samedi 20 avril 2024
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Marcel Ravin
« Une consécration »

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Le chef du Monte-Carlo Bay, Marcel Ravin, vient d’obtenir sa première étoile au Michelin. Interview.

 

Qui vous a annoncé votre étoile au Michelin 2015 ?

J’ai d’abord cru à une blague. J’ai été prévenu par téléphone le 30 janvier par le directeur du Michelin et j’ai fini par comprendre que tout était bien vrai. On m’a demandé de garder le silence jusqu’au lundi. J’ai annoncé la nouvelle à mon équipe. Ils me sont tombés dessus, comme lorsqu’un joueur de rugby marque un essai ! La joie a gagné tout le monde, les valets, les femmes de chambres, les voituriers…

C’est une récompense collective ?

J’ai d’abord pensé à mon équipe, composée de 48 personnes en hiver et de 60 pendant l’été. Ca fait 10 ans qu’on travaille ensemble. J’ai 45 ans. J’ai déjà travaillé dans des restaurants étoilés. Donc je sais que c’est important, lorsqu’on est plus jeune, de travailler dans un restaurant qui décroche une étoile au Michelin.

Votre réaction après avoir obtenu cette étoile ?

Une fois chez moi, tout seul, j’ai repassé le film de ma vie dans ma tête. J’ai repensé à tout ce que j’ai vécu avant d’être ici. Puis j’ai téléphoné à mon fils, qui a 13 ans. Il m’a mis la pression ! Car après m’avoir dit « bravo », il m’a demandé : « C’est quand la deuxième étoile ? »

Vous lui avez répondu quoi ?

Que j’allais d’abord me concentrer sur cette première étoile. Mon fils sait combien j’aime la cuisine. Mais cette passion peut parfois être destructrice pour nos proches. Parce qu’on vit pour ce métier et qu’on en oublie un peu notre entourage. J’ai été très heureux, avec le sentiment du devoir accompli.

Le tournage avec vous fin novembre des Escapades de Jean-Luc Petitrenaud pour France 5 était un signe avant-coureur ?

Le chef de l’hostellerie Jérome à La Turbie, Bruno Cirino, a parlé de moi à Jean-Luc Petitrenaud. Mais je ne crois pas que cela ait pu avoir une influence sur le choix du Michelin qui était sans doute arrêté bien avant la diffusion de cette émission (1).

10 ans pour obtenir cette étoile, c’est très long ?

Quand on n’est pas du sérail, c’est plus compliqué. Surtout dans un établissement comme le Monte-Carlo Bay, qui est un gros bateau. Peut-être aussi que notre cuisine n’avait pas trouvé sa pleine puissance et que l’on était un peu timoré. Je suis peut-être parfois trop sensible, trop à fleur de peau.

D’autres manques dans votre cuisine ?

Ma cuisine manquait d’audace et de spontanéité. Elle était faite pour séduire un maximum de gens de tous horizons. Bref, j’ai d’abord pensé aux autres avant de penser à moi.

Le déclic ?

En 2012, lorsqu’on a fait le livre D’un rocher à l’autre : itinéraire d’un chef (2), j’ai compris qu’il fallait que je change de direction. Le Michelin m’a dit qu’ils avaient retrouvé l’identité d’un homme. C’est ce qu’ils recherchent dans une cuisine. Il faut qu’il y ait une histoire. Il faut raconter une histoire.

En décembre 2012, vous nous disiez « ce n’est pas moi qui ne veut pas l’étoile. C’est l’étoile qui ne me veut pas » ?

Pour les 10 ans du Monte-Carlo Bay, c’est un joli remerciement. Depuis 2005, on travaille, toujours avec la même rigueur. On s’est toujours comporté en professionnels.

La couleur de la peau pèse dans l’obtention d’une étoile ?

Je ne sais pas. Mais j’espère que ça ne joue pas. Il a en tout cas fallu que je sois plus visible médiatiquement et que je sois présent sur tous les réseaux sociaux. Ou que je participe à des conférences pour me faire connaître. Car on n’est pas vraiment venu me chercher.

Il y a encore du racisme dans le monde de la cuisine ?

Malheureusement, le racisme existera sans doute toujours. Et pas seulement dans le monde de la cuisine. Il suffit de regarder autour de soi pour mesurer la haine de certains envers quelques communautés. Mais je refuse de penser trop à ça.

Pourquoi ?

Car je ne veux pas me lamenter ou m’apitoyer. Je crois en la justice. Donc je crois que le travail finit toujours par payer. Même si ça prend un peu plus de temps pour certains que pour d’autres.

C’est-à-dire ?

Je sais que ça a été plus dur pour moi que pour d’autres. Mais l’essentiel, c’est de toujours garder le cap.

Comment a été accueilli cette nouvelle chez vous, en Martinique ?

Ils sont hyper contents. Et pas seulement en Martinique, car j’ai reçu des messages de tous les départements d’outre-mer (DOM). De l’île Maurice, de la Réunion…

Le Michelin, c’est un aboutissement pour vous ?

Non. C’est la continuité d’un travail que j’ai accompli. C’est une consécration. Maintenant, il faut continuer. Car une fois qu’on y a goûté, on en veut encore plus. Je me dis qu’à Monaco, on est désormais dans la cour des grands. On est fier pour la Principauté qui a de belles tables et des restaurants étoilés, même si Monaco reste un petit pays.

Cette étoile change quoi, concrètement ?

Le Michelin, quand on n’est pas étoilé on le critique. Et quand on est étoilé, on est content. Un client a fait 500 kilomètres pour venir chez nous, fêter l’anniversaire de son père. C’était incroyable. Mais ce sont des choses que j’aime vivre.

Avec le Michelin, vous devenez plus médiatique ?

Le Michelin ouvre des portes. Certaines choses deviennent plus faciles. Cette étoile me donne une certaine légitimité. J’ai l’impression d’entrer dans un monde nouveau.

Vos prix vont augmenter ?

Non. Augmenter nos prix serait stupide. On propose un menu de six plats à 78 euros et un menu de huit plats à 88 euros. Ce qui me semble être un bon rapport qualité-prix. Ma salle de restaurant peut accueillir 45 à 50 couverts. Et un peu plus pour des fêtes exceptionnelles.

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« Lancer mon propre restaurant, pourquoi pas ? Mais cela suppose de revoir les contrats signés avec la SBM. » Marcel Ravin. Chef étoilé. © Photo SBM.

Vous avez envie de lancer votre propre restaurant ?

J’aime l’endroit où je suis. La Société des Bains de Mer (SBM) m’a toujours laissé travailler comme je voulais. Lorsque j’ai voulu faire mon potager, on m’a dit oui. Donc lancer mon propre restaurant, pourquoi pas ? Cela suppose de revoir les contrats signés avec la SBM. Mais j’aimerais garder un pied ici.

Avoir son propre restaurant, ça représente quoi pour un chef ?

Un aboutissement. C’est le rêve de beaucoup. Mais vu la conjoncture économique, c’est difficile. Mes parents ont été restaurateurs. Parfois, ils ne dormaient pas la nuit parce qu’ils ne savaient pas comment ils allaient payer leurs employés. Mais si je trouve un investisseur qui me suit, pourquoi pas ?

Vous visez une deuxième étoile ?

Je vais d’abord essayer de conserver cette première étoile. Mais tant que je serai en vie, je serai toujours amené à vouloir un peu plus.

Vos projets ?

Depuis 2012, j’ai le projet d’un restaurant de 24 couverts au Monte-Carlo Bay pour monter encore en gamme. J’ai mis du temps pour faire mon livre. On a aussi mis du temps pour obtenir une étoile au Michelin. Mais ce sera mon prochain challenge.

Quel genre de restaurant ce sera ?

Je veux que ce soit un lieu de vie avec un mini-potager ambulant, une belle bibliothèque, parce que j’adore ça… Même si ça ne se fait pas ici, tout ou tard, ce projet se concrétisera.

brun@monacohebdo.mc

 @RaphBrun

(1) Cette émission a été diffusée le 11 janvier dernier sur France 5.
(2) D’un rocher à l’autre : itinéraire d’un chef, textes et recettes de Marcel Ravin (Editions La Martinière), 39 euros.

Parcours d’un chef qui « ne lâche jamais »

Rien n’aura été facile pour Marcel Ravin qui a parfois été confronté au racisme, avant de finir par s’imposer à Monaco.

 

Né le 19 décembre 1969 au Lamentin, en Martinique, Marcel Ravin est le fils d’Yvan Tiburce, artisan et d’Eugénie, restauratrice. C’est sa grand-mère qui lui donne envie de se lancer dans la cuisine. Cette mère de 10 enfants cuisinait beaucoup à partir de légumes de son potager. A 15 ans, Marcel Ravin prépare des repas pour ses parents, son frère et ses deux sœurs. Avant de miser sur l’apprentissage pour se former au métier de cuisinier.

 

« Extra-terrestre »

A 18 ans, il débarque à Paris, dans une brigade composée de plus de 20 cuisiniers, de 8 pâtissiers pour 40 couverts. « J’ai été très bien accueilli par le chef. Avec la brigade, ça a été un peu plus difficile. J’étais perçu un peu comme un extra-terrestre. Certains m’ont même demandé si ça ne me faisait pas drôle d’avoir des vêtements sur moi… », nous expliquait Marcel Ravin en décembre 2012. Début 1990, il part à Nancy, où il poursuit son apprentissage chez Christian Petetin. Après un retour d’une année en Martinique en 1995, retour à Nancy, puis au Bistroquet, un restaurant étoilé situé à Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle) où il devient sous-chef.

 

Racisme

Les expériences s’enchaînent. La toison d’or, à l’hôtel le Frantel de Nancy. Puis la région Rhône-Alpes. A Lyon, le chef Christian Lherm vient de perdre son étoile Michelin dans son restaurant installé au 32ème étage de la tour du Crédit Lyonnais. La couleur de peau de Marcel Ravin a parfois été un frein. Mais pas à Lyon. « Qu’il soit noir ou blanc, peu importe : on verra le travail qu’il fera » tranche Christian Lherm. Ravin passe 5 ans à Lyon.

 

Insécurité

En 2002, le directeur général du Méridien à Bruxelles, Sergio Mangini, décide de recruter ce jeune chef. Trois ans plus tard, Mangini quitte Bruxelles pour Monaco. Au même moment, deux postes sont proposés à Ravin : en Russie et à Val d’Isère. Mais l’insécurité qui règne alors en Russie complique ce projet. Surtout que Marcel Ravin est le père depuis 2001 d’un petit Mathéo. Mais après un appel de Mangini, Marcel Ravin rejoint la Principauté. En 2005, la Société des Bains de Mer (SBM) ouvre le Monte-Carlo Bay et cherche un chef pour ses 8 restaurants.

 

« Verrines »

« Au Monte-Carlo Bay, on a cherché à faire quelque chose de chic, mais décontracté. D’ailleurs, on a été dans les premiers à faire des verrines et à donner une autre version du cooking. Tout ce travail m’a permis de trouver mon identité culinaire. » Ce fut long, mais le pari est gagné. « Au final, il y aura aussi eu beaucoup de cons… Mais ces cons-là ne m’ont pas frustré. Moi, j’ai choisi ce métier. Et je n’ai pas lâché. Je ne lâche jamais », lançait Marcel Ravin en décembre 2012. Tout en lâchant : « Ce n’est pas moi qui ne veut pas l’étoile. C’est l’étoile qui ne me veut pas. » Elle a fini par dire oui.

brun@monacohebdo.mc

@RaphBrun