vendredi 19 avril 2024
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« Aucun lien avec le crime organisé »

Publié le

Thierry Colombié, auteur des Héritiers du milieu, explique pourquoi la fusillade sur Hélène Pastor et son chauffeur ne serait pas liée au crime organisé. Le spécialiste du grand banditisme nous donne les clés des mafias sur la Côte d’Azur.

Monaco Hebdo : Pour vous, cette fusillade est-elle liée au grand banditisme ?
Thierry Colombié : Selon moi, ce n’est pas un professionnel qui a fait le coup. Je suis sûr à 99 % que ça n’a aucun lien avec le crime organisé, la mafia italienne ou russe ou une quelconque activité liée au grand banditisme. Quand j’ai appris l’événement, ce fut aussitôt ma première impression et je le pense toujours.

M.H. : Pourquoi ?
T.C. : Il y a plusieurs faits qui le laissent penser. Les nombreux témoins qui ont assisté à la scène, le mode opératoire, le choix de l’arme, le crime à visage découvert… Première chose : des caméras ont filmé la scène. Le tireur aurait pu neutraliser la vidéosurveillance. Quand on a les moyens, ce n’est pas un problème. Par ailleurs, dans ce genre de guet-apens, on n’utilise surtout pas un fusil de chasse mais une arme de poing. Un fusil de chasse et les gerbes de plomb ne sont pas le meilleur outil techniquement pour éliminer une personne. Rien que pour le maniement des armes. Une arme de poing permet une mobilité du poignet pour ajuster son tir. Même avec un canon scié, on doit utiliser un fusil avec ses deux mains et quand le sujet est en mouvement, ça rend l’opération compliquée. On perd en précision. Dans l’absolu, on peut évidemment utiliser des armes à longue portée (de 100 m) comme des Remington mais uniquement dans des endroits particuliers et quand la cible ne bouge pas. Ça a été le cas en France ces dernières années : des gens ont été tués avec une seule balle de Remington à 600 m…

M.H. : La mafia italienne n’utilise-t-elle pas des fusils dans le sud de l’Italie et n’est-ce pas le cas en Corse également ?
T.C. : Cela peut arriver. Mais franchement, si l’on considère l’hypothèse qu’il y avait un différend entre la mafia et Hélène Pastor, je pense que la mafia aurait mis les moyens suffisants et nécessaires pour atteindre ses objectifs sans témoin ! C’est une règle de base. On n’y déroge pas. D’autres endroits auraient été choisis pour éliminer la cible. Tous les éléments conduisent donc à penser que ce sont des amateurs qui ont mené ce guet-apens.

M.H. : Qui était visé selon vous ?
T.C. : Même si l’amateurisme pourrait laisser penser dans un premier temps que Mohamed Darwich était la cible, on peut raisonnablement imaginer que c’est Hélène Pastor qui était véritablement visée. Le tireur avait en effet l’occasion de tirer sur son chauffeur lorsqu’il était seul. Néanmoins, il faut rester prudent avec cette hypothèse : on peut aussi accorder un soupçon d’intelligence au tireur… Il aurait pu vouloir brouiller les pistes.

M.H. : Les enquêteurs n’excluent aucune piste ?
T.C. : Les policiers peuvent très bien vouloir brouiller les pistes et évoquer la mafia italienne. Personnellement, je n’ai en tout cas jamais entendu parler de tensions entre les Pastor et la mafia italienne.

M.H. : Ce n’est donc pas un règlement de compte à la marseillaise, qui débarque à Nice ?
T.C. : Les règlements de compte à la marseillaise sont de 2 niveaux, ceux qui relèvent de l’amateurisme et les professionnels. Mais les modes opératoires sont différents.

M.H. : Selon vous, le phénomène mafieux recrue-t-il sur la Côte d’Azur ?
T.C. : Non. Le grand banditisme s’y porte très bien mais les principales villes ne sont pas tombées aux mains des mafias étrangères. Ceux qui relèvent du crime organisé n’ont aucun souci à se faire : les milieux corso-marseillais et toulonnais sont puissants voire intouchables. Le milieu niçois l’est un peu moins même si à Nice, un individu est très important dans le domaine des jeux légaux et clandestins. Historiquement, le milieu niçois se consacre au proxénétisme et traditionnellement, les proxénètes sont moins violents. Pour autant, s’il existe des liens avec les mafias étrangères sur la Côte, ce n’est pas nouveau. Cela existe depuis près de 50 ans. Les articles de presse liés notamment à cette affaire expliquant qu’il y a aujourd’hui une implantation de la mafia italienne en France disent des sornettes. C’est une histoire pour les bisounours…

M.H. : La présence de la mafia russe et tchétchène n’est-elle pas nouvelle sur la Côte d’Azur ?
T.C. : Que des mafieux russes investissent dans l’immobilier ou l’hôtellerie et le tourisme, ça a toujours été le cas. Nice a une histoire particulière avec les russes, qui ne se limite pas au transfert d’argent clandestin. Vous avez des russes installés à Nice. Mais même si on en parle moins, il y en a aussi installés au bord du lac Léman côté français, au Pays basque, en Bretagne ou en région parisienne. Et ce n’est pas parce qu’ils investissent qu’ils installent pour autant leur activité. Ils sont sur un territoire et respectent le périmètre des parrains qui, en France, ont une dimension internationale. C’est la règle. C’est une question de réputation.

M.H. : Dans quel domaine les parrains français bénéficient-ils d’une sérieuse réputation ?
T.C. : Les jeux, qui sont la clé. C’est un moyen pour blanchir de l’argent, siphonner les fonds, atteindre une certaine forme de respectabilité, avoir des fiches de salaire tous les mois. Sur le plan de la comptabilité normale, les entreprises réalisent de plus des bénéfices colossaux. Dans ce secteur, les corso-marseillais sont toujours réputés en Afrique, en Amérique du Sud et en Afrique du Sud. Leur business rejoint alors l’industrie de l’or, des pierres précieuses et des armes.
Un autre secteur d’activité important pour les mafieux français — tout comme pour les italiens, les russes et les chinois — mais méconnu, est la contrebande de pétrole. Vous le voyez avec la stratégie de conquête de l’l’Irak ou du Koweit et les liens tissés avec les pays pétroliers. C’est lié à l’histoire et aux colonies qui regorgent de pétrole comme l’Algérie. Cela permet de comprendre pourquoi on a laissé au pouvoir les généraux du FLN et la marionnette qu’est devenu Bouteflika.

M.H. : De quelles sociétés se servent-ils ?
T.C. : La mafia passe par des sociétés basées dans des paradis fiscaux. On ne peut pas parler de groupes criminels. Ils ne le sont plus depuis 40 ans. Dans mon livre La French connexion, j’ai développé le concept d’économie trafiquante. Les firmes obéissent à des objectifs et à des stratégies d’entreprises. Elles évoluent dans un espace trafiquant qui relève à la fois des secteurs légaux, criminalisés (la production des armes est légale mais leur distribution illégale, par exemple) et criminels. Il existe un marché souterrain. A la sortie d’une usine, il y a la filière légale et la filière illégale, qui échappe à la TVA. C’est par exemple le cas avec la contrebande de cigarettes. 80 % des cigarettes de contrebande sortent des usines de cigarettiers.

M.H. : Estimez-vous qu’on lutte assez contre les mafias en France ?
T.C. : En Italie, on est à la pointe des phénomènes mafieux. En France, la police et la justice font tout leur possible pour juguler ce phénomène. Mais il y a un manque de moyens humains et financier. De plus, le parquet n’est pas indépendant en France. Même si les policiers avaient des moyens supérieurs pour prouver les collusions mafieuses, ce n’est pas sûr que l’on a aboutisse à des condamnations. On est d’ailleurs le seul pays du G20 à ne pas avoir de pôle de recherche sur la question ! La France aurait tout à gagner à bénéficier des recherches mettant en exergue les lacunes des policiers et de la justice.

« Il n’y a pas de mafia à Monaco »

Thierry Colombié n’est pas le seul à estimer que la fusillade à Nice « est signé(e) amateur ». Au micro d’Europe 1, le criminologue Alain Bauer a estimé que cette attaque en pleine rue alors qu’il faisait encore jour n’a rien d’un « contrat ». Ce n’est pas la « signature du règlement de comptes habituel, qui se fait davantage à la kalachnikov », juge Alain Bauer. Qui a ajouté : « Il n’y a pas de mafia à Monaco. Pas d’organisation criminelle qui agit en contrôle d’un territoire en faisant de la prostitution, du trafic de stupéfiants, du racket de commerçants ».