samedi 20 avril 2024
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« La philosophie,
c’est l’amour du savoir »

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Invité dans le cadre des Rencontres philosophiques de Monaco, le président du club de football de Naples et producteur de cinéma, Aurelio de Laurentiis, s’est confié à Monaco Hebdo : philosophie, cinéma, foot, culture… Il n’a éludé aucun sujet. Interview. Propos recueillis par Raphaël Brun

 

Pourquoi avoir accepté l’invitation des Rencontres philosophiques de Monaco ?

La philosophie, c’est l’amour du savoir. Or, je suis boulimique du savoir, de la connaissance. Je travaille aussi dans le cinéma, et le cinéma c’est un pont vers la curiosité. Parce que dans ce métier, on est toujours en train de créer quelque chose de nouveau. On crée aussi un pont vers le public.

 

Pourquoi les Rencontres philosophiques vont ont proposé de participer à un débat intitulé “philosophie et sport” ?

Je suis présent dans le monde du sport car je suis président du club de football de Naples, la Società Sportiva Calcio (SSC) Napoli, depuis 2004. La philosophie est très liée à l’éthique. L’éthique est basée sur la loyauté, sur le respect de la personne, de l’adversaire.

 

Vous étiez bon élève ?

J’aimais beaucoup la philosophie. Parfois, la professeur me demandait de venir expliquer certains points devant toute la classe. J’étais en classe à Rome, dans des écoles catholiques. Chaque matin, on avait une heure de religion avant de commencer la journée.

 

C’était utile ?

Je pense qu’on devrait voir Dieu d’un point de vue philosophique, pas du point de vue de l’Eglise.

 

Et ensuite ?

Quand j’ai eu 14 ans, je suis allé à l’école publique, toujours à Rome. On a commencé à aborder aussi les questions politiques. Je trouve en tout cas que la philosophie, c’est passionnant. Parce que la philosophie explique comment est né le monde : qu’y a-t-il au bout du monde ? Comment tout cela a commencé ?

 

Mais la philosophie et le football, ça semble très éloigné ?

L’éthique sportive n’est pas celle du résultat. Or, dans le football, il y a une éthique : celle du résultat, celui que te demande le public. Au football, le public n’aime pas les règles. Il voudrait toujours pouvoir tuer symboliquement l’adversaire, en l’humiliant avec un score le plus large possible.

 

On imagine que la culture, la philosophie et le football ne vont pas ensemble et pourtant, vous êtes producteur de cinéma et président du club de foot de Naples ?

Je suis producteur de cinéma de façon un peu unique dans ma façon de travailler. En effet, souvent, je trouve l’idée que j’aimerais voir devenir un film. Pour développer cette idée il faut ensuite identifier qui va écrire le scénario. Car on fait avant tout une opération de marketing. Puis, il faut repérer qui est le meilleur réalisateur possible pour ce scénario et monter le casting. Après, il faut tourner le film. Mais ça ne s’arrête pas là.

 

Quelles sont les étapes suivantes ?

Il faut distribuer le film dans les salles, puis sur les chaînes de télévisions payantes, et enfin chez les revendeurs de blu-rays pour l’exploitation vidéo. Sans oublier les diffusions sur les chaînes de télévisions gratuites. Enfin, il y a aussi les licences pour la diffusion de ce film dans le reste du monde. Car quand je fais un film, je ne le vends pas, je reste propriétaire du copyright, de l’idée. Il faut donc s’organiser pour l’exploitation de chaque film.

 

Il n’y a aucun lien avec le fonctionnement du foot-business ?

Lorsque j’ai racheté le club de Naples en 2004, je ne savais rien du football. J’étais à Los Angeles, en train de terminer un film avec Angelina Jolie et Gwyneth Paltrow, Capitaine Sky et le Monde de Demain (2004). Moi, quand j’étais enfant, je jouais au basket. Je ne savais pas grand-chose du monde du football. Du coup, j’ai toujours fonctionné différemment des autres présidents de clubs de football. Car les autres n’ont pas ma culture cinématographique.

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Comment avez-vous racheté le club de Naples qui était en faillite en 2004 ?

J’ai racheté Naples à la barre du tribunal pour 33 millions d’euros en août 2004. Lorsque je suis allé chez le juge, il m’a dit que pour ce prix je n’avais acheté en fait que la dénomination sociale du club. La seule bonne surprise, c’est qu’au lieu de redémarrer en quatrième division, il m’a été accordé de repartir en troisième division…

 

Vos premières décisions ?

J’ai décidé de faire pour les footballeurs les mêmes contrats que ceux que je propose aux acteurs de cinéma. Et j’ai fait pour l’entraîneur de mon équipe le même contrat que celui que je donne à un réalisateur. Ce sont des contrats très précis, de 120 pages. Tout le monde m’a pris pour un fou.

 

Difficile de changer les méthodes dans le milieu du football ?

J’ai 67 ans, mais je suis toujours focalisé sur le futur. Je ne regarde jamais en arrière. Je ne dis jamais : « On a toujours fait comme ça, donc on ne peut pas changer. »

 

En tant que président de Naples, vous avez d’autres exigences ?

Je n’achèterai jamais un joueur qui refuse de me céder l’intégralité de son droit d’image. Parce que je n’ai jamais fait un film sans avoir le droit d’image des acteurs.

 

Pourquoi avoir racheté Naples ?

J’ai investi dans Naples parce que ma famille est napolitaine et que, pour moi, la “napolétanité”, c’est le sens de la vie. C’est le sel et le poivre sur tous les plats.

 

Naples a fini second de la Serie A, derrière la Juventus, et vous allez jouer la Ligue des Champions pour la troisième fois : quels sont vos objectifs ?

C’est très difficile de battre la Juventus, qui est un club très stable. A Naples, j’ai dû repartir de zéro en 2004 et tout construire jusqu’à aujourd’hui. Quand Naples achète pour 120 millions de joueurs, la Juventus dépense 360 millions… Mais la Juventus a dû procéder à une recapitalisation à hauteur de 200 millions, quand Naples gagne de l’argent chaque année depuis 8 ans. L’année où on est remonté en Serie A, en 2007-2008, Naples était la 535ème équipe au monde. Aujourd’hui, on est 17ème. Naples a 10 millions de fans dans le monde entier. On a fait du chemin…

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Et il reste encore beaucoup de chemin à faire ?

On doit se battre avec la municipalité qui est propriétaire du stade San Paolo, qui peut contenir un peu plus de 60 000 spectateurs. Ça fait 40 ans que la mairie ne fait pas de travaux. Ils me donnent le stade le jour du match, pas avant. Je paie 1,5 million d’euros pour 25 à 28 matches par saison.

 

Vous avez essayé de négocier avec la mairie de Naples ?

Je leur ai proposé d’investir tout de suite 3 millions. Il y a un an, j’ai monté un projet avec les architectes qui ont réalisé le Juventus Stadium, Gino Zavanella et Hernando Suarez. Mais la mairie a refusé.

 

Pourquoi ?

Ils veulent investir 25 millions et commencer des travaux en novembre. Du coup, j’ai dû faire une demande pour avoir l’autorisation de jouer à Palerme. Car on n’a pas encore la licence pour jouer en Ligue des Champions à San Paolo. Mais ce n’est pas à moi de demander cette licence : c’est à la mairie !

 

Vous ne jouerez donc pas à San Paolo ?

Pour l’instant, on ne sait pas.

 

Vous n’en avez pas marre du football ?

Non, car ça m’intéresse encore. Je suis d’ailleurs en train d’étudier comment rentrer dans le foot américain et dans le foot anglais. Aux Etats-Unis, le football américain, le base-ball et le basket sont en baisse. Dans 5 ou 6 ans, la Chine et les Etats-Unis seront deux pays très intéressants pour le football. Les Chinois ont racheté l’Inter de Milan (1) et le Milan AC (2). Ce qui ne m’étonne pas. Car, comme le théoricien de la communication Marshall McLuhan (1911-1980) le disait, on est tous connectés.

 

Vous avez des liens avec l’AS Monaco et son président, Dmitry Rybolovlev ?

L’AS Monaco viendra jouer à Naples le 7 août. Ce sera un match intéressant. Monaco a de la valeur, parce qu’il s’agit de la Principauté de Monaco. Peu importe si son stade n’est pas grand et pas rempli.

 

Vraiment ?

Ce qui fait gagner de l’argent à un club, ce n’est plus son stade réel mais son stade virtuel, c’est-à-dire la télévision. Mais il faudrait changer la formule des championnats et faire disparaitre l’Europa League et la Ligue des Champions.

 

Pour faire quoi ?

Une Ligue des Champions réservée au Portugal, à la Belgique, la Suisse, la Hollande, la Grèce, l’Autriche, la Russie et la Pologne. Il faudrait aussi créer en plus un championnat européen des cinq nations avec les six premières équipes de ces pays : Italie, France, Espagne, Allemagne et Angleterre. Ce championnat avec 30 équipes se déroulerait en match aller-retour le mercredi et le jeudi, en parallèle du championnat de chaque pays. Ensuite, les quatre premiers de ce championnat joueraient contre les quatre dernières équipes qualifiées en Ligue des Champions.

 

Vous aimeriez lancer d’autres réformes ?

Il faut diminuer le nombre d’équipes en Serie A et dans les quatre grands championnats européens pour le faire passer de 20 à 12 ou 14 équipes maximum. On ferait donc un match tous les 10 jours, ce qui permettrait de créer plus d’attente et de remplir encore mieux nos stades. On pourrait ainsi amener 10 milliards sur la table. Mais on continue de faire une grosse erreur.

 

Laquelle ?

Vendre nos championnats aux télévisions. Il faudrait créer une licence pour notre produit, qui est le football. On garderait donc 80 % pour laisser 20 % aux télévisions.

 

Naples va recruter à quels postes ?

J’ai déjà renforcé la défense avec le défenseur central d’Empoli, Lorenzo Tonelli. Maintenant, je suis en train de renforcer le milieu de terrain. Il faudra voir ce qu’il se passe avec Manolo Gabbiadini. J’aimerais aussi renforcer le côté où joue Josè Maria Callejon.

 

Il y a des joueurs de l’AS Monaco qui vous intéressent ?

Fabinho m’intéresse. On a proposé 10 millions pour ouvrir les discussions.

 

Monaco vous a contacté pour acheter certains de vos joueurs ?

Pas pour le moment.

 

Vous avez vendu Ezequiel Lavezzi et Edinson Cavani au PSG en faisant de gros bénéfices : vous le regrettez ?

Non, pourquoi ? J’ai vendu Lavezzi 33 millions et Cavani 65 millions net. C’est bien vendu je trouve…

 

Quel rapport avez-vous avec l’argent ?

Je dis toujours à mes enfants que l’argent n’est pas un but, mais un moyen. Dans la vie, il faut savoir compter et être mathématique. Les mathématiques sont une science exacte. Et c’est aussi une belle philosophie. Car les chiffres ont une âme, si on sait les interpréter. De toute façon, notre bien le plus précieux, c’est évidemment la santé, pas l’argent. Quand on a la santé, il faut avoir faim, travailler et ne jamais être fatigué.

 

Vous êtes le neveu du producteur Dino de Laurentiis (1919-2010), qui a notamment produit des films comme Dune (1984) de David Lynch, Le Sixième Sens (1986) de Michael Mann ou Hannibal (2001) de Ridley Scott : c’était quel genre d’homme ?

Dino et mon père m’ont tout appris sur le cinéma. Dino est un self made man. Il n’a pas fait d’études parce qu’il n’a pas voulu aller à l’université. En 1929, mon grand-père était alors un industriel. C’était un fabricant de pâtes de Torre d’Annunziata, près de Naples. Il s’appelait comme moi, Aurelio de Laurentiis. Dino a dit à son père qu’il voulait devenir acteur. Son père lui a dit : « OK, vas-y. Mais si dans un an tu n’es arrivé à rien, tu reviens travailler ici avec moi. »

 

Et que s’est-il passé, un an après ?

Un an après, mon oncle n’avait plus un sou. Mais il est passé derrière la caméra. Il a été secrétaire de production, puis directeur de production.

 

Votre père a aussi travaillé dans le monde de la culture et du cinéma ?

Mon père qui parlait parfaitement le bulgare et le russe, avait gagné une bourse d’étude. Le ministère des affaires étrangères l’avait envoyé à Sofia, en Bulgarie. C’est là-bas qu’il a connu ma mère. Au bout de trois mois, il a mis autour d’une table des poètes, des écrivains, des gens du théâtre et du cinéma pour créer un journal, Blanc et Noir. Par la suite, il a été professeur. Et il a même créé une école de cinéma. C’était l’intellectuel de la famille.

Votre père et votre oncle Dino ont travaillé ensemble ?

Les deux frères se sont retrouvés dans les années 40. Après la guerre, ils se sont associés avec le producteur Carlo Ponti (1912-2007) pour créer la Ponti-de Laurentiis lorsque je suis né, en 1949. Carlo Ponti avait peur de la philosophie de Laurentiisienne, qui consiste à faire des films internationaux à gros budgets, comme par exemple l’adaptation de Guerre et Paix en 1956, avec Audrey Hepburn et Jane Fonda. Il faut dire qu’à l’époque, ce film a coûté 5 milliards de lires…

 

C’était beaucoup d’argent !

Oui, mais de l’autre côté, on faisait aussi des films avec des gens comme Federico Fellini (1920-1993). Je pense par exemple à La Strada (1954), qui a été récompensé par un Oscar. Ou encore Les Nuits de Cabiria (Le notti di Cabiria) en 1957. Du coup, après avoir épousé Sophia Loren, Carlo Ponti a ensuite fait sa carrière de son côté. Mon père et mon oncle sont restés ensemble.

 

Votre famille a aussi créé ses propres studios de cinéma ?

Dans les années 60, mon père a édifié pour mon oncle un grand studio à Rome, sur la via Pontina : la Dinocittà. Résultat, à Rome, le complexe de studios Cinecittà lancé en 1937 était alors vide, car tout le monde venait chez nous. Ils ont donc commencé à appliquer une baisse des prix de l’ordre de 90 % ! Comme Cinecittà appartenait à l’Etat, ils ne risquaient pas la banqueroute…

 

Et ça a marché ?

Oui. On avait des acteurs comme Elizabeth Taylor (1932-2011) ou Richard Burton (1925-1984). Et ils sont tous partis tourner à Cinecittà… Du coup, mon oncle a décidé de quitter l’Italie pour les Etats-Unis. Mais mon père a refusé de partir. J’étais très proche de mon père. Je suis donc resté avec lui.

 

C’est un épisode que vous n’avez jamais oublié ?

En 1997, lorsque Cinecittà a été privatisé, j’ai fait partie des investisseurs qui l’ont racheté via la holding Italian Entertainment Group (IEG). J’ai aussi racheté Dinocittà sur lequel j’ai ouvert en juillet 2014 un parc d’attraction en hommage au cinéma italien, que j’ai baptisé Cinecittà World. Actuellement, on est en train de finir le Luneur Park, un parc d’attraction situé à Rome, qui ouvrira en septembre.

 

Vous avez d’autres activités en dehors du football et du cinéma ?

Avec l’une de mes entreprises, on travaille sur l’ouverture et la clôture des Jeux olympiques (JO) de Rio en août prochain. Ce qui va coûter 77 millions d’euros.

 

Quels sont vos projets cinématographiques ?

Je travaille sur des films internationaux, mais aussi sur des films italiens, que je n’ai jamais abandonnés d’ailleurs. Mais aussi sur des séries pour la télévision, dont une qui devrait être prochainement tournée à Monaco.

 

Vous avez de nouveaux projets ?

J’adore tout ce qui touche aux questions de santé et de gastronomie. Depuis 30 ans, j’ai un rêve : j’aimerais démontrer qu’il est possible de manger sainement à un prix raisonnable. Si j’ai le temps, je souhaiterais ouvrir une centaine de restaurants de qualité. Car Naples me prend beaucoup de temps… On est de retour en Serie A depuis 8 ans et on joue une Coupe d’Europe chaque année depuis 7 ans. Mais c’est passionnant.

 

 

(1) Le 6 juin, le groupe de distribution de produits électroniques et d’électroménager Suning a annoncé le rachat de l’Inter de Milan pour 270 millions d’euros. Ce qui représente, pour le moment, le plus gros investissement chinois dans un club de football. Suning détiendra 70 % des parts de l’Inter.
(2) Le 10 mai, Sky Italia a indiqué que Feninvest, l’entreprise fondée par Silvio Berlusconi, était entrée en « négociations exclusives » pour une période d’un mois avec « un groupe d’investisseurs chinois » pour la vente de 70 % du Milan AC.