jeudi 25 avril 2024
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La Grande Guerre
vue de Monaco

Publié le

De la déclaration de guerre jusqu’à l’issue du conflit, en novembre 1918, Monaco n’a pas été épargné. En accueillant des soldats coloniaux et en envoyant Monégasques et résidents au front, la Principauté a aussi contribué à l’effort de guerre.

Qu’on l’appelle la Grande Guerre ou la Der des Ders, la Première Guerre mondiale a chamboulé la planète. Première guerre totale, marquée par les progrès de l’industrie de l’armement, elle aura vu mourir 9 millions de personnes, dont plus d’un million de poilus français. Ce cataclysme, causé par la tension croissante entre deux blocs (la Triple alliance qui rassemble les empires allemand et austro-hongrois et l’Italie face à la la Triple entente, alliant la France, le Royaume-Uni et la Russie), en 1914, personne ne peut l’imaginer. L’assassinat le 28 juin 1914 à Sarajevo de l’archiduc François-Ferdinand, l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie, par le Serbe Gavrilo Princip, représente l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Un prétexte pour déclencher un conflit que les dirigeants européens estiment pourtant jusqu’au bout pouvoir éviter, et qui crée la stupeur au sein des populations des Etats belligérants.

Stupeur
Ainsi, le prince Albert Ier, pacifiste convaincu, ne se doute pas, en juillet 1914, que le conflit va éclater si vite. Le 15 juillet, Albert Ier quitte Paris pour son habituelle campagne océanographique d’été au large des Açores (1). C’est à bord de L’Hirondelle, qu’il va apprendre les déclarations de guerre, notamment celle de l’Allemagne à la France le 3 août. De retour à Monaco, le prince prend immédiatement position en faveur de la France. Lors du passage du 27ème bataillon de chasseurs alpins le 10 août, le prince rappelle en effet son engagement, 44 ans auparavant, dans la marine française. Il coupe ainsi toute rumeur potentielle liée à son amitié avec son cousin éloigné Guillaume II (la tante d’Albert 1er est mariée avec un membre de la famille royale de Wurtemberg). Dans son livre de mémoires Au service de la France : neuf années de souvenirs, le président français Raymond Poincaré évoque le message éloquent que lui télégraphie « le prince Albert de Monaco, qui avait tant gardé d’illusions sur Guillaume II » le 22 septembre 1914 : « L’acte criminel accompli à Reims par l’ennemi sauvage de la France est une provocation au monde civilisé ; il caractérise une armée, une nation et un règne. J’en suis aussi consterné que le meilleur des Français. » Quelques jours avant, Reims, “ville martyre”, a été bombardée et sa Cathédrale, prise pour cible, a été incendiée. En 1918, Albert Ier retournera à l’empereur allemand les ordres que ce dernier lui avait conférés en témoignage de reconnaissance pour son œuvre scientifique et humanitaire. Pourtant, cela ne suffira pas à convaincre l’Action française : entre 1916 et 1918, le quotidien maurrassien conspue Monaco et les cadres allemands de la Société des bains de mer. Avec de grands titres haineux : La caverne boche de Monaco, à quand la fermeture ? ou encore Il faut fermer le klaquedent de Monaco. A quand l’arrestation de Camille Blanc…

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Le château de Marchais (Aisne) occupé par les allemands pendant la Première Guerre mondiale. Carte postale allemande de 1916.

Marchais occupé
Lors de ce conflit, Monaco demeure officiellement neutre. Pour autant, le prince met à disposition du gouvernement français un certain nombre de biens. Notamment l’Institut océanographique et l’Institut de paléontologie humaine de Paris. Ou encore son système de télégraphie sans fil, qui se trouve à bord de son yacht, ainsi que 50 000 francs qu’il « remet au préfet de la Seine pour les familles nécessiteuses des militaires. »
L’hôpital de Monaco et le château de Marchais, dans l’Aisne, sont eux mis à disposition de la Croix-Rouge française. Mais la propriété de la famille princière sera vite occupée par l’armée allemande. Les allemands profitent d’ailleurs de leur présence à Marchais pour s’adonner à un chantage dirigé indirectement vers le prince. Un officier allemand ayant trouvé des débris de bouteilles près du château, ils sanctionnent la commune d’une amende de 500 000 francs… que les habitants ne peuvent payer en intégralité. Leur sécurité et l’intégrité du château étant menacées, Albert Ier s’engagera alors à payer la “rançon”. Ce qui n’empêchera pas les Allemands de piller la demeure avant leur départ…

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Ricciotti Garibaldi, fils de Giuseppe Garibaldi, sur les marches de l’Hôtel de Paris. Cet homme politique italien (1847-1924) s’est opposé à l’avènement du fascisme au moment de la première guerre mondiale.
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Les Bains du Larvotto.
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Un groupe de tireurs au concours de tirs aux pigeons. Au second plan le paquebot Caroniaux.

Le prince Louis sous les drapeaux français
Au-delà de ces aides matérielles et financières, le prince Albert Ier, qui a pris ses quartiers sur son yacht à quai au port Hercule — c’est là qu’il reçoit ses rendez-vous — assure également les alliés de son soutien au cours des premières semaines du conflit. En 1916, entre juillet et août, il se déplace aussi sur les fronts italiens, français et anglais. Lors de ses deux voyages en Belgique, de 1915 et 1917, il visite les hôpitaux. Sur le front français, il en profite pour voir son fils, le prince Louis. L’héritier d’Albert Ier s’est engagé volontairement dans l’armée française dès le mois d’août 1914. Il intègre ainsi l’état-major de la Vème armée avec le grade de capitaine. En tant qu’héritier d’un Etat souverain ami, il n’est bien entendu pas envoyé en première ligne, là où certains capitaines pouvaient lancer les assauts au sifflet dans les tranchées. Mais cela ne l’empêcha pas de se distinguer. En 1915, il reçoit une citation, « qui lui vaut la Croix de guerre avec palme », raconte Thomas Fouilleron dans Histoire de Monaco. Il sera bientôt nommé chef d’escadron à l’état-major de la Vème armée puis lieutenant-colonel de la Légion étrangère. Son rôle en tant qu’officier de liaison fut souvent salué, notamment lors de l’offensive du Chemin des Dames, en 1917. Une offensive qu’il a décrite dans un courrier au médecin militaire Ferdinand Louët : « Depuis que les Boches ont perdu Craonne et le plateau de Californie, ils tentent journellement l’impossible pour reprendre ces positions très importantes pour eux (…). Depuis qu’ils tirent des rafales de gros obus sur toutes les routes et carrefours du Sud de l’Aisne, nous ne pouvons plus nous rendre en auto dans nos secteurs respectifs et sommes obligés de nous appuyer de bons kilomètres à pied. »
Le tableau que dépeint le prince, qui vit « au milieu des cadavres, parfois peu appétissants », illustre bien la noirceur du conflit : « Ils ont repris la bonne habitude qu’ils avaient perdue de tirer à coups de canon sur un seul piéton. Néanmoins en connaissant à fond les voies d’accès, on peut arriver en faisant attention à se rendre sans accroc jusqu’aux premières lignes, actuellement démolies presque partout, mais il faut ouvrir l’œil et ne pas hésiter à s’aplatir dans la gadouille quand on les entend arriver un peu près. »

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Le port Hercule.
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Seconde Coupe Schneider le 20 avril 1914. L’appareil n° 3, le biplan Spowitch Tabloid de l’anglais M. Howard Pixton, remporte l’épreuve.

Bilan humain
Si le bilan des hommes tombés sur le champ de bataille est bien évidemment incomparable avec celui des Etats voisins, Monaco paiera son tribut lors de ce premier conflit mondial. Les carabiniers étant français, ils sont mobilisés pour se battre pour la France. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle des carabiniers ont participé au défilé du 14 juillet cette année sur les Champs-Elysées. En principauté, ils se voient remplacés par une douzaine de monégasques, et treize carabiniers qui étaient déjà partis à la retraite. Cette “milice” va alors assurer la sécurité du prince à Monaco, et effectuer des rondes de jour comme de nuit. A l’image du prince Louis, certains Monégasques se sont également engagés comme volontaires dans l’armée française. Un engagement qui ne s’est pas fait sans pertes : « Sur 80 carabiniers mobilisés, huit sont tués au cours du conflit. (…) Les monument ou plaques commémoratives témoignent encre aujourd’hui, dans la principauté, de la saignée humaine provoquée par la Grande Guerre. La Société des bains de mer dénombre ainsi 98 employés français morts au combat, 33 Italiens et 9 Belges. Le lycée compte 14 disparus : le surveillant général, 12 anciens élèves français et un ancien élève italien », résume Thomas Fouilleron dans Histoire de Monaco. Et si la présence de noms sénégalais sur les monuments aux morts de la principauté peut surprendre, l’explication est toute simple : un grand nombre de soldats coloniaux sont soignés à Monaco, parmi lesquels des tirailleurs sénégalais qui ont succombé à leurs blessures.

Hôtels transformés en hôpitaux

Si le territoire monégasque est épargné par le conflit, on y voit en effet les séquelles. Monaco met en place des hôpitaux temporaires, notamment à l’Hôtel Alexandra — comme ce fût le cas au Riviera Palace à Beausoleil — afin de soigner des blessés qui viennent des différents champs de bataille. Charlotte de Monaco, la fille du prince Louis, y prodigue des soins aux soldats. Pour occuper ces soldats en convalescence, des représentations théâtrales et musicales sont organisées. On le voit d’ailleurs dans la programmation de la SBM. Opéras, tir aux pigeons, régates, courses canines, fêtes populaires… Malgré la guerre, la vie continue. Pour faire face au manque de ravitaillement, des soupes populaires sont également organisées.

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Le Riviera Palace à Beausoleil transformé en hôpital temporaire.

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Traité de 1918
A son issue, la guerre de 1914-1918 aura quelques conséquences sur Monaco. « Sur le plan économique, la Grande Guerre a entraîné une baisse de la fréquentation de Monte-Carlo, donc des difficultés financières pour la SBM », souligne Thomas Fouilleron. La Principauté est même obligée, compte tenu d’une forte inflation et faute de monnaies métalliques suffisantes, d’émettre des billets de banque en 1920. C’est sans doute sur le plan politique que le dommage collatéral est majeur. Avant l’adoption de Charlotte par le prince Louis (il adoptera sa fille naturelle en 1919), Monaco se trouve dans une situation complexe. La couronne monégasque peut en effet revenir à un héritier allemand —la sœur de Charles III s’était marié au prince Guillaume de Wurtemberg, duc d’Urach —, en l’absence d’héritier légitime. Le traité franco-monégasque de 1918 changera la donne, en plaçant la Principauté sous la protection de Paris.

(1) De la germanophilie à la germanophobie : le prince Albert Ier de Monaco face à la Première Guerre mondiale, article de Jacqueline Carpine-Lancre et Thomas Fouilleron, extrait de Arnaud Hurel et al. (dir.), L’Œuvre de paix du prince Albert Ier de Monaco, édition électronique, Paris/Monaco, édition du comité des travaux historiques et scientifiques/Annales Monégasques, 2013.