jeudi 25 avril 2024
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À Nice, le Megarama peine à trouver son public

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Un an après son ouverture, le nouveau multiplexe niçois est encore loin de faire le plein. Mais cet établissement compte sur son offre diversifiée et la reprise de la production cinématographique pour enfin décoller en 2023.

Attendu depuis plusieurs années pour dynamiser un quartier en pleine mutation, le multiplexe Megarama Nice Vauban a officiellement ouvert ses portes le 10 décembre 2021. Situé à quelques encablures du campus Saint-Jean d’Angely, c’est le premier cinéma construit à l’Est de la capitale azuréenne, et aussi le plus grand. Avec ses dix salles d’une capacité totale de 1 400 places réparties sur trois niveaux, et un équipement high-tech, ce nouveau temple du cinéma offre tout le confort nécessaire pour vivre une expérience cinématographique de qualité. Pourtant, un an après son ouverture, cet établissement est encore loin de faire le plein.

« Un lancement de cinéma, ça prend du temps. Il faut environ trois ans pour atteindre un rythme de croisière »

« Ce n’est pas la première crise que le cinéma traverse »

Depuis le 1er janvier 2022, et jusqu’au 10 novembre 2022, ce multiplexe a enregistré 120 000 entrées, alors qu’une étude de marché tablait plutôt sur 475 000 entrées annuelles, en période pré-Covid. Et si l’établissement espère franchir la barre symbolique des 150 000 entrées d’ici la fin de l’année, le compte n’y est pas. « Même si nous aimerions toujours plus, nous sommes satisfaits de la fréquentation qui est en augmentation depuis l’ouverture, confie le directeur, Romain Teyssier. J’ai entendu des chiffres que ma direction aimerait que nous fassions, mais on ne m’a pas dit qu’il fallait absolument les atteindre cette année ou l’année prochaine. Pour le moment, nous n’avons pas de comparatif, donc nous ne savons pas trop ». La pandémie de Covid-19 a, en effet, éloigné les spectateurs des salles obscures pendant deux longues années. Et au-delà de l’impact économique direct pour les exploitants, la crise sanitaire a, semble-t-il, laissé de profondes séquelles dans l’industrie du septième art : « Nous sortons de deux ans de Covid, c’est long. Il faut du temps pour faire repartir la machine. […] Les gens ont été enfermés donc ils n’avaient pas forcément envie d’aller dans une salle. Même quand nous avons rouvert [en mai 2021 — NDLR], il y avait encore des restrictions de malade (sic). Ça ne donnait pas envie. Au contraire, ça faisait même peur aux gens. Attendons donc encore un petit peu. Peut-être qu’il faudra s’alarmer si l’année prochaine, les chiffres ne sont pas bons » insiste Romain Teyssier, qui rappelle également que le contexte inflationniste actuel ne joue pas vraiment en faveur des sorties et des loisirs. « Et puis, il nous faut aussi des films de qualité. Il y en a eu, mais il en faut plus », réclame le directeur du Megarama. Car la pandémie et les confinements ont aussi eu pour conséquence de mettre en sommeil la production et la distribution. « Beaucoup de films ont été repoussés, d’autres n’ont pas été tournés [à cause du Covid – NDLR] donc il y a un manque de films. Il n’y a pas eu un seul dessin animé pendant les vacances de la Toussaint. Ce n’était jamais arrivé auparavant, constate Romain Teyssier. Le manque de films, la sortie du Covid… tout ça mis bout à bout fait que les entrées ont baissé. Les gens viennent, mais ponctuellement. À nous de les réhabituer à venir régulièrement. Et une fois qu’ils auront repris l’habitude de venir au cinéma, une à deux fois par semaine comme ils le faisaient avant, le cinéma va repartir. Ce n’est pas la première crise que le cinéma traverse. Et nous nous sommes toujours relevés. Il faut juste que les gens réapprennent à venir régulièrement au cinéma ».

Cinéma Megarama
« Le problème des plateformes, c’est que ça ne marche que dans un sens. Eux peuvent récupérer les films. En revanche, quand ils en produisent, nous n’avons pas le droit de les récupérer. » Romain Teyssier. Directeur du multiplexe Megarama Nice Vauban. © Photo Nicolas Gehin / Monaco Hebdo.

« Ce n’est pas la première crise que le cinéma traverse. Et nous nous sommes toujours relevés. Il faut juste que les gens réapprennent à venir régulièrement au cinéma »

Changement d’habitude

Ses deux années de crise sanitaire ont en effet bouleversé les habitudes de consommation des amateurs de films. Et les grands gagnants, ou plutôt gagnantes, ce sont les plateformes par abonnement, à la demande ou à la télévision qui ont vu leur nombre d’abonnés littéralement exploser au moment du confinement. Et si, depuis, l’engouement s’est quelque peu tari, le streaming s’affirme aujourd’hui comme un concurrent de taille pour le cinéma. Notamment auprès des jeunes générations qui peuvent, en un clic, accéder à leurs séries et films préférés où et quand elles veulent. D’ailleurs, selon une étude de l’Ifop, commandée par l’Association française des cinémas d’art et essai (Afcae) publiée en mai 2022 (1), 41 % des abonnés à un service de vidéos par abonnement avouent aller moins souvent au cinéma. Pire, 12 % d’entre eux reconnaissent avoir totalement déserté les salles obscures. Les plateformes peuvent-elles alors supplanter le grand écran dans le cœur des cinéphiles ? Romain Teyssier n’y croit pas une seconde : « On avait dit la même chose pour le téléchargement illégal. On disait qu’il allait tuer le cinéma. L’année d’après, nous avons réalisé une année record. Et aujourd’hui on ne parle même plus de téléchargement illégal. C’est le téléchargement qui a disparu, pas le cinéma, souligne le directeur du Megarama. Oui, les plateformes c’est bien, c’est sympa de pouvoir regarder chez soi car on peut mettre sur pause, on peut faire ce que l’on veut… Mais à part les vieux films, il n’y a rien, c’est nul, c’est mauvais. Netflix et Amazon sont très forts en séries, mais en films, il n’y a rien. À part, peut-être, le dernier film d’Olivier Marchal Overdose [diffusé sur Amazon Prime — NDLR], qui aurait mérité de sortir au cinéma ».

« On ne remplacera jamais un écran de 16 mètres dans une salle de cinéma avec l’ambiance, le son, le pop-corn. Dans un cinéma, vous avez aussi la réaction des gens, vous pouvez rencontrer des acteurs… Il y a une ambiance unique »

Il n’empêche, de plus en plus d’acteurs, réalisateurs et producteurs du grand écran se laissent désormais tenter par les séries ou films télévisés : « Les acteurs se plaignent de la crise du cinéma, mais ils vont sur les plateformes. Ce sont eux qui font mal à l’industrie du cinéma, dénonce Romain Teyssier. Le problème des plateformes, c’est que ça ne marche que dans un sens. Eux peuvent récupérer les films. En revanche, quand ils en produisent, nous n’avons pas le droit de les récupérer ». Face à cette concurrence, le directeur du Megarama défend ce que l’on appelle la « chronologie des médias », qui détermine à la fois l’ordre et les délais d’exploitation des œuvres cinématographiques : « En France, il faut attendre 7 ou 8 mois pour retrouver sur les plateformes un film sorti au cinéma. Nous avons donc un peu de temps pour les exploiter. Aux États-Unis, vous avez 15 jours pour exploiter certains films avant qu’ils ne sortent sur les plateformes. Si la France cède à ce niveau-là, ça va être compliqué. Mais tant qu’elle ne cède pas, et elle n’a pas cédé à Disney qui a sorti son Black Panther(2018), nous serons bien », estime Romain Teyssier. À en croire ce professionnel, le cinéma aurait donc encore de beaux jours devant lui : « On ne remplacera jamais un écran de 16 mètres dans une salle de cinéma avec l’ambiance, le son, le pop-corn. Dans un cinéma, vous avez aussi la réaction des gens, vous pouvez rencontrer des acteurs… Il y a une ambiance unique. Les gens vont revenir. Il y a une expression qui dit qu’on revient toujours à nos premiers amours ».

« Nous devons nous diversifier »

Mais alors, comment ramener les spectateurs dans les salles obscures ? « Nous devons nous diversifier », répond du tac-au-tac le directeur du Megarama qui mise particulièrement sur l’événementiel pour relancer la machine. Au début du mois de novembre, son multiplexe a, par exemple, accueilli les deux voix françaises du film Dragon Ball Super : Super Hero (2022). « Nous avons fait une conférence d’une heure sur le doublage. Mais avant, il y avait un “photocall”. Nous avions aussi installé des jeux vidéo Dragon Ball dans nos salons pour que les gens jouent à la console. Il y avait des combats de sumo dans la salle… Nous avons créé l’événement en rajoutant des animations que les gens ont appréciées », explique Romain Teyssier. Dans le même ordre d’idée, il n’est pas rare non plus que son établissement reçoive des acteurs ou propose un débat avant la projection d’un film. « Pour faire revenir le public, il faut lui proposer des choses. Dans tous les cas, nous allons devoir nous réinventer comme nous l’avons toujours fait. Nous avons ramené le numérique, la 3D, les sièges qui bougent, les salles premium… Le cinéma se réinvente tout le temps. La prochaine étape pourrait, pourquoi pas, être la réalité virtuelle », lance le directeur du Megarama. Et de poursuivre : « Il ne faut pas oublier l’essence de notre métier, nous sommes là pour accueillir du public et lui donner du plaisir. Au-delà du film, il faut le faire rêver par l’événementiel. Et il y a de quoi faire ». Ce professionnel compte aussi beaucoup sur les prochaines grosses sorties pour remplir à nouveau les salles. Et notamment sur le film Avatar : La Voie de l’eau (2022), qui sortira le 14 décembre prochain. « Je pense qu’il faut qu’il y ait un film moteur, qui remplisse les salles deux ou trois heures à l’avance. Ce qui fait que quand vous allez arriver au cinéma, le film sera complet et vous devrez attendre la prochaine séance deux ou trois heures plus tard. Du coup, vous allez peut-être regarder un autre film, en attendant. Cela peut réhabituer les gens à revenir plusieurs fois. Et cette locomotive, c’est peut-être Avatar », espère Romain Teyssier.

« Nous allons devoir nous réinventer, comme nous l’avons toujours fait. Nous avons ramené le numérique, la 3D, les sièges qui bougent, les salles premium… le cinéma se réinvente tout le temps. La prochaine étape pourrait, pourquoi pas, être la réalité virtuelle »

Quant aux prix des billets, jugés trop chers par l’acteur Kad Merad, le directeur du multiplexe niçois estime qu’il s’agit d’un faux débat : « Nous savons, de sources sûres, que le prix n’est pas problème. Les salles premium (Dolby, IMAX…) sont en règle générale six euros plus chers, aux alentours de 20 euros, voire parfois 25 euros la place. Or, ces salles n’ont jamais autant fonctionné que ces derniers temps, avec un taux de remplissage qui avoisine les 92 %. Ce n’est donc pas le prix le problème, puisque les gens sont prêts à débourser ces sommes pour aller voir un film ». Avec un tarif plein à 10,70 euros, et un tarif réduit à 5,90 euros pour les moins de 16 ans, le Megarama Nice Vauban est l’un des plus abordables de la capitale azuréenne. Et malgré des débuts quelque peu poussifs, le directeur du cinéma reste résolument optimiste et réclame de la patience : « Un lancement de cinéma, ça prend du temps. Il faut environ trois ans pour atteindre un rythme de croisière. Nous en sommes donc encore loin ». Selon lui, une tendance plus claire se dessinera en 2023 : « Nous verrons l’année prochaine si nous augmentons notre fréquentation, ou pas. Et surtout si nous évoluons par rapport à la tendance nationale. Actuellement, le nombre d’entrées augmente forcément pour tout le monde, car l’année dernière, nous étions fermés la moitié du temps ».

1) Enquête AFCAE/IFOP « Les films et les séries sur les plateformes de streaming », à lire ici.