samedi 20 avril 2024
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Transmission de la nationalité par mariage : les unions civiles explosent à Monaco

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Après deux années perturbées par la pandémie de Covid-19, les mariages civils ont repris de plus belle cette année en principauté. Et l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2022, de la loi repoussant à 20 ans le délai d’obtention de la nationalité pour les conjoints de Monégasques n’y est pas totalement étrangère. Explications.

« Il y a une tendance joyeuse, ça fait du bien ». Après deux années perturbées par la pandémie de Covid-19, les mariages sont à nouveau à la noce en principauté pour le plus grand plaisir de Françoise Gamerdinger adjointe au maire, déléguée au service de l’état civil – nationalité, ravie de revoir les pétales et autres confettis recouvrir le parvis de l’hôtel de ville. Avec 55 unions célébrées entre le 1er janvier et le 31 mai 2022, et près de 70 programmées pour le seul mois de juin 2022, le nombre de mariages atteint des niveaux records, et oblige la mairie de Monaco à se réorganiser pour pouvoir répondre à toutes les demandes.

« Nous allons avoir beaucoup de mariages ce mois-ci. En principe, nous faisons 30 à 35 mariages en juin. Mais cette année, c’est le double » 

Françoise Gamerdinger. Adjointe au maire de Monaco, déléguée au service de l’état civil – nationalité

Des mariages en semaine

Les dossiers n’ont en effet cessé d’affluer au service de l’état civil depuis le début de l’année 2022. Et le phénomène ne touche pas seulement la principauté, à en croire Françoise Gamerdinger, qui a pu en constater l’ampleur au sein même de sa sphère familiale : « Les mariages explosent de partout, notamment sur la Côte d’Azur. Les services de l’état civil des mairies sont submergés, et les entreprises de « wedding planner » [organisateurs de mariages — NDLR] n’arrivent plus à répondre à la demande. […] J’ai deux enfants qui ont 27 et 33 ans, ils passent leurs mois de juin et juillet dans des mariages. Et pas seulement à Monaco. Ils vont en Provence, en Italie, en Corse… ». Et ce rush sur les mariages ne devrait pas s’estomper dans les semaines et les mois qui arrivent. Bien au contraire : « Nous allons avoir beaucoup de mariages ce mois-ci. En principe, nous faisons 30 à 35 mariages en juin. Mais cette année, c’est le double », confie cette adjointe au maire. Soixante-huit unions devraient être célébrées d’ici la fin du mois de juin 2022, portant ainsi à 123 le nombre de mariages depuis le début de l’année 2022. Des chiffres records proches de ceux enregistrés sur une année entière en 2020 (174 mariages célébrés dans l’année) et 2021 (181 mariages célébrés dans l’année), marqués par la crise sanitaire. La mairie de Monaco croule tellement sous les demandes qu’il devient même compliqué de se marier le week-end. « Nous avons une organisation spéciale. Nous n’avons pas refusé de demandes, mais nous avons dû limiter le nombre de mariages quotidien, parce que c’est toutes les demi-heures. Et à un moment donné, par rapport à l’organisation du travail, c’est compliqué », explique la cheffe de service, Samantha Robini. Il faut dire que l’état civil n’est pas seulement en charge des mariages, le service doit assurer dans le même temps ses autres missions publiques comme les déclarations de naissance et de décès, les délivrances d’actes… Pour pallier le manque de créneaux disponibles, certaines célébrations se font donc désormais en semaine, et plus seulement, les vendredis ou les samedis habituellement privilégiés par les futurs mariés. « C’est variable selon les jours, mais on se limite à cinq (mariages) dans la journée en semaine », précise Samantha Robini.

© Photo Nicolas Gehin / Monaco Hebdo

« Nous n’avons pas refusé de demandes, mais nous avons dû limiter le nombre de mariages quotidien, parce que c’est toutes les demi-heures. Et à un moment donné, par rapport à l’organisation du travail, c’est compliqué »

Samantha Robini. Cheffe de service

Un effet Covid, mais pas que

Mais alors, comment expliquer ce boom des mariages sur le territoire national ? Pour Françoise Gamerdinger, la première explication est religieuse : « Nous sommes un État concordataire, et ceux qui respectent les règles de l’église ne se marient pas en mai, parce que c’est le mois de la Vierge. Et en avril, c’est encore un peu tôt. C’est la raison pour laquelle un report sur le mois de juin est toujours assez fréquent », souligne-t-elle. La crise sanitaire n’est pas non plus étrangère à ce phénomène. En raison des restrictions liées à la pandémie de Covid-19, de nombreux couples ont préféré reporter leur union pour la célébrer dans les meilleures conditions et avec le plus grand nombre possible. En principauté, le port du masque et la distanciation ont en effet longtemps été la norme, alors que le nombre d’invités autorisés à assister à la cérémonie a d’abord été limité à 12, puis à 8 au pic de l’épidémie. « Il y a eu beaucoup de reports à cause de la pandémie, confirme Françoise Gamerdinger. Ceux qui ont pu attendre, ont attendu de pouvoir faire vraiment le « vrai » mariage, sans restriction. Certains se marient aussi parce qu’ils craignent que les restrictions ne reviennent. Donc c’est le moment ou jamais ».

« C’est ce qui nous a décidé à nous marier. Et, assez rapidement, pour pouvoir profiter du délai de 10 ans car à partir du 1er juillet 2022, il faudra attendre 20 ans [pour transmettre la nationalité — NDLR]. Ce qui paraît quand même très long »

Julie. Monégasque

Mais cette année, les motivations sont aussi administratives, pour certains. En effet, à compter du 1er juillet 2022, le délai d’obtention de la nationalité par mariage passe de 10 à 20 ans pour les conjoints de Monégasques. Une évolution de la législation qui a conduit quelques couples à se dire « oui » plus tôt que prévu. C’est le cas par exemple de Julie [le prénom a été modifié — NDLR], qui explique : « Mon compagnon et moi sommes ensemble depuis sept ans, je suis Monégasque et lui est Français. Jusqu’à présent, nous n’avions pas l’intention de nous marier. Mais nous nous sommes aperçus que pouvoir transmettre la nationalité monégasque à mon compagnon était ce qu’il y avait de plus protecteur pour lui, et pour notre famille [le couple a une fille d’un an et demi — NDLR]. C’est ce qui nous a décidé à nous marier. Et, assez rapidement, pour pouvoir profiter du délai de 10 ans car à partir du 1er juillet 2022, il faudra attendre 20 ans [pour transmettre la nationalité — NDLR]. Ce qui paraît quand même très long. Il est vrai que nous ne nous serions peut-être pas mariés de suite s’il n’y avait pas eu le changement de loi. Nous aurions pu éventuellement l’imaginer dans quelques années. Mais là, c’était l’occasion ». Julie et son compagnon [lire leur témoignage par ailleurs — NDLR] seraient loin d’être un cas isolé, puisque depuis le début de l’année 2022, 8 hommes monégasques et 13 femmes monégasques ont épousé une personne de nationalité étrangère. En juin 2022, ils seront plus du double à faire ce choix. Et s’il est évidemment impossible de connaître les motivations des futurs époux, et donc de quantifier précisément l’ampleur du phénomène, l’effet « accélérateur » ou « déclencheur » de la loi ne peut être ignoré. Même si Françoise Gamerdinger tient à le minimiser : « Pour certains cas, oui la loi a un effet. Mais ça doit être assez minime. Nous ne pouvons pas leur demander s’ils se marient parce que la loi va passer. C’est un secret entre eux. Je ne me permettrais pas de dire qu’ils se marient par ce qu’il y a la loi ». Il n’empêche, les chiffres sont éloquents. À un mois de l’entrée en vigueur de la loi n° 1038, 68 mariages civils vont être célébrés, dont 46 uniront un Monégasque et une personne de nationalité étrangère. Du jamais vu en principauté. Le lien avec la nouvelle législation apparaît d’autant plus évident que le nombre de célébrations devrait drastiquement baisser en juillet 2022, selon l’état civil.

Boom des mariages à Monaco : « Transmettre la nationalité monégasque à mon compagnon était ce qu’il y avait de plus protecteur pour notre famille »

Julie [le prénom a été modifié — NDLR] et son compagnon sont en couple depuis sept ans. Elle est Monégasque, lui est Français. Parents d’une petite fille d’un an et demi, les deux ont décidé de se dire “oui” durant ce mois de juin 2022. Julie explique à Monaco Hebdo les raisons de cette union, et surtout son « timing » : « Nous vivons ensemble à Monaco, et nous travaillons tous les deux à Monaco. Jusqu’à présent, nous n’avions pas l’intention de nous marier. Pour nous, cela ne faisait pas partie des cases à cocher impérativement. Nous étions bien comme ça. Selon les services administratifs, nous vivons maritalement, c’est ce qui est inscrit sur les formulaires, et cela nous allait bien. À titre personnel, je ne me reconnais pas trop dans le mariage traditionnel, dans l’institution que cela représente. Ce n’est pas quelque chose qui me donnait trop envie, jusqu’à présent. Mais nous avons eu un enfant avec mon compagnon, il y a quelques mois, et cela nous a amené à nous projeter dans l’avenir, à réfléchir à des éventualités, que ce soit des choses heureuses ou des choses plus tristes de la vie. Étant une personne prudente, j’ai réfléchi à ce qu’il pouvait se passer en cas de séparation ou de décès de l’un ou de l’autre. Nous avons eu ce genre de projections, et il est apparu que pouvoir transmettre la nationalité monégasque à mon compagnon était ce qu’il y avait de plus protecteur, pour lui et pour notre famille. C’est ce qui nous a décidé à nous marier, et assez rapidement, pour profiter du délai de dix ans pour transmettre la nationalité. Car à partir du 1er juillet 2022, il faudra 20 ans. C’est ce que nous avons fait récemment, entourés de notre famille et de nos amis. Nous sommes très contents. Il est vrai que nous ne nous serions peut-être pas mariés tout de suite s’il n’y avait pas eu le changement de loi. Nous aurions peut-être attendu quelques années. Mais là, c’était l’occasion ». La nouvelle législation a donc été un « déclencheur » pour Julie, qui a cherché avant tout à protéger les siens contre toute éventualité. La question du logement en est d’ailleurs la parfaite illustration : « Actuellement, nous habitons dans un appartement des domaines. Si jamais je venais à décéder, mon compagnon n’aurait pas le droit de rester dans l’appartement que nous occupons, parce qu’il est Français. Il devrait donc déménager avec notre fille qui, elle, est Monégasque et Française. Cela fait partie des choses que j’avais envie de prévoir. Une fois qu’il sera Monégasque, il aura le droit de rester dans les domaines ».