vendredi 29 mars 2024
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Frédérique de Chambure : « Un écolier sur deux est exposé involontairement à de la pornographie »

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Frédérique de Chambure, secrétaire générale de l’association Action Innocence, revient avec Monaco Hebdo sur l’exposition des mineurs aux contenus pornographiques. Trop faciles d’accès, notamment sur Internet, ils ne sont pas sans conséquences.

Face à l’accès des mineurs à la pornographie, quel est le constat ?

Nous intervenons dès l’école primaire, du CP jusqu’au CM2, puis au collège ensuite, notamment à l’aide de sondages. Et, ce qu’il en ressort, pour l’école primaire, est assez inquiétant. L’an dernier, pour l’année scolaire 2021-2022, un élève sur deux a déclaré avoir déjà visionné des images choquantes, principalement de la pornographie. Ces enfants interrogés, il faut le noter, ont été exposés involontairement à la pornographie, et ces visionnages relevaient du pur hasard.

Par quels biais les enfants y ont-ils accès : des applications sur smartphones, ou par l’intermédiaire de moteurs de recherche sur Internet ?

En faisant défiler des vidéos et des images sur les réseaux sociaux, Snapchat et TikTok, ils tombent à un moment donné sur du contenu très suggestif. En faisant des recherches classiques sur Google également, il arrive que des fenêtres “pop-up” [des fenêtres surgissantes — NDLR] agrémentées d’images pornographiques, apparaissent directement sur l’un des sites sur lequel l’enfant aura cliqué, même s’il ne s’agissait pas d’un site porno.

Qu’en est-il au collège ?

Pour l’année scolaire 2021-2022, nous avons proposé un module spécifique en classes de Quatrième. Sur 313 élèves interrogés, 83,4 % déclaraient avoir été exposés à des films, à des images, à des dessins, ou à des “gifs” [des images animées — NDLR] pornographiques. C’est 10 % de plus que l’an dernier. Parmi ces élèves exposés, un sur deux avait visionné ce contenu volontairement, et 24,3 % d’entre eux déclaraient le faire régulièrement, plusieurs fois dans la semaine.

Les garçons sont-ils plus exposés que les filles ?

Nous ne faisons pas la distinction, mais je pense que l’exposition, volontaire cette fois, est plus généralisée chez les garçons.

Le contrôle parental est-il une solution pour limiter l’accès à la pornographie ?

Le contrôle parental est la solution principale, mais il n’est pas suffisamment appliqué. Notamment chez les plus jeunes. À l’école primaire, seuls 32,6 % des enfants se sont vus appliquer un contrôle parental sur leurs objets électroniques. C’est moins que l’année scolaire précédente, où ils étaient 36,9 %. Les parents baissent en vigilance, et cette baisse va logiquement de pair avec le nombre important d’enfants qui tombent involontairement sur du contenu pornographique par la suite. Pourtant, Monaco Telecom offre le contrôle parental à ses clients, et aide même à l’installer.

Pourquoi ce contrôle parental n’est-il pas davantage appliqué, dans ce cas ?

En ce qui concerne l’école primaire, les parents n’ont pas forcément conscience de cette réalité. Ils n’imaginent pas que leurs enfants ont à ce point accès à du contenu pornographique, même involontairement.

Et pour les adolescents, au collège ?

Au collège, le contrôle parental est plus répandu. Il progresse même depuis quatre ans. Nous sommes passés de 26,9 % de collégiens concernés par le contrôle parental, à 43,5 % pour l’année scolaire 2021-2022.

Comment l’expliquer ?

Les parents sont plus sensibles à la question car, au contraire des enfants en école primaire, les collégiens évoluent entre adolescents. Et on s’imagine davantage les voir naviguer sur Internet que les enfants.

Mais, 43,5 %, ce n’est toujours pas suffisant ?

Le contrôle parental, c’est le véritable garde-fou à mettre en place. Il faudrait arriver à atteindre 100 % des plus jeunes. Mais, dire « non » à son enfant n’est pas toujours facile. Qui plus est, quand on est pris dans les tracas de la vie professionnelle et personnelle. On n’a pas toujours envie d’entrer en conflit avec son enfant, et on ne sait pas toujours, non plus, comment aborder le problème. Appliquer un contrôle parental peut être pris comme une brimade par son enfant, car il va se comparer avec ses camarades qui, eux, n’y sont pas toujours contraints.

De plus, certains jeunes arrivent assez facilement à détourner le contrôle parental ?

Oui, cela arrive notamment dans les cas où les parents ne sont pas à l’aise avec la technologie. Il y a même des cas où ce sont les parents qui demandent aux enfants d’installer le contrôle parental à la maison.

Du coup, y a-t-il un effet de groupe qui se crée, à partir de ceux qui n’ont pas de contrôle parental ?

Il y a les deux cas. Le curieux, ou la curieuse, qui vont regarder tout seul, dans leur coin. Et puis, il y a ceux qui se motivent en groupe, et c’est d’ailleurs tout le problème avec les réseaux sociaux. L’effet de groupe impacte des enfants qui, eux-mêmes, n’auraient pas cherché à visionner du porno.

Au-delà du contrôle parental, il faut également miser sur la pédagogie ?

Il faut également faire de la pédagogie familiale, en effet. Bien sûr, ce n’est pas simple, car il faut aborder le thème de la sexualité avec son enfant. Mais il est essentiel de lui expliquer que ce qu’il voit sur Internet relève du virtuel. Il faut qu’il comprenne que, dans la réalité, le rapport se fait dans le respect de l’autre, et que l’acte sexuel a lieu dans la gradation, au fur et à mesure de la relation, et en fonction de l’âge. Or, dès l’âge de 11 ans, nous avons des témoignages d’enfants à qui l’on a proposé des choses ahurissantes, par des enfants de la même tranche d’âge.

Cette tendance est liée à l’accès à des contenus pornographiques ?

Oui, car cette exposition à la pornographie banalise le comportement sexuel, et crée un décalage entre les codes du porno et ceux de la réalité, notamment en ce qui concerne la violence verbale, puis physique.

C’est-à-dire ?

Concrètement, la question du consentement se pose, alors qu’il n’en est pas question dans le porno. Les enfants se disent alors que l’acte sexuel coule de source, sans chercher à comprendre si la personne en face d’eux en a envie aussi, ou pas. Le rapport entre hommes et femmes est altéré, car les codes du porno sont très machistes. Le partenaire, y compris dans les relations homosexuelles, est réduit au rang d’objet, que l’on utilise pour assouvir son plaisir.

Les mineurs n’ont pas conscience qu’il s’agit de films, donc de fictions, et pas de la réalité ?

Sur l’ensemble des élèves que nous avons interrogés, 23 % considèrent que la pornographie est fidèle à la réalité. C’est, cependant, moins que l’an dernier, car ils étaient 39 % à le penser. Bien sûr, cela reste du déclaratif. Mais il faut noter aussi que 44 % des jeunes interrogés, qui ont des rapports sexuels, répètent ce qu’ils voient avec leur partenaire.

La pornographie a-t-elle aussi une incidence sur le rapport à la nudité ?

Oui, vis-à-vis de l’accès à la nudité, on observe une recrudescence des “nudes”, c’est-à-dire de photos dénudées que les jeunes s’envoient pour se séduire, puis du “revenge porn”, ces photos ou vidéos suggestives de leur « ex », qu’ils publient aux yeux de tous, généralement après une rupture.

Avez-vous recensé des cas d’addiction ?

Il n’y a pas de cas d’addiction à proprement parler pour les élèves des collèges et des écoles primaires. Mais, parmi les jeunes âgés de 18 à 20 ans, en revanche, certains nous expliquent clairement que le fait d’être accro au porno a provoqué un trouble dans leur sexualité. Ils n’y trouvent plus d’intérêt, ni de plaisir, car ils ont constamment besoin de retrouver les excès liés à la pornographie. Or, cela détruit le lien qu’ils ont pu tisser avec quelqu’un.

Comment aider les parents dépassés par ce phénomène ?

Action innocence est à l’écoute des parents démunis. Il existe aussi des sites Internet d’éducation sexuelle qui permettent d’accompagner les enfants. En France, je pense au site numérique.laligue.org, qui est très bien fait. Nous organisons également des web conférences, avec des questions ouvertes pour les parents (1).

Il faut donc réussir à dépasser le blocage sur ce sujet ?

C’est primordial en effet, car c’est une erreur que de ne pas en parler. Le risque est de voir ces jeunes devenir ensuite de jeunes adultes incapables d’avancer dans une relation constante et épanouie avec leur partenaire. Lorsque cela est nécessaire, il ne faut pas hésiter, non plus, à en parler avec un psychologue.

1) Prochaine webconférence sur Zoom, le mardi 27 septembre 2022, à 18h30. Le thème sera : « Quels outils pour gérer le « non » dans l’encadrement de la pratique des écrans ? ». Inscriptions sur ce lien Internet : https://us02web.zoom.us/meeting/register/tZAkf-yrpjMjG9CiqAw0Z2tv-FncWgVPrJlM.