Alors que la France a enregistré début novembre un 131ème féminicide depuis le début de l’année,

un rapport du ministère de la justice français, dévoilé ce dimanche 17 novembre, pointe les dysfonctionnements et l’inefficacité de la politique pénale en matière de violences conjugales. À quelques jours de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, qui aura lieu lundi 25 novembre, Monaco Hebdo s’est entretenu avec Céline Cottalorda, déléguée pour la promotion et la protection des droits des femmes. Interview.

Le 25 novembre a lieu la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes : qu’est-il prévu ce jour-là ?

Tout d’abord, il y a la mise en place d’une campagne de sensibilisation sur la violence faite aux femmes. C’est une campagne assez originale et inédite puisqu’elle utilise la danse comme vecteur de communication pour évoquer la violence physique et mentale. On a réalisé un clip vidéo avec une danseuse des ballets de Monte-Carlo, qui fait une chorégraphie sur la thématique de la violence. Cette campagne va être diffusée sur les réseaux sociaux du gouvernement, sur Monaco Info. On aura aussi des relais en ville, au niveau des abris bus connectés. Il y a aussi une déclinaison version affichage en ville, version “print” dans la presse locale…

Quel message souhaitez-vous faire passer avec cette campagne ?

Le message de cette campagne est « Face à la violence faite aux femmes, agissons ! ». Il y a à la fois un message fort en termes de slogan, mais aussi une manière de montrer la violence qui se veut volontairement indirecte. On peut faire passer des messages d’autant plus facilement que l’on peut s’adresser à un grand nombre de personnes, et pas seulement à celles qui sont concernées directement, celles qui sont déjà à l’écoute de cette problématique… Utiliser la culture permet de toucher un plus grand public.

Pourquoi avoir choisi la danse pour accompagner cette campagne ?

La culture, tout comme le sport, touchent beaucoup de personnes, le grand public. Donc la danse nous semblait un moyen original d’attirer l’attention. Et peut-être de faire passer le message auprès de personnes qui n’auraient pas forcément remarqué si on avait fait quelque-chose de plus traditionnel avec des photos parfois choc dans des campagnes. L’idée était de le faire plus en douceur. Même si la forme est plus douce, ça n’enlève pas le fait que derrière on peut faire passer un message fort.

Quand et comment est née cette campagne ?

Cette campagne a été inspirée par le film et la pièce de théâtre Les chatouilles, qui sont basés sur l’histoire d’une jeune femme qui a été violée durant son enfance et qui exprime toute la violence qu’elle a en elle au travers de la danse. On a voulu réutiliser ce type de support pour exprimer des émotions très fortes de manière assez douce en apparence.

Ces journées de sensibilisation sont vraiment efficaces ?

Ce n’est pas facile de mesurer l’efficacité en tant que telle, mais cette campagne est issue d’une mobilisation assez forte de plusieurs partenaires qui viennent d’univers variés. Cette campagne a été proposée par une agence de communication monégasque, elle a été mise en œuvre avec une danseuse des ballets de Monte-Carlo, la chorégraphie a été réalisée par la directrice d’une école de danse à Monaco. Et derrière, on a des relais qui vont se faire au travers des acteurs du comité, que ce soit les institutions (gouvernement, mairie de Monaco, Conseil national), les associations qui œuvrent en faveur des femmes. Il y a donc eu un élan de bonne volonté et une union des forces pour que cette campagne soit la plus relayée possible.

Outre cette campagne, d’autres événements sont-ils prévus lundi 25 novembre 2019 ?

Le 25 novembre, il y aura deux représentations de théâtre sur le thème de la violence au théâtre princesse Grace (TPG). C’est du théâtre interactif. La troupe invite le public à participer, à interagir avec les saynètes qui sont jouées. C’est une manière d’interpeller directement le public, de lui faire se poser des questions sur ses propres réactions quand on assiste à certaines scènes de violence ou à des propos sexistes… Une première représentation se déroulera dans l’après-midi pour les lycéens des classes de 2nde des établissements scolaires monégasques. Cela s’est fait avec la collaboration de l’éducation nationale. Les saynètes ont été adaptées en fonction de l’âge du public, et la saynète pour ces élèves aura pour thème les réseaux sociaux, les rencontres virtuelles et le fait de respecter le non… Et le soir à 18 heures, la séance sera plus grand public, plutôt public adulte, sur le thème des violences conjugales. Avec ces actions concrètes, on essaie de faire en sorte que tout le monde se sente concerné que ce soit les jeunes, les moins jeunes. Quel que soit notre âge, on est tous concernés par ce phénomène de la violence, du sexisme ou de la discrimination.

Ces représentations et cette campagne sont le fruit de partenariats ?

Oui, les représentations se font en partenariat avec le club Soroptimist de Monaco. Cette association fait partie du comité et on a élaboré le programme en collaboration avec elle et l’éducation nationale pour la partie jeunesse. Des sportifs de la Roca Team se sont aussi associés à la campagne et au clip vidéo. Deux joueurs, Dee Bost et Yakuba Ouattara, l’entraîneur Sasa Obradovic et le directeur exécutif Oleksiy Yefimov ont enregistré le message de soutien à la campagne dans leur langue maternelle. C’est donc vraiment une mobilisation de toutes les forces vives, aussi bien dans le domaine culturel, associatif que sportif et institutionnel.

Beaucoup d’annonces et de communication sont faites aujourd’hui sur ce sujet : mais, au final, y a-t-il autant d’action que de communication ?

C’est un volet de l’action. Cela passe par la communication. Ensuite, des actions concrètes sur le terrain pour les personnes concernées doivent être prises. Et c’est le cas, que ce soit au niveau des associations en particulier de l’association d’aide aux victimes d’infractions pénales (AVIP) qui accueille, conseille et aide les femmes victimes de violences qui auraient besoin de leurs services. Au niveau institutionnel, il est important de sensibiliser, de former les services administratifs (services de police, services sociaux, psychologues, personnel hospitalier…) qui peuvent rencontrer des femmes victimes de violences.

Des nouvelles mesures sont à prévoir ?

Un plan d’action va être annoncé d’ici début décembre 2019, puisque, dans le cadre de mes fonctions au sein du comité de promotion et de protection des droits des femmes, une réunion est prévue à ce moment-là. On va lancer un certain nombre de mesures concrètes pour compléter la partie communication et la partie terrain. Les deux sont liés parce que, malgré tout, ce n’est pas de la communication pour se faire plaisir, c’est une communication pour qu’il y ait une prise de conscience, de l’information et que la parole se libère de plus en plus. Et faire en sorte que des femmes qui n’osaient pas s’exprimer se sentent plus à l’aise de le faire. En parallèle, il faut que les personnes qui vont accueillir ces femmes soient à l’écoute et prennent en considération leur parole.

Parmi ces mesures, vous évoquez notamment la formation au niveau judiciaire ou des hôpitaux : mais pourquoi cette formation n’arrive que maintenant ?

Des actions ont déjà été menées dans ce sens-là depuis plusieurs années. On va les renforcer. On ne part pas de zéro et on ne se réveille pas aujourd’hui. À Monaco, une loi existe depuis 2011 [loi contre la répression des violences particulières — N.D.L.R.] qui a d’abord pour but de protéger davantage les victimes et de renforcer la répression des auteurs. Et dans le cadre de cette loi, il y a notamment la nécessité de mettre en place des actions de formation pour l’ensemble des personnels qui accueillent des victimes. C’est donc quelque chose qui existe déjà, mais que l’on va renforcer.

Si vous souhaitez renforcer ces dispositifs, cela signifie qu’ils ne sont pas suffisants ?

Non, ce n’est pas ça que ça veut dire. Ça veut simplement dire qu’on poursuit ce qui a déjà été engagé, on le renforce. Il y a un mouvement, et on continue. On n’a pas fait le constat que ça ne fonctionnait pas. Au contraire. Il y a aussi le fait que, parfois, le personnel tourne, ce n’est pas toujours les mêmes personnes. Il faut donc faire de la formation initiale et continue, les renouveler, pour que cette thématique soit toujours bien présente dans l’esprit des personnes qui vont devoir traiter ce problème.

En France, un rapport pointe les dysfonctionnements et l’inefficacité de la politique pénale en matière de violences conjugales : qu’en est-il à Monaco ?

Je n’ai pas eu ce type de remontées, qu’il y aurait des dysfonctionnements. Je ne vais pas me prononcer sur ce qu’il se passe en France, sur ce qui serait fait, pas bien fait… On est attentif à ce qui se passe dans le pays voisin, mais en ce qui concerne Monaco, il y a aujourd’hui un nombre de cas limités.

Combien de cas de violences conjugales sont jugés en principauté ?

Une étude beaucoup plus générale va bientôt sortir. En prémices, je dispose de quelques chiffres. Sur l’année 2019, au niveau de la sûreté publique, 26 cas de violences ont été recensés auprès de la police. Pour plus de la moitié, il s’agit de violences physiques et environ un quart des violences sexuelles. On est donc sur un nombre assez restreint de cas. Mais ce sont toujours des cas de trop.

Monaco n’est donc pas épargnée ?

Monaco n’échappe pas au phénomène de violence faite aux femmes. C’est la raison pour laquelle on doit être attentif à ce qui se passe ailleurs, voir ce que l’on peut éventuellement dupliquer, ce qui nous correspondrait, ce qui serait efficient… D’autres problématiques sont peut-être moins réelles à Monaco. On a aussi nos particularités. Le fait que l’on soit sur un petit territoire peut favoriser le traitement rapide des affaires, d’autant plus que tous les interlocuteurs police-justice notamment se connaissent, ont des contacts réguliers. Ce petit territoire doit aussi nous amener à renforcer notre vigilance par rapport à la confidentialité des traitements des demandes. Une femme à Monaco peut aussi hésiter à porter plainte, à dénoncer des faits de peur d’être reconnue… Il faut donc inciter les femmes à parler et donner les suites qu’il faut pour combattre le phénomène.

Y a-t-il à Monaco des refuges pour les femmes victimes de violences ?

Non, mais on a des hébergements d’urgence qui sont à disposition des femmes qui en auraient besoin, et qui devraient quitter le domicile conjugal. Ces appartements d’urgence sont gérés par la direction de l’action et de l’aide sociales. Dès qu’il y a nécessité, des femmes peuvent être mises à l’abri dans ces appartements.

Les dispositifs mis en place en principauté sont suffisants ?

Il faut toujours se poser la question de comment est-ce qu’on peut s’améliorer. Mais que ce soit au niveau des services de police, de la justice, des services sociaux et de l’association d’aide aux victimes d’infractions pénales (AVIP), on a quand même un dispositif qui existe. Il est efficace. La plus grosse difficulté, c’est que les femmes osent parler. Après, quand elles osent parler, on a les dispositifs qui permettent de les accueillir de les écouter, de les accompagner, de les aider… La difficulté reste d’entamer ce dialogue et d’oser prendre la parole. Il faut toujours revenir sur les dispositifs existants et donner un socle commun de connaissances à tous les intervenants de la chaîne pour que tout le monde parle le même langage et qu’on prenne en compte la parole de ces femmes. C’est tout le sens de notre action.

Où en est l’étude sur l’égalité salariale hommes-femmes lancée fin novembre 2018 ?

L’institut monégasque de la statistique et des études économiques (IMSEE) travaille sur ce sujet. L’IMSEE est en train de collecter les données. Aucune étude du genre n’a été faite auparavant à Monaco donc il y avait toute la méthodologie à mettre en place pour avoir les données les plus sûres et les plus fiables possibles. Actuellement, l’IMSEE travaille sur cette étude. Nous aurons des résultats en 2020.