mardi 23 avril 2024
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Le Conseil de l’Europe incite Monaco à mieux lutter contre les discriminations

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La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), un organe du Conseil de l’Europe, a rendu son dernier rapport concernant la lutte contre les discriminations à Monaco. Lors d’une table ronde qui s’est déroulée en principauté le 25 avril 2023, elle a invité Monaco à progresser dans la lutte contre les discriminations, notamment en renforçant les prérogatives de son Haut commissariat à la protection des droits.

Après Moneyval, qui contrôle Monaco en termes de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme [à ce sujet, lire notre article Lutte anti-blanchiment du Conseil de l’Europe : « Il y a des manques »], le Conseil de l’Europe, dont la principauté fait partie, a envoyé la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (Ecri), pour mesurer les agissements de la principauté en matière de lutte contre les discriminations sur son territoire. Entamé il y a un an par cet organe du Conseil de l’Europe qui entend agir dans le domaine des droits humains en contrôlant l’action des pays membres contre le racisme, la discrimination et l’intolérance, l’heure était au bilan à l’issue d’une table ronde organisée en principauté le 25 avril 2023 avec des membres du gouvernement monégasque, de l’administration, de la société civile, et du Haut commissariat à la protection des droits, des libertés, et à la médiation. Après une première visite de plusieurs jours à Monaco pour prendre le pouls de la société monégasque, cette instance européenne financée par le Conseil de l’Europe et dont les représentants se veulent indépendants, a pointé une série de points à améliorer, ainsi que deux recommandations prioritaires.

Intégration des personnes LGBTI et des ressortissants étrangers

En premier lieu, l’Ecri a estimé que Monaco pouvait encore assurer « une bonne marge de progrès pour l’intégration des personnes LGBTI et des ressortissants étrangers ». En ce qui concerne les personnes homosexuelles, bisexuelles, trans et intersexes, le vice-président de l’Ecri, Bertil Cottier, explique : « Nous constatons des éléments positifs à Monaco, car il est possible de formaliser une union entre personnes du même sexe. Mais il perdure encore des éléments problématiques. Il est, par exemple, très difficile de faire reconnaître un mariage entre personnes du même sexe qui aurait été contracté à l’étranger. Or, cela posera problème aux ressortissants qui souhaiteraient résider à Monaco sur le long terme, car ils se retrouveront bloqués pour toute une série d’éléments concrets de la vie quotidienne. Ce sera par exemple le cas au moment d’assurer leur succession, ou s’ils veulent rendre visite à leur conjoint à l’hôpital. Ils ne le pourront pas, car leur union n’est pas reconnue à Monaco. » Ces points ont été explicités lors de la première rencontre à Monaco en 2022, puis rappelés lors de la table ronde du 25 avril 2023 par des représentants LGBTI de la société civile de Monaco, qui ne sont toutefois pas réunis en association en principauté. En ce qui concerne les ressortissants étrangers, Bertil Cottier regrette que le regroupement familial, qui permet à un étranger d’être rejoint de droit par son conjoint et ses enfants, ne soit pas accordé automatiquement à Monaco, au détriment, selon lui, de la « protection de la famille ». Le vice-président regrette aussi que le permis de séjour puisse être refusé au motif de « bonne moralité », un critère « pas suffisamment explicite » selon lui, et qui « ouvre la porte à des dérives arbitraires ». Enfin, Bertil Cottier et l’Ecri regrettent que l’accès à la nationalité monégasque soit « extrêmement restrictif », notamment du fait du rallongement des délais permettant aux conjoints des citoyens monégasques de prétendre à la nationalité, passés à 20 ans en novembre 2021 [à ce sujet, lire notre article Nationalité monégasque par mariage : pourquoi le délai passe à 20 ans].

Renforcer le Haut Commissariat à la protection des droits

Dans son rapport, l’Ecri invite également Monaco à « muscler davantage le Haut commissariat à la protection des droits en étendant ses prérogatives, notamment d’enquêtes et d’investigation ». Et cela ne passe pas forcément par un renforcement des effectifs de cet organe indépendant de protection des droits des administrés et de lutte contre les discriminations à Monaco [à ce sujet, lire notre article Monaco progresse-t-il sur le plan des libertés et de la protection des droits ?]. Selon Bertil Cottier, c’est de l’accès à l’information dont il est davantage question : « Lors d’enquêtes, le Haut commissariat à la protection des droits ne peut accéder qu’à des informations qui sont déjà rendues publiques. Son pouvoir d’investigation est donc très restreint. Il est important, au contraire, qu’il y ait accès sans restrictions, et rapidement. Sans cet accès aux informations, les effectifs pourraient augmenter que ça n’y changerait rien. » Il s’agit là d’une recommandation prioritaire de cette officine européenne, qui incite donc Monaco à améliorer ce point d’ici deux ans, pour le prochain cycle de visite de l’Ecri : « Nous fixons cet objectif comme prioritaire. Non pas parce qu’il nous semble urgent, mais parce qu’il nous semble améliorable rapidement, et que des mesures peuvent être prises d’ici deux ans, notamment par le biais d’une ordonnance souveraine qui permettrait d’améliorer le pouvoir d’investigation du Haut commissariat », précise Bertil Cottier.

En ce qui concerne les ressortissants étrangers, Bertil Cottier regrette que le regroupement familial, qui permet à un étranger d’être rejoint de droit par son conjoint et ses enfants, ne soit pas accordé automatiquement à Monaco, au détriment, selon lui, de la « protection de la famille »

Lutter contre le discours de haine

La seconde recommandation prioritaire de l’Ecri concerne la lutte contre le discours de haine « sous toutes ses formes ». L’Ecri invite en effet Monaco à confier au pouvoir judiciaire, et non plus au pouvoir administratif comme c’est le cas aujourd’hui, le soin d’intervenir : « Face à la multiplication des attaques personnelles sur les réseaux sociaux, de bonnes choses ont été faites à Monaco, notamment sur le terrain de l’éducation nationale, par des actions de sensibilisation. Mais il demeure un problème sur qui peut intervenir. Nous estimons que c’est au pouvoir judiciaire de le faire, pour des raisons d’indépendance et de liberté d’expression, et non plus au pouvoir administratif des ministères d’État. » D’ici deux ans, l’Ecri transmettra un courrier au gouvernement monégasque dans lequel il jugera si les avancées en la matière sont satisfaisantes, partiellement satisfaisantes, ou pas du tout. Et si le pouvoir de l’Ecri n’est pas coercitif et n’implique pas de sanctions matérielles, ses rapports pourraient toutefois peser dans les négociations européennes avec le Conseil de l’Europe ou même la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), les organisations civiles et les syndicats en principauté.