samedi 20 avril 2024
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« Que je t’aime »,
ode des femmes à l’amour

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Sur une mise en scène de Philippe Caubère, la comédienne Clémence Massart présente au théâtre des Muses son seul en scène, Que je t’aime. Une comédie contemporaine où l’on rit et où l’on s’émeut, sur le thème de l’amour. Une galerie de portraits de femmes touchantes, énergiques et tendres, imaginés après la lecture du courrier du cœur de magazines féminins des années 50-60. Créée en 1995, cette pièce reprend vie dans une tournée française qui fait étape fin mai et début juin à Monaco. Interviews croisées de ces deux artistes.

Cette pièce a été créée en 1995 : pourquoi la rejouer ?

Clémence Massart : Il m’a paru indispensable de la remonter, en ce moment précis de la nouvelle lutte des femmes, de cette levée de boucliers dont je ne peux être que solidaire, mais hélas aussi, beaucoup plus réservée sur ses dérives… J’ai eu envie de faire réentendre ces lettres — touchantes, hilarantes, hallucinantes — de cette époque de mon adolescence d’avant 1968, et de la loi Veil. De proposer un ton plus souriant pour pouvoir rire ensemble de nos ignorances et de nos turpitudes.

Quelles modifications avez-vous apporté ?

Avec le temps ayant passé, j’ai cru qu’il serait nécessaire de modifier certaines choses. Puis dès les premières répétitions, Philippe et moi avons trouvé tout changement inutile et vain. Le spectacle et mon âge cohabitaient parfaitement, et, au contraire, on y gagnait. Surtout, avec le temps, je joue mieux.

Le sujet de l’amour est à la fois universel et très personnel : comment en rendre compte, sans tomber dans le cliché ?

On peut parler de mille façons de sujets universels comme l’amour, la vie ou la mort, sans tomber dans les clichés. Eh oui ! C’est le difficile travail des artistes. Sinon à quoi bon faire du théâtre, de la littérature, de la musique, ou de la peinture ? A chaque artiste son expression, n’est-ce pas ? En l’occurrence, ces lettres très personnelles, justement ici, grâce à leur particularité, touchent à l’universel. Le public, par ses réactions, me le confirme chaque soir.

Quel message porte cette pièce ?

Que rien n’a changé en matière de quête amoureuse, de promotion sociale, de désir de carrière, de désir de s’en sortir et d’émancipation. La crainte de “l’enceintation”, d’être abandonnée, la crainte du sexe, ou au contraire le désir, la nécessité urgente d’un avortement, les problèmes de l’hygiène et les détails intimes, les odeurs de transpiration, tous ces aléas autour de l’amour confessés de manière précise. Tout cela est un éternel message à travers les époques. Les misères et les craintes demeurent les mêmes. Seules changent l’écriture et la manière de s’exprimer. Celles-ci nous surprennent, nous ravissent et nous font rire.

C’est un homme, Philippe Caubère, qui en réalise la mise en scène : ce regard masculin apporte quelque chose de différent ?

Ce regard masculin, comme vous dites, celui de Philippe Caubère, est surtout le regard d’un artiste. Et c’est cela qui importe. D’un artiste, et d’un compagnon que je connais et qui me connaît bien. Il se trouve que nous avons l’habitude de travailler et de rire ensemble depuis 40 ans. Je ne pouvais pas trouver meilleure compagnie pour cette aventure. En art, la parité est secondaire. Elle exprime sa singularité dans son art. C’est tout.

Vous êtes seule sur scène : comment distillez-vous votre énergie pour tenir 1h40 et faire vivre ces témoignages devant un public ?

J’aime jouer seule, même si j’ai eu du plaisir à jouer en troupe, par le passé. C’est un exercice plus intense et plus concentré. C’est un alcool fort. Comme le surfeur sur la vague, on surfe sur le public. On est seul à occuper l’espace et le temps. On les fait swinguer à sa guise. On imprime son rythme et nul autre ne vient l’interrompre. C’est un rêve privé, avec les spectateurs. On ne les lâche pas en route, et on tient la durée sans mollir. Quand on y parvient, c’est un plaisir qu’on obtient rarement avec une troupe. Et paradoxalement, je me fatigue moins. Ça pourrait durer le double, comme dans l’amour… quand ça se passe bien.

Le spectacle est entrecoupé de passages théâtraux et de passages musicaux : qu’apporte ce mélange ?

La musique, qui arrive à certains moments, entre les lettres de ces femmes, elle est en quelque sorte mon commentaire. Un contrepoint. Elle est une autre langue qui se parle, sur un autre plan, pour donner un autre sens, une autre couleur. Elle vient éclairer un drame, réjouir, faire respirer au milieu des paroles. Elle permet une ouverture du cœur, une élévation. Je n’aime rien tant que de la produire moi même, quand je peux, par le chant avec l’accordéon, plutôt qu’enregistrée sur CD.

« L’amour et les femmes ont été le centre de ma vie »

Pourquoi avoir effectué la mise en scène de ce spectacle ?

Philippe Caubère : Parce que Clémence, qui m’avait aidé à faire mes propres spectacles, me l’a demandé. Et que c’était bien la moindre des choses que de lui rendre la politesse… Il se trouve qu’en plus de ça, c’est moi qui ai trouvé ces lettres, qu’elles m’avaient beaucoup amusé, et que c’est moi qui lui ai suggéré d’en faire un spectacle. Pour lequel, bien sûr, je lui avais promis de l’aider. Dont acte.

Dans un seul en scène, qu’est-ce que le metteur en scène doit prendre en compte pour captiver l’attention du public ?

Aux mêmes choses exactement que pour un « plusieurs en scène » : que ce soit amusant, drôle, divertissant, mais aussi intelligent, vrai, émouvant et poétique. Enfin, accessible aux publics les plus divers. Tout ceci demandant, en effet, beaucoup, beaucoup d’« attention », comme vous dîtes…

Vous évoquez souvent l’amitié que vous portez à Clémence Massart : qu’est-ce qui vous lie ?

Nous nous sommes rencontrés au théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine en 1971. Nous nous sommes plu, tournés autour, liés et puis mariés. Nous avons vécu ensemble, et tout partagé, pendant près de 20 ans. J’ai raconté et joué les débuts de notre histoire dans plusieurs de mes spectacles autobiographiques. Trois d’entre eux en particulier, sous le titre : La Trilogie amoureuse comique et fantastique : Les Enfants du Soleil, La Fête de l’Amour et Le Triomphe de la Jalousie. Clémence m’a aidé à créer mes spectacles en me « regardant » les improviser, en compagnie de Jean-Pierre Tailhade, Véronique Coquet et de mon frère, Pascal Caubère. Après nous être séparés, nous sommes parvenus à ne pas nous perdre, et à continuer à travailler ensemble.

Quelles sont les qualités que vous admirez chez cette comédienne ?

Les qualités que j’admire chez elle sont trop nombreuses pour être résumées ici en quelques mots. Disons que Clémence est tout d’abord une actrice comique de premier ordre. Et que ce qui nous lie justement et principalement, en dehors de beaucoup d’autres choses, c’est le goût pour la drôlerie et pour la comédie. Plus que le sens de l’humour ou de la dérision, tellement à la mode aujourd’hui, mais qui me paraissent d’un tout autre ordre, pour ne pas dire d’une autre nature.

Quels sont les points forts de cette pièce ?

Ce sera au public de le décider. Mais moi, mon travail, je dirais même mon devoir, sont de faire en sorte qu’il n’y ait pas de points faibles. Ou qu’il y en ait le moins possible…

Le spectacle parle de l’amour du point de vue des femmes : qu’est-ce que cela vous évoque ?

L’amour et les femmes ont été, tout autant que le théâtre, le cinéma, la littérature ou l’art en général, le centre de ma vie. Plus encore que la politique, la santé ou l’argent, par exemple, qui ont pourtant beaucoup compté aussi. Donc le point de vue des femmes n’a cessé de m’intéresser, de me concerner, de m’interroger et même de m’obséder. Pour le meilleur… et pour le pire, comme on dit dans les mariages !

Vous vous êtes exprimé récemment sur le classement sans suite d’une plainte pour viol déposée contre vous (1) : comment vous sentez-vous ?

Comment je me sens ? Pardonnez-moi, mais la question posée comme ça me semble un peu abrupte. J’ai envie de vous répondre, soit : « A votre avis ? » Soit -et ce sera plutôt la bonne réponse : « Ça ne regarde que moi ». Pour en revenir à votre question, je peux vous préciser que je me suis exprimé sur ce sujet, à la demande de mon avocate Marie Dosé, auprès de trois journalistes, une du Monde, une autre de France Inter et un troisième de L’Obs. Ceci afin de ne plus avoir à le faire ailleurs. J’ai récemment complété mes déclarations auprès de Patrice Cohen, sur Europe 1. Il suffit d’aller sur les sites de ces quatre médias pour les y lire ou y entendre. Je n’ai vraiment pas d’autres commentaires à faire.

Après ces accusations, vous avez très rapidement pris la parole pour vous défendre : comment avez-vous continué, et continuez-vous encore aujourd’hui, votre travail sereinement ?

Je ne peux que vous faire la même réponse. En vous faisant remarquer que ça ne m’aura pas, en tous cas, empêché de continuer à travailler. La preuve. Et qu’il n’y a que ça qui compte !

(1) En avril 2018, une femme avait déposé plainte contre Philippe Caubère pour viol. Le 17 février 2019, après 10 mois d’enquête préliminaire, le parquet de Créteil a décidé de classer ce dossier sans suite.