jeudi 25 avril 2024
AccueilActualitésSociétéChristophe Bovini : « La reprise s’annonce longue et difficile »

Christophe Bovini : « La reprise
s’annonce longue et difficile »

Publié le

Elu en février 2020 pour une période de trois ans, le nouveau président des taxis de Monaco, le Monégasque Christophe Bovini, raconte comment sa profession a traversé le confinement. Et pourquoi il reste de fortes inquiétudes pour l’avenir immédiat.

Comment les taxis de Monaco ont-il traversé la période de confinement ?

Ça a été un moment incroyable. C’était un peu comme un mauvais film de série B… Cette situation a été très difficile à digérer. On ne comprenait pas trop. Chaque jour je me disais que cette situation allait se régler. Mais non. Du jour au lendemain, le 17 mars 2020, tout s’est arrêté pour les taxis de Monaco.

Votre réaction ?

Très rapidement, le travail s’est arrêté. Le nombre de clients a été très vite divisé par 5. Et on est passé à 10-12 courses par jour, à peu près toujours les mêmes : emmener un client au centre hospitalier princesse Grace (CHPG), ou alors le sortir du CHPG pour le ramener chez lui. A Monaco, le prix d’une course de jour sans attente, c’est 15 euros. Toutes les courses à l’extérieur de la principauté ont disparu. Il n’y avait plus de courses vers l’aéroport de Nice. La ville était totalement déserte. C’était d’ailleurs assez hallucinant de voir Monaco aussi vide…

Comment s’est déroulé le début du confinement pour les taxis monégasques ?

Au début, pendant le premier mois, on manquait de masques, on n’avait pas de gel hydroalcoolique. Comme je suis bricoleur, il me restait quelques masques de peinture que j’ai distribué à mes collègues. Bref, on s’est débrouillé. On a fait comme on a pu.

Comment vous êtes-vous organisés ?

Nos standardistes ont arrêté de travailler le 17 mars 2020. Du coup, on communiquait avec une radio VHF qui nous servait il y a quelques années à se répartir les courses. Quand les clients appelaient, ils tombaient directement sur ce relais radio. La nuit, le taxi restait chez lui, éveillé et prêt à partir. On a donc gardé un service minimum pendant toute la période de confinement.

La quasi-disparition des courses vers l’aéroport de Nice à 95 euros le trajet occasionne un gros manque à gagner ?

Oui. D’ailleurs, ça pourrait durer, car le terminal 1 de l’aéroport de Nice pourrait ne rouvrir qu’en mars 2021. Seul le terminal 2 est ouvert. Or, les grandes compagnies aériennes seront à 50 % de leur capacité fin 2020. Mi-juin, on était environ à 12 vols par jour au départ du terminal 2…

Quel a été le chiffre d’affaires moyen pendant le confinement ?

Les taxis qui étaient là gagnaient environ 15 à 30 euros par jour. Car il y a eu un choix à faire. Contrairement aux salles de sport ou aux bars, nous n’avons pas eu de fermeture administrative. Les premiers temps, sur un total de 95 taxis, seulement 5 ont continué de travailler. Au maximum, 10 taxis ont travaillé pendant le confinement, y compris la nuit.

A combien estimez-vous le manque à gagner de mars à juin 2020 ?

En avril, il y a le bal de la Rose et les Masters de Monte-Carlo, ce qui nous permet de bien travailler. Ensuite, le mois de mai est l’un des meilleurs mois de l’année pour nous, puisqu’il y a le Grand Prix de Monaco. Nous avons aussi perdu les croisiéristes. Les hôtels ont été fermés et tous les concerts annulés. En mai 2019, on a fait 27 000 courses. En mai 2020, on a fait 2 000 courses.

Combien de temps faudra-t-il pour effacer les conséquences économiques du Covid-19 ?

Si je lisse ma perte, il me faudra environ 5 ans pour me remettre de cette crise sanitaire. Le mois de juin 2020 ne décolle pas. Le week-end des 13 et 14 juin, on est monté à 250 courses dans une journée. Mais, si tout le monde travaillait, 250 courses à se partager à 95 taxis, ça fait environ 45 euros par taxis. C’est ridicule. Comme on est environ 1/3 à travailler, on gagne donc environ 150 euros brut par jour, soit environ 1/3 du chiffre d’affaires réalisé en temps normal.

Comment réagissent les clients ?

Il y a de tout. Ça va du client hypocondriaque qui ne touche à rien dans le taxi car tout l’inquiète, au client qu’on doit presque raisonner, car il n’adopte aucun geste barrière. Par exemple, et même si c’est obligatoire pour le chauffeur et ses passagers, beaucoup de gens refusent de porter un masque à l’intérieur du taxi. Or, en cas de contrôle de police, c’est le taxi qui devra payer l’amende, pas le client.

Comment rassurer les clients inquiets ?

Même si ce n’était pas une obligation, nous avons installé, à nos frais, dans chaque taxi une protection en plexiglas. Nous avons fait appel à une entreprise à Villeneuve-Loubet qui, habituellement, vend des pare-brises pour les bateaux. Selon la taille du véhicule, ce plexiglas coûte entre 120 et 200 euros. Nous avons aussi mis à disposition de nos clients du gel hydroalcoolique. Et après chaque course, on désinfecte notre véhicule : poignées, intérieur, banquettes… Mais tout cela a un impact, puisque nous ne pouvons prendre que trois personnes au maximum. Et encore, il faut que ce soit la même famille. Si les trois personnes ne se connaissent pas, on ne peut en prendre qu’une. Ou bien mettre un client, un siège vide et un deuxième client.

Il y a d’autres conséquences à cette crise sanitaire ?

Ce virus coupe beaucoup de liens qui existent habituellement entre les taxis et les clients. On ne s’entend pas bien, on ne se comprend pas bien, l’expression du visage est en partie dissimulée par le masque… Du coup, les rapports humains deviennent compliqués.

Pourquoi avoir créé Taxis Solidaires, un groupe sur WhatsApp ?

Le chauffeur du Mobibus de la mairie, qui transporte les personnes âgées notamment pour recevoir des soins, a été touché par le Covid-19. Du coup, son collègue a été placé en quatorzaine. Nous avons donc décidé de créer Taxis Solidaires, un groupe sur WhatsApp qui s’est substitué à ce service de la mairie. Grâce à 1/5ème de notre flotte de 95 taxis, on a donc transporté gracieusement ces seniors. On a commencé le 15 mars 2020, et on a arrêté pendant la première semaine du mois de juin 2020.

Vous avez mené d’autres actions solidaires ?

Nous avons transporté des auxiliaires de vie. Mais aussi une dame que nous avons emmené à l’hôpital de la Timone, à Marseille, pour soigner un cancer. Un VSL (Véhicule sanitaire léger) devait la transporter, mais il a annulé la veille. Elle a donc lancé un appel au secours sur Facebook. Nous avons répondu présent et un taxi l’a transporté à ses frais. L’association va lui rembourser l’autoroute et le gasoil. De mon côté, une cliente devait faire des soins deux fois par semaine, à l’institut Arnault Tzanck, à Saint-Laurent-du-Var : je l’ai transportée gracieusement deux fois par semaines pendant trois mois. Nous avons aussi fait du transport de courses pour la Croix-Rouge monégasque. Entre la mairie, les auxiliaires de vie et les personnels médicaux, nous avons fait plusieurs centaines de courses. Dans un tel contexte, il fallait répondre présent. C’est ce que nous avons fait.

Les 20 taxis électriques ajoutés par le gouvernement depuis l’été 2019 seront là cet été ?

Ces 20 taxis supplémentaires ne font que les courses intérieures à la principauté et les communes limitrophes à Monaco. Comme ces taxis sont sous le joug de notre association, nous les avons contactés pour leur expliquer la situation. On leur a demandé de reporter leur présence à l’été 2021, ce qu’ils ont tous accepté. C’est une décision cohérente, car à Monaco, ils sont considérés comme des travailleurs indépendants saisonniers, donc ils ont des frais : notamment les cotisations à payer à la Caisse d’Assurance Maladie, Accident et Maternité des Travailleurs Indépendants (Camti) et la Caisse Autonome de Retraites des Travailleurs Indépendants (Carti), l’assurance du véhicule, les consommables, les révisions…

Comment se présente l’avenir immédiat ?

Nous allons toucher 2 500 euros bruts en juillet 2020 pour les pertes du mois de juin, soit la moitié de ce que l’on a perçu comme aides lors des trois mois précédents. C’est une catastrophe, parce qu’en juin on a perdu 90 % de notre chiffre d’affaires.

Qu’espérez-vous ?

On espère que les aides de l’Etat vont durer dans le temps. En France, les taxis et les VTC ne touchent que 1 500 euros par mois, mais cela va durer jusqu’en décembre 2020. De plus, ils ont été exonérés d’un trimestre de RDS, de CSG, etc. Comme il y a un an de décalage, ils ont donc été exonérés sur les chiffres de l’années 2019. Du coup, sur des chiffres plus importants que ceux de 2020, qui a été lourdement impacté par le Covid-19. De plus, l’année prochaine ils paieront très peu, parce que 2020 se sera soldé par des chiffres d’affaires ridicules.

Le problème, c’est que personne n’a de visibilité, car le Covid-19 est toujours là, et qu’aucun vaccin ni traitement n’émerge, pour le moment ?

En effet, nous n’avons aucune visibilité. La seule visibilité que nous avons habituellement nous est donnée par la période qui va de mai à octobre. En effet, cette période nous permet d’accumuler suffisamment de trésorerie pour passer l’hiver tranquille. Sans ça, à cause du Covid-19, l’hiver 2020-2021 s’annonce compliqué. Et, au final, la sortie de crise s’annonce pire que les trois mois où notre activité a été gelée.

Pourquoi ?

Parce que nous avons été aidés par le gouvernement pendant cette période. Ces aides nous ont permis de tenir, mais pas de faire de la trésorerie. Du coup, la reprise s’annonce longue et difficile. Ceux qui ont des économies vont devoir taper dedans. Les autres, une majorité, devront faire des montages financiers pour pouvoir tenir. Notre chance, c’est que nous n’avons pas d’énormes frais fixes, pas de salariés et pas de stocks. Et on peut retarder le changement de notre véhicule. Aujourd’hui, on en est là.