc été terrible de voir son ami dans les flammes, pendant vingt-huit secondes, très précisément. Il n’avait pas d’informations, il ne savait pas ce qui se passait. Julien Fébreau nous raconte cela, et c’est une séquence forte en émotion. Je suis particulièrement sensible à cette histoire, car mon cousin, Lionel Noghès, avait été pris dans le brasier de sa voiture en 1972, au Mans. Il m’a raconté avoir perdu connaissance, et que ce sont les hurlements de la foule qui lui ont fait retrouver ses esprits et qui lui ont permis de jaillir hors de sa voiture. Cet accident de Romain Grosjean nous rappelle que dans le sport automobile, tout peut basculer en un instant, aujourd’hui encore.

Comment a débuté la F1 sur Canal+, il y a dix  ans, en 2013 ?

Canal+ a décroché les droits de la F1, qui étaient jusque-là détenus par TF1. A l’époque, Canal+ n’avait pas d’équipe de sports mécaniques. Ils n’ont eu que quelques jours en février 2013 pour monter leur team F1 avec des commentateurs, des journalistes, des consultants, et une équipe technique solide, car le premier Grand Prix avait lieu seulement trois semaines plus tard. Et dix ans après, ce sont toujours les mêmes.

« Il y a quelques semaines, à Miami, quand le célèbre rappeur américain LL Cool J, accompagné des violons d’un orchestre philharmonique, a présenté Charles Leclerc au public, il a dit : « Il nous vient tout droit du pays où a lieu le plus grand de tous les Grands Prix… » Voilà comment les Américains voient Monaco. Mais il ne faut jamais s’endormir sur ses lauriers. Une image, cela s’entretient »

Pourtant, au début des années 2010, la F1 semblait en perte de vitesse ?

A l’époque, en 2013, on entendait beaucoup « la F1, c’était mieux avant ». Et avec la lutte contre le réchauffement climatique, on se demandait si les sports mécaniques avaient un avenir. Dix ans plus tard, on vit un nouvel âge d’or de la F1. On se rend compte que les jeunes adhèrent. Canal+ a parfaitement su accompagner la transformation opérée par les nouveaux actionnaires américains de la F1, à travers la série de Netflix sur la F1, Drive to survive, lancée en mars 2019 [à ce sujet, lire notre article La formule miracle de Netflix pour accélérer les audiences de la Formule 1]. Canal+ a réussi à faire ce qu’il y a de plus difficile, à savoir s’adresser à la fois aux fans de F1 avides d’informations techniques, et aux plus jeunes, davantage connectés sur les réseaux sociaux, qui s’intéressent à la F1 à travers les pilotes, et le côté plus “show” de ce sport. Aujourd’hui, l’audience de la F1 s’est élargie, s’est rajeunie et s’est féminisée.

Documentaire Grand Prix Canal+
« On voit Julien Fébreau et son consultant Jacques Villeneuve, champion du monde 1997, regarder le départ. La tension est forte dans la cabine. Les deux hommes ne parlent pas, mais ils enregistrent toutes les informations. Leurs yeux vont de gauche à droite, ils se font des signes… Et, dès le premier virage, c’est comme si Julien prenait lui-même le départ. » Yann-Antony Noghès. Journaliste et patron de la société de production Check Productions. © Photo Canal+

Au milieu de ce bouillonnement, comment se situe aujourd’hui le Grand Prix de Monaco ?

Ces dernières années, pas mal de gens ont été un peu ébranlés dans leurs certitudes par rapport au caractère incontournable du Grand Prix de Monaco. Mais au-delà des opérations d’intox, il faut écouter ce que ressentent vraiment les fans de F1. Il y a quelques semaines, à Miami, quand le célèbre rappeur américain LL Cool J, accompagné des violons d’un orchestre philharmonique, a présenté Charles Leclerc au public, il a dit : « Il nous vient tout droit du pays où a lieu le plus grand de tous les Grands Prix… » Voilà comment les Américains voient Monaco. Mais il ne faut jamais s’endormir sur ses lauriers. Une image, cela s’entretient.

Il y a un risque ?

Il faut rester vigilant. Surtout lorsqu’on voit comment se prépare le tournage du prochain film-événement sur la F1 de Joseph Kosinski, réalisateur de Top Gun Maverick (2022), avec Brad Pitt. C’est un long-métrage porté par Apple, en partenariat avec Liberty Media les propriétaires de la F1, avec un budget de 140 millions de dollars, et dont le pilote britannique Lewis Hamilton est coproducteur. Le tournage démarre bientôt à Silverstone, où Brad Pitt pilotera une monoplace lors du week-end du Grand Prix de Grande-Bretagne. Il en fera certainement de même à Las Vegas. La série de Netflix a été la première étape de la transformation de l’image de la F1 par les puissants et talentueux propriétaires américains. Ce film constituera la deuxième étape. Ce film va contribuer à réécrire le récit, l’imaginaire de la F1 pour les années à venir, en recrutant de nouveaux fans. Et Monaco ne sera pas dedans, alors que le grand final de n’importe quel film sur la F1 devrait se dérouler chez nous. Au-delà de cet exemple, nous ne pouvons pas rester assis et attendre que l’on vienne à nous. Nous devons faire du lobbying et nous imposer, si nous voulons rester incontournables.

« Il faut rester vigilant. Surtout lorsqu’on voit comment se prépare le tournage du prochain film-événement sur la F1 de Joseph Kosinski, réalisateur de Top Gun Maverick (2022), avec Brad Pitt […]. Ce film va contribuer à réécrire le récit, l’imaginaire de la F1 pour les années à venir, en recrutant de nouveaux fans. Et Monaco ne sera pas dedans, alors que le grand final de n’importe quel film sur la F1 devrait se dérouler chez nous »

Faire du lobbying auprès de qui, et par quels intermédiaires ?

Il faut d’abord faire du lobbying auprès des Américains qui sont la nouvelle locomotive. Je suis en contact avec Scott Greenstein, le président de Sirius XM, l’opérateur américain de radios numériques. Sirius n’est pas très connu en Europe, mais il faut se rendre compte qu’aux Etats-Unis, c’est plus de 400 stations de radio et 61 millions d’auditeurs, pour 9 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Sirius XM appartient à Liberty Media, qui possède aussi la F1. Check Productions a entamé une collaboration avec ce groupe pour la réalisation d’un podcast sur la F1 depuis Monaco, à destination du public américain. C’est un début, une opération de communication et de lobbying, à travers notamment un podcast enregistré au palais princier, avec la participation du prince Albert II et de l’ancien pilote écossais et résident monégasque, David Coulthard.

Documentaire Grand Prix Canal+
© Photo Canal+

D’autres opérations de lobbying sont prévues à l’occasion du 80ème Grand Prix de Monaco, qui aura lieu le 28 mai 2023 ?

Pendant le Grand Prix, en tant que membre du comité d’organisation et de la commission média de l’automobile club de Monaco (ACM), je suis chargé de la coordination des interviews des pilotes par les diffuseurs officiels, du jeudi au dimanche. Parallèlement, Check Productions accompagne, à son niveau, l’effort nécessaire pour faire rayonner Monaco. Par exemple, le documentaire Grand Prix de Monaco, la légende [à ce sujet, lire l’interview Yann-Antony Noghès nous raconte « Grand Prix de Monaco, la légende », publié dans Monaco Hebdo n° 1107 — NDLR], avec le prince Albert II en narrateur exceptionnel, va être diffusé cette année au Royaume-Uni, sur Channel 4, ainsi qu’en Afrique du Sud. Produit en 2019, ce film a déjà été diffusé dans 73 pays, et vu par des dizaines de millions de téléspectateurs. Il est également proposé par une quinzaine de compagnies aériennes, comme British Airways, United Airlines, ou Emirates. Par ailleurs, le consul de Monaco à Las Vegas, Jonathan Warren, va organiser une projection en novembre 2023 pour des personnalités et les médias, juste avant le Grand Prix de Las Vegas.

« Il sera intéressant cette année d’observer le contraste entre le grand show controversé de Miami, où ce rappeur a présenté les pilotes à moins de 30 minutes du départ, avec la soirée toute en élégance à Monaco, rassemblant l’ensemble des pilotes le jeudi soir autour du prince Albert  II, dans la cour d’honneur du palais »

Quel est l’objectif de cette projection à Las Vegas ?

Le Grand Prix de Las Vegas s’annonce comme un grand show, l’incarnation de ce à quoi les nouveaux actionnaires veulent que la F1 ressemble. Ce sera un tournant. Avec ces nouveaux Grands Prix qui émergent, on entend de plus en plus le Grand Prix de Monaco qualifié de Grand Prix « historique », parfois avec le sous-entendu d’un circuit un peu vieillissant et dépassé. Nous devons certes revendiquer ce caractère « historique », mais en nous présentant comme le Grand Prix authentique, l’original. Certains journalistes américains commencent à présenter le Grand Prix de Las Vegas comme le « Monaco de l’Amérique du Nord ». C’est très bien, cela montre que le Grand Prix de référence, c’est Monaco. A cet égard, il sera intéressant cette année d’observer le contraste entre le grand show controversé de Miami, où ce rappeur a présenté les pilotes à moins de 30 minutes du départ, avec la soirée toute en élégance à Monaco, rassemblant l’ensemble des pilotes le jeudi soir autour du prince Albert II, dans la cour d’honneur du palais. De quoi rappeler à tout le monde que Monaco est le joyau de la couronne.

Le grand public a besoin qu’on le lui rappelle, car l’étoile du Grand Prix de Monaco a légèrement pali ces dernières années ?

Une étude a été faite en octobre 2021 par Formula One auprès de 170 000 fans de F1 dans 187 pays. C’était au moment où une petite musique savamment orchestrée, d’abord relayée par des leaders d’opinion, puis reprise par des médias “mainstream” [grand public — NDLR], commençait à contester le caractère incontournable de notre Grand Prix. Parmi les nombreuses questions posées, il y avait : « Quel est votre circuit préféré ? ». Soyons honnêtes, si l’on se fiait à ce que l’on entendait ou lisait à gauche et à droite, à l’époque, on avait des raisons de s’inquiéter. Figurez-vous que Monaco a été qualifié par les fans d’« untouchable », c’est-à-dire d’impossible à supprimer du calendrier du championnat du monde ! Très peu de gens ont eu connaissance de ce résultat, car cela n’a pas été crié sur les toits au moment de la renégociation du contrat. J’ai dû me plonger dans l’épais rapport de ce sondage pour le voir. Mais voilà la réalité des choses. Nous devons être conscients de nos forces, tout en sachant se remettre en question.

« Quand on veut, on peut. Il faut respecter notre histoire, nos traditions, et entretenir ce qui fait notre différence et notre attractivité. […] Nous avons des raisons d’être optimistes, si nous continuons à avancer »

Les Américains de Liberty Media veulent du grand spectacle, du suspense, et des circuits rapides, où il est possible de doubler : cela ne correspond plus à ce que propose le circuit de Monaco, estiment un certain nombre de fans de F1 ?

Tout le monde sait que Monaco est une épreuve unique dans le calendrier du championnat du monde de F1. L’évolution des voitures ne favorise pas le spectacle sur notre circuit, et c’est un point à surveiller. Mais je pense qu’il y a une réflexion globale à mener sur cette question. La force des Monégasques, et plus encore lorsqu’ils travaillent en équipe, c’est de transformer des contraintes en opportunités. Quand on veut, on peut.
Il faut respecter notre histoire, nos traditions, et entretenir ce qui fait notre différence et notre attractivité. Mais rester unique, ce n’est pas ne rien changer. Nous avons des raisons d’être optimistes, si nous continuons à avancer.

1) Accélère, accélère !, dix ans de F1 sur Canal+, première diffusion sur Canal+ le 28 mai 2023, à 11 heures (2023, durée : 45 minutes).

Pour lire la suite de notre dossier « 80ème Grand Prix de Monaco », cliquez ici.