jeudi 28 mars 2024
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« Je ne changerai pas »

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Le chef étoilé du Monte-Carlo Bay, Marcel Ravin, vient de recevoir la Légion d’honneur. Une véritable surprise pour ce chef martiniquais. Propos recueillis par Raphaël Brun

Votre réaction suite à cette récompense ?

J’ai toujours pensé que la Légion d’honneur venait récompenser celles et ceux qui ont fait quelque chose pour la patrie ou qui sont morts pour elle. Ça me vieillit. Je me suis pris 10 ans de plus, là ! Comme si on couronnait l’ensemble de ma carrière. Ma carrière, c’est 28 ans de cuisine, dont plus de 10 ans à Monaco.

Vous repensez à l’ensemble de votre parcours ?

Oui. Je repense beaucoup à ma grand-mère qui m’a donné l’envie de cuisiner. Je pense aussi au reste de ma famille, et à ma mère qui est sur une autre planète depuis qu’elle a appris la nouvelle. Elle sait tous les efforts que je fais et que j’ai fait.

Quel rôle a joué Monaco dans l’obtention de cette récompense ?

J’ai toujours été très reconnaissant vis-à-vis de la Principauté, car je sais la chance que j’ai d’être ici. Après, je travaille tous les jours pour une entreprise, la Société des bains de mer (SBM), qui me met dans de bonnes conditions.

Pourtant, la SBM est souvent très critiquée ?

Même si la SBM est parfois décriée par beaucoup de gens, elle est décriée par des enfants certainement gâtés, qui n’ont peut-être pas beaucoup vu autre chose dans leur vie, ou qui ont toujours baigné dans ce microcosme monégasque. Comme toute entreprise, la SBM a ses défauts et ses qualités. Mais la SBM nous permet de nous réaliser, si on le désire vraiment. Je me suis réalisé et je continue à le faire. J’ai toujours des objectifs. Il y a toujours plein de choses à lancer ou à imaginer.

Qui se cache derrière cette récompense ?

Toute une équipe. Je suis notamment entouré de deux excellents sous-chefs sur qui je peux vraiment m’appuyer.

Vous avez cherché à obtenir cette légion d’honneur ?

Absolument pas.

Qu’est-ce qui vous anime ?

Ce n’est pas du marketing : j’aime profondément les autres. Et si je peux donner un peu de ce que je sais ou de ce que je fais, je suis le plus heureux. Je suis exigeant avec moi-même, comme je suis exigeant avec les autres. Il est d’ailleurs très difficile de me suivre, même dans ma vie privée. Car je veux parfois faire plus pour les autres que pour les miens. Mais c’est comme ça.

Qui vous a proposé pour cette distinction ?

Il y a quelque temps, une femme m’avait félicité pour ma cuisine. Elle avait pris deux ou trois renseignements. Mais ça s’est limité à ça. Pour l’instant (1), je ne sais pas qui est ma marraine ou mon parrain. Je cherche. Mais je pense peut-être qu’il s’agit de quelqu’un de la Martinique. En tout cas, je n’ai rien demandé à personne.

Cette Légion d’honneur change quoi pour vous ?

Je ne sais pas. Mais ce qui est sûr, c’est que cette récompense ne me fera pas bomber le torse. Cela ne change rien à la relation que j’ai avec mon équipe et mon employeur. Je ne changerai pas.

 

(1) Cette interview a été réalisée le 6 janvier.

 

Pendant ce temps, en Martinique…

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Le 10 juin 2016, Marcel Ravin a ouvert La Table de Marcel à Fort-de-France, dans l’hôtel Simon, un établissement qui appartient à l’un de ses amis martiniquais, Geoffroy Marraud des Grottes. par Raphaël Brun

Ce restaurant de 24 couverts possède une dimension sociale, qui était l’une des conditions posées par le chef du Blue Bay. « Le moteur de ce projet, ce n’est pas l’argent. Le moteur, c’est le partage, la formation et la transmission d’un savoir. Je voulais donc avoir la possibilité d’embaucher des jeunes martiniquais », nous avait expliqué Marcel Ravin en juin 2016. Huit mois après, « le retour des clients est très bon », assure Marcel Ravin, sans éluder quelques difficultés : « Ce n’est pas propre à la Martinique, mais aujourd’hui la jeunesse est de moins en moins courageuse. Parce que la restauration suppose des horaires difficiles, une grande exigence et un travail acharné tous les jours. Donc c’est parfois un peu compliqué. » Alors, pour « faire bien », et sans doute pour faire mieux encore, Marcel Ravin a demandé à ses équipes de se limiter à 18 couverts par service : « Ce n’est pas la course au volume. On doit essayer de faire quelque chose de sur-mesure. » Et ce chef ne perd pas son objectif de départ, sur lequel il reste très clair : « Si mes partenaires devaient se limiter à faire uniquement de l’argent et pas aussi du social ou du développement, ça ne me poserait pas de problème de fermer. Je ne suis pas un défaitiste. Je peux mettre les choses en sommeil. Mais ce sera pour mieux revenir. J’attendrai pour faire quelque chose d’autre, seul ou avec quelqu’un d’autre. »