samedi 20 avril 2024
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Musée océanographique : une “pouponnière” pour protéger les animaux marins

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Dans la réserve du musée océanographique se cache une zone, inaccessible au public, dédiée à la prise en charge des animaux marins. Appelée « pouponnière », elle abrite à la fois un centre de soins, un espace d’élevage et de reproduction, ainsi qu’une quarantaine pour les nouveaux arrivants. Présentation de ce lieu hors normes avec Olivier Brunel, chef soigneur du musée océanographique.

Le musée océanographique de Monaco accueille chaque année des centaines de milliers de visiteurs, qui viennent des quatre coins du monde pour découvrir la richesse du monde sous-marin. Et pour prendre soin des quelque 10 000 animaux qui peuplent les aquariums du musée, une zone spécifique, inaccessible au public, a été créée il y a plusieurs dizaines d’années. Son nom : la pouponnière. « Elle fait partie des coulisses de l’aquarium. Nous y faisons de la culture du corail, nous y soignons les animaux malades, nous y mettons aussi en quarantaine les animaux qui viennent de l’extérieur. Enfin, nous y faisons les élevages et les reproductions de poissons », décrit succinctement Olivier Brunel, à la tête de la pouponnière depuis six ans.

« Nos protocoles [de reproduction] ne marchent pas à tous les coups. Actuellement, nous avons certaines espèces que nous essayons de reproduire depuis un petit moment, mais nous n’y arrivons pas »

Des dizaines d’espèces reproduites

La reproduction est depuis longtemps un domaine de prédilection du musée monégasque. En 1962, le docteur Garnaud fut en effet le premier à travailler sur la reproduction de l’apogon méditerranéen, Apogon imberbis. Il sut mettre en évidence la fécondation de la femelle par le mâle et décrire la larve qui était jusqu’alors inconnue. Depuis cette expérience, plusieurs dizaines d’espèces, aussi bien méditerranéennes que tropicales, ont été reproduites et élevées au sein de la pouponnière. Dont certaines le sont aujourd’hui en routine comme les poissons-anges, les demoiselles vertes ou encore les poissons sangliers. Des animaux marins qui ne sont pas choisis au hasard, comme l’explique Olivier Brunel : « Il y a plusieurs critères. Le premier, c’est l’intérêt pour l’aquarium. En gros, ce sont des poissons que nous aurions achetés ou fait venir chez des grossistes. Donc plutôt que de les faire venir ou de les acheter, si nous disposons des géniteurs, nous privilégions des naissances ici », indique le chef soigneur. Pour être sélectionnées, ces espèces doivent aussi présenter un intérêt pour le public soit en raison de leurs couleurs, soit par leur comportement particulier. Enfin, dernier critère, et non des moindres, l’aquarium prend aussi en considération le statut de l’espèce dans la nature. « Si c’est une espèce en danger, menacée, voire quasi disparue, il sera pour nous super important d’essayer de faire de la reproduction parce que nous n’avons pas envie d’aller prélever ces poissons sur les récifs coralliens ou en Méditerranée en sachant qu’ils sont déjà menacés. L’idée, c’est aussi d’essayer de réduire l’impact de l’aquarium sur l’environnement en étant autonome, auto-suffisant. Aujourd’hui, nous sommes loin de reproduire la totalité des poissons que nous présentons, parce que c’est un travail monumental. Mais nous nous y mettons petit à petit ». Chaque année, les équipes d’Olivier Brunel travaillent ainsi sur 4 ou 5 espèces, « et en fonction des résultats, nous continuons ou nous abandonnons », précise ce professionnel.

Olivier Brunel © Photo Institut océanographique de Monaco

« L’idée, c’est aussi d’essayer de réduire l’impact de l’aquarium sur l’environnement en étant autonome, auto-suffisant. Aujourd’hui, nous sommes loin de reproduire la totalité des poissons que nous présentons, parce que c’est un travail monumental. Mais nous nous y mettons petit à petit »

Un protocole d’un an et demi

Car la reproduction des animaux marins est loin d’être une science exacte : « Nos protocoles ne marchent pas à tous les coups. Actuellement, nous avons certaines espèces que nous essayons de reproduire depuis un petit moment mais nous n’y arrivons pas ». C’est le cas par exemple des sardines, sur lesquelles des essais sont menés depuis quelque temps pour tenter de recréer un banc. « Il existe plusieurs freins. Soit nous n’arrivons pas à les faire pondre, parce qu’il n’y a pas les conditions idoines en termes de cycle des saisons, d’environnement, ou de nourriture. Soit nous n’arrivons pas à leur donner les bonnes conditions pour qu’ils se reproduisent. Ou alors, ils se reproduisent mais nous n’arrivons pas forcément à aller au bout de l’élevage, c’est-à-dire jusqu’à obtenir des poissons de taille suffisante. Nous avons parfois des élevages qui s’arrêtent au bout de quelques jours parce que les larves meurent. Plein de paramètres peuvent donc jouer. Ce n’est pas du 100 % », insiste Olivier Brunel. En général, les aquariologistes de la pouponnière se donnent au minimum un an, voire un an et demi, pour parvenir à la reproduction et à l’élevage d’une espèce, qui s’opèrent de plusieurs manières. La première consiste tout simplement à récupérer les juvéniles nés dans les bassins afin de les isoler et de les élever dans les meilleures conditions dans la pouponnière. « Car dans le bassin avec leurs parents, ils n’ont pas forcément la nourriture adaptée et cela ne va pas forcément bien se passer pour eux », justifie Olivier Brunel. Pour réaliser une reproduction, les équipes de l’aquarium peuvent aussi extraire les adultes de leur bassin pour les faire pondre, ou récupérer directement les œufs pondus dans le bassin. Ces œufs sont ensuite placés en incubation, puis en élevage dans la pouponnière. Ils ne sont relâchés au milieu de leurs congénères qu’après avoir atteint une taille suffisante. La durée de ces programmes varie selon les espèces, mais il faut en général compter plusieurs mois avant de retrouver les espèces reproduites dans les bassins du musée. Ou, dans ceux d’autres aquariums. Car le musée océanographique fonctionne en réseau. Et quand une espèce est reproduite avec succès, elle est systématiquement proposée aux aquariums partenaires. Dernièrement, Monaco a ainsi envoyé plusieurs poissons anges dans 4 ou 5 aquariums français et européens. Le transfert de ces animaux marins n’est pas toujours chose aisée « mais tant qu’ils sont petits, le transport se fait tout de même assez bien, relate le chef soigneur. Nous mettons les poissons dans des sacs avec de l’eau et de l’oxygène. Les sacs sont ensuite placés dans des caisses en polystyrène lesquelles sont mises dans des cartons. L’objectif, c’est que les poissons soient bien préparés avant de mettre suffisamment d’oxygène et d’eau de bonne qualité pour qu’ils puissent tenir pendant 24 heures dans leur sac en plastique, le temps d’arriver à destination ».

« [À propos du conservatoire du corail] C’est un projet qui devrait démarrer dans sa phase pratique cet automne. Nous devrions partir dans l’océan Indien en octobre-novembre [2022 – NDLR] pour récolter des coraux et les ramener à Monaco »

Au chevet des animaux malades

Lorsque le musée océanographique accueille des animaux provenant d’autres aquariums, ou issus du milieu naturel, ceux-ci doivent préalablement observer une quarantaine au sein de la pouponnière afin que l’équipe de soigneurs puisse contrôler précisément leur état de santé : « Nous ne mettons jamais les poissons directement dans les aquariums publics car nous ne voulons pas, s’ils sont porteurs d’un parasite ou d’une maladie, qu’ils puissent contaminer les autres poissons qui peuplent le bassin. Nous les mettons donc toujours entre 3 et 4 semaines en quarantaine pour pouvoir les observer et vérifier que tout va bien. Cette période nous permet aussi de les habituer à la nourriture que nous allons leur donner qu’ils ne trouvent pas forcément dans la nature ». Les nouveaux arrivants ne retrouvent leurs congénères dans les bassins publics qu’à l’issue de cette phase d’acclimatation et d’observation. Mais la surveillance ne s’arrête pas pour autant. Car la cohabitation peut parfois mal se passer, obligeant les aquariologistes à intervenir : « Il peut arriver que des poissons se blessent ou soient blessés par d’autres. Ils sont abîmés : des écailles peuvent être parties, des queues et des nageoires peuvent être abîmées. C’est le premier signe d’alerte. Physiquement, nous voyons que le poisson est blessé. Dans ce cas, nous le sortons de l’aquarium ». La procédure est identique en cas de maladie. Pour éviter toute contamination, l’animal est immédiatement extrait de son bassin et mis à l’isolement à la pouponnière afin d’y être soigné : « En général, les signes de maladie sont assez classiques. Au-delà de l’aspect physique [les poissons peuvent changer de couleur s’ils sont stressés ou s’ils ne sont pas dans leurs conditions habituelles – NDLR], ils changent de comportement. Le poisson nage moins vite que d’habitude, il est un peu sonné, respire très vite, il peut se retrouver posé au fond, ou, au contraire, flotter à la surface. Il existe donc plusieurs signes d’alerte dans le comportement », note Olivier Brunel. Tous les jours, les soigneurs de l’aquarium scrutent donc avec beaucoup d’attention les bassins afin de détecter le moindre comportement suspect. Notamment au moment du nourrissage : « Souvent, ils arrêtent aussi de s’alimenter. Quand nous donnons la nourriture, nous observons donc leur réaction. Un poisson qui ne vient pas manger tout de suite doit nous alerter ». Une fois guéris, le retour des poissons dans les bassins publics fait aussi l’objet d’une attention particulière, sans pour autant qu’un suivi spécifique ne soit établi : « Nous sommes évidemment plus attentifs pour voir s’ils s’adaptent bien. Mais nous n’avons pas de suivi dans le sens où nous ne faisons pas de mesures, ni de photos pour voir comment ils évoluent ». Seule précaution, les petits poissons sont habituellement placés dans des bassins à part pour éviter qu’ils ne se fassent manger par leurs congénères plus gros ou qu’ils ne soient stressés par la présence des animaux adultes.

Bientôt un conservatoire du corail

Outre ces missions de santé et de reproduction, la pouponnière assure aussi l’élevage de corail. Aujourd’hui menacé par le changement climatique, et en particulier la montée de la température de l’eau, cet animal marin qui vit en colonie avec d’autres individus de son espèce joue un rôle primordial en offrant de véritables oasis de vie (récifs coralliens) aux milliers d’espèces de poissons et de plantes qu’il abrite. D’où l’urgence de les protéger. Le musée océanographique l’a bien compris et s’est lancé depuis plusieurs décennies dans la culture et l’étude des coraux. Au point d’en être aujourd’hui devenu une référence dans le monde. « La culture du corail est réalisée depuis 35 ans au musée. Nous essayons de ne pas acheter de coraux qui viennent du milieu naturel. Donc, soit nous récupérons des colonies d’autres aquariums, soit nous faisons de la culture. Nous avons en fait des grosses colonies de mer que nous faisons grandir à la réserve et que nous bouturons. C’est-à-dire que nous la coupons en plusieurs petits morceaux que nous allons ensuite remettre en culture et qui vont donner quelques mois ou années plus tard de nouvelles colonies à taille suffisante pour être présentées dans les bassins ». Cet engagement en faveur de la protection des récifs coralliens va d’ailleurs prendre un nouveau virage dans les prochains mois. Puisqu’un projet de Conservatoire mondial du corail devrait voir le jour au musée océanographique, comme le révèle Olivier Brunel : « C’est un projet qui devrait démarrer dans sa phase pratique cet automne [2022 — NDLR]. Nous pilotons ce projet avec le CSM [centre scientifique de Monaco — NDLR]. Dans le cadre de ce programme, nous devrions partir dans l’océan Indien en octobre-novembre [2022 — NDLR] pour récolter des coraux et les ramener à Monaco. Nous devrons ensuite les acclimater et les maintenir ». Car ce conservatoire sera en quelque sorte une « arche de Noé » pour les coraux constructeurs de récif, qui servira de réservoir à des fins de conservation, de recherche et de restauration des récifs coralliens : « Ce programme est cadré avec des scientifiques. Et il a pour but, à terme, de faire de la culture de corail et d’être 100 % autonome que ce soit chez nous, ou ailleurs, pour ne plus avoir à aller chercher des coraux sur les récifs. Parce que le GIEC [groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat — NDLR] annonce, grosso modo, la fin des récifs coralliens pour 2 100. Il faut donc se dépêcher », confie le chef des soigneurs. Avant de conclure : « Nous allons en prendre très peu, trois colonies d’une dizaine d’espèces. Ce qui ne devrait pas mettre en péril le récif. Cela nous permettra ensuite de lancer des programmes de culture et de recherche pour fournir du matériel biologique aux chercheurs et peut-être, à terme, utiliser ces coraux pour les réimplanter dans le milieu naturel s’ils disparaissent ».

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