jeudi 25 avril 2024
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Un vote en attendant le contrat de vie commune

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Le 30 octobre, les élus ont voté à l’unanimité une proposition de loi sur le contrat de cohabitation familiale, un texte dont la population n’a pas vraiment besoin, a estimé le rapporteur, Pierre Van Klaveren. Mais ce texte vient en guise d’apaisement, pour mieux aborder le texte sur le contrat de vie commune le 2 décembre. Explications.

Après la tempête, le grand calme. Le 30 octobre 2019, à très exactement 20h24, la proposition de loi sur le contrat de cohabitation familiale a été adoptée « à l’unanimité des conseillers nationaux présents », comme l’a souligné le président du Conseil national, Stéphane Valeri. Le tout dans un contexte plus qu’apaisé, puisque ce texte n’a été commenté que par son rapporteur, Pierre Van Klaveren, l’élu Horizon Monaco (HM), Jacques Rit, et donc, par le président du Conseil national, Stéphane Valeri. Et pourtant, en amont, les tensions ont été très vives. On se souvient en effet du courrier adressé par l’archevêque de Monaco, Monseigneur Bernard Barsi, au Conseil national. C’était le 15 octobre 2019 et le titre de cet envoi, « réflexion critique » était un véritable euphémisme. Dans un texte de 9 pages, Monseigneur Barsi dénonce les amendements du Conseil national sur le projet de loi concernant le contrat de vie commune. Déposé en 2013 par le groupe politique Union Monégasque (UM) de Jean-Louis Grinda, Jean-François Robillon et Bernard Pasquier, ce texte a pour objectif d’être un « Pacs à la monégasque ». Pour Monseigneur Barsi, ce texte est tout simplement inutile : « Le droit de la principauté, à l’instar de celui des autres pays européens, est déjà assez fourni pour apporter à ce style de vie — très minoritaire, faut-il le rappeler ? — une sécurité juridique au moyen d’éléments adaptés. […] Le code civil monégasque suffit pour tout le monde et rend, à l’évidence et par voie de conséquence, une loi spécifique inutile, voire dangereuse. » Soucieux de distinguer clairement ce contrat de vie commune avec le mariage, l’archevêque estime que le projet de loi élaboré à la suite du texte du Conseil national était « équilibré » car il ne plaçait pas les deux dispositifs sur un « pied d’égalité juridique » et qu’ainsi « l’affichage institutionnel et politique de la fonction sociale du mariage était préservé ». Le texte amendé ensuite par les conseillers nationaux a déplu et Monseigneur Barsi explique pourquoi : « Tel qu’il est maintenant amendé, le projet de contrat de vie commune est réduit à un ersatz de mariage, dont il prétend être sans rapport, alors qu’il le cantonne à la communauté de lit, en excluant les fratries, et aligne sur des dizaines d’articles les droits des « partenaires » sur ceux des « conjoints » avec pour seule contrepartie le devoir de contribuer aux charges courantes de la vie commune. »

« Danger »

Monseigneur Barsi est allé encore un peu plus loin dans sa démonstration, jugeant que légiférer de façon « spécifique en faveur de l’union libre » dépasse le cadre de ce simple texte : « C’est mettre en danger la stabilité de nos institutions, en éloignant toujours davantage la législation monégasque de la doctrine de l’Église. C’est aussi mettre en difficulté la personne du prince, garant de nos institutions et incarnation d’une dynastie dont la force multiséculaire est d’avoir été d’abord elle-même une famille et d’une lignée dont le pivot historique a toujours été son lien quasiment consubstantiel avec l’Église catholique. La défense de l’identité nationale passe donc par le respect de ses racines chrétiennes, qui ne sont pas la source d’un immobilisme passéiste, ni d’un folklore convivial, mais d’une prise de conscience toujours plus grande du droit de la famille, comme en témoigne l’abondance des textes récents du magistère de l’Église en ce domaine. » L’archevêque de Monaco conclut alors sa démonstration en estimant qu’« affaiblir la catholicité de l’État, c’est mettre en danger la pérennité de nos institutions, c’est mettre en danger le pouvoir du prince tout autant que la cohésion nationale. Si demain le prince venait à ne plus être souverain “par la grâce de Dieu”, il le serait par la volonté du peuple. Le gouvernement devrait répondre devant le peuple. Dès lors, disparaîtrait ce qui a fait la spécificité et le succès de notre communauté depuis des siècles, tout autant que la prospérité exemplaire de notre principauté. Il convient d’y réfléchir sérieusement… »

« Apaisement »

Bref, on le voit, le contexte était particulièrement tendu. Pour désamorcer ce sujet devenu explosif, Stéphane Valeri et sa majorité Primo ! ont donc décidé de reporter ce débat au 2 décembre 2019, afin de « laisser encore du temps à la concertation ». Impossible de passer en force, car si le projet de loi amendé par les conseillers nationaux avait été présenté le 30 octobre il aurait été retiré par le gouvernement, soucieux de prendre en considération les positions exprimées par l’archevêché. Pas question de risquer de bloquer le processus législatif ont estimé les élus Primo !, qui ont donc décalé ce sujet à début décembre. Il fallait au moins ça pour calmer les esprits. En signe d’apaisement, les élus ont accepté, en plus, de voter à l’unanimité un texte sur la cohabitation familiale. « Cette volonté d’apaisement, clairement exprimée, a été entendue par le gouvernement et par l’archevêché, puisque nous avons reçu avant-hier une nouvelle version largement remaniée du projet de loi n° 974 du gouvernement, qui remet le processus sur le bon chemin », a indiqué Stéphane Valeri. Avant d’ajouter : « Ces modifications seront attentivement étudiées dans les prochains jours par notre Assemblée et débattues en séance publique le 2 décembre prochain. J’ai bon espoir qu’un accord soit trouvé, pour tous ces couples de Monégasques et de résidents qui sont dans l’attente. » Même tonalité chez le conseiller national HM Jacques Rit, pour qui il « semble inutile de revenir sur les échanges épistolaires un peu rugueux avec les représentants de l’Eglise, qui, quelque part, sont, eux, restés dans leur rôle. Vivons plutôt l’instant présent, puisqu’à la suite de l’annonce par le Conseil national du dépôt de la proposition de loi n° 245 et du report de l’étude du projet de loi n° 974, monseigneur l’Archevêque a évoqué de possibles concessions dans la position de l’Eglise, et le gouvernement a fait, également, un pas vers l’apaisement en déposant un nouveau projet de loi relative aux contrats civils de solidarité. » Ces interventions apaisées n’ont pas empêché le rapporteur au nom de la commission des droits de la femme et de la famille, Pierre Van Klaveren, de rappeler que la proposition de loi votée en ce 30 octobre 2019 était « d’ordre contextuel », et que « son existence n’a de sens, pour les élus, qu’en raison de ses interactions avec le processus législatif lié à l’étude du projet de loi, n° 974, relatif au contrat de vie commune. » Le rapporteur a rappelé que l’objectif de départ de ce texte était de garantir une reconnaissance « officielle et sociale » aux « nombreux couples vivant en union libre », en mettant à leur disposition un cadre juridique leur permettant d’organiser les « aspects patrimoniaux de leur vie conjugale », et de faire face aux « aléas de l’existence ». Une vision partagée par l’élu HM, Jacques Rit, qui estime, lui aussi, que les « compatriotes et les résidents de la principauté qui attendent un tel texte depuis bien longtemps sont nombreux ».

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« Dans l’hypothèse où le Conseil national se trouverait uniquement confronté à un texte relatif à la famille dans un avenir proche, ce texte ne serait assurément pas examiné, voire tout simplement rejeté »

Pierre Van Klaveren. Elu Primo ! et rapporteur

Quasiment inutile

Pierre Van Klaveren a alors insisté sur les raisons qui ont conduit sa majorité à amender le projet de loi du gouvernement : « Le gouvernement avait pris le parti de ne pas distinguer clairement, au sein d’un même texte relatif à la vie commune, la communauté de vie, et donc de lit, avec la communauté de toit entre les membres d’une même famille. De plus, aucun droit substantiel n’était alloué aux couples sur le plan social, ne serait-ce, par exemple, qu’au niveau de la couverture maladie. » Pas question d’accepter cette version du texte pour les élus qui ont donc supprimé toutes les références liées à la famille dans ce contrat de vie commune, afin de réserver ce type de contrat aux couples vivant en union libre. De plus, les droits pouvant être touchés par le partenaire d’un contrat de ce genre ont été complétés par les élus, notamment en ce qui concerne la succession, la couverture maladie ou encore le contrat habitation-capitalisation. Le Conseil national indique avoir informé le gouvernement en mars 2019. Après une réunion de travail le 14 mai 2019, une deuxième rencontre a eu lieu, à l’archevêché cette fois, le 7 juin 2019. « Or, jamais notre Assemblée n’a été mise en mesure, ces derniers mois, de pouvoir échanger concrètement avec le gouvernement sur l’ensemble de ses propositions et de ses amendements, assure Pierre Van Klaveren. Et, si le gouvernement vient enfin d’adresser une réponse au Conseil national, laquelle a été reçue le 28 octobre 2019, soit deux jours avant cette séance publique pourtant programmée de longue date, chacun conviendra que cette réception tardive, pour une séance publique prévue au 30 octobre 2019, n’a évidemment pas permis aux élus d’en prendre une connaissance approfondie. » Voilà pourquoi, et pour aller au bout de leur logique, les élus ont donc décidé de déposer une proposition de loi dédiée uniquement à la famille : le contrat de cohabitation familiale. Mais les élus n’ont pas changé d’avis : ils restent persuadés que ce texte sera quasiment inutile : « La famille étant un lieu où la solidarité s’exerce naturellement, le contrat n’est pas particulièrement nécessaire pour la protéger », glisse le rapporteur, tout en soulignant que l’existence de ce texte n’est là que pour matérialiser la volonté du Conseil national de voter un texte sur l’union libre. Si les élus continuent de répéter qu’il n’est pas question avec cette future loi de porter atteinte au mariage, ils restent fermes sur leurs positions et posent leurs conditions : « Dans l’hypothèse où le Conseil national se trouverait uniquement confronté à un texte relatif à la famille dans un avenir proche, ce texte ne serait assurément pas examiné, voire tout simplement rejeté. La reconnaissance des couples vivant en union libre, par un contrat distinct, est donc une condition sine qua non de l’intégration dans la loi, par un vote de l’Assemblée, de tout autre mécanisme contractuel prenant en considération la protection des familles », souligne Pierre Van Klaveren.

Interrogations

Dans la foulée, cet élu s’est questionné sur les « risques » potentiels de ce contrat destiné aux familles. Evoquant la problématique du regroupement familial, il s’est demandé ce qu’il se passerait lorsqu’un contrat contrat de cohabitation familiale sera signé entre un Monégasque et un non-résident ou encore entre un résident et un non-résident. « Si le gouvernement souhaite faire preuve de cohérence avec ses propres propositions, il devrait délivrer, dans certains cas, une carte de résident aux membres de la famille qui entendent vivre en cohabitation avec un Monégasque ou un résident », a glissé Van Klaveren. Autre « risque » possible : la cohabitation familiale et le logement domanial. En cas de signature d’un contrat de cohabitation pour vivre ensemble, les membres d’une famille devront disposer d’une chambre chacun. « Cela sous-entendrait alors de majorer le besoin normal en logement du foyer, du nombre de pièces nécessaires, et, par conséquent, de modifier les dispositions réglementaires relatives aux critères d’attribution des logements domaniaux. […] Ne prend-on pas le risque, à terme, de désavantager les couples mariés et leurs enfants, en attribuant des logements de types F3, F4 ou F5, en raison de la cohabitation familiale ? Quelles seront les conséquences au niveau de l’aide nationale au logement ? », a avancé le rapporteur. Pour finir cette séquence d’interrogations multiples, Pierre Van Klaveren s’est demandé si « pour toutes les aides sociales servies par l’Etat monégasque, les revenus du contractant devraient être intégrés à ceux du foyer ? » et s’il faudrait « intégrer les revenus du contractant dans les ressources du foyer des personnes attributaires de l’allocation aux adultes handicapés ? ». Estimant que sauf à porter atteinte à la finalité de ces différentes aides sociales, cela n’était pas possible, Van Klaveren a donc prévenu le gouvernement : ce contrat de cohabitation familiale ne doit pas conduire à un recul de la politique sociale de l’Etat. Regrettant que « faute de retour officiel dans des délais suffisants de la part du gouvernement », ces questionnements n’aient pas pu être soumis à l’exécutif, le rapporteur a ajouté : « Cela aurait permis au gouvernement de mieux comprendre que la position des élus, visant à ne plus inclure les membres de la famille au sein du contrat de vie commune, trouvait notamment son origine dans des difficultés concrètes et identifiées ». La balle est désormais dans le camp du gouvernement et tous les regards sont tournés vers le débat public du 2 décembre prochain. Jacques Rit est resté optimiste : « Gageons que ce texte, qui regroupe deux contrats bien différenciés, sera, éventuellement après amendements, enfin le bon. Ce qui impliquera bien sûr, dans ce cas, l’avortement du processus législatif de la proposition de loi, devenue désormais inutile, que nous nous apprêtons à voter ce soir. » Ce qui est sûr, c’est que le chemin fut difficile, et que les élus ne s’attendaient peut-être pas à ça. « Il est vrai que l’on aurait pu rêver d’un processus législatif plus naturel, plus spontané, et plus serein…, a reconnu Rit. Mais, pour cela, il faudrait arriver à se guérir de cette crainte que provoque l’idée d’accompagner certaines de nos évolutions sociétales, même si elles peuvent être parfois vécues comme des révolutions. »