jeudi 28 mars 2024
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Guy Carcassonne : “La démocratie a un coût”

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Guy Carcassonne
Guy Carcassonne © Photo Monaco Hebdo.

Missionné par le Conseil national pour donner son avis d’expert sur la future loi d’organisation du parlement monégasque, le constitutionnaliste français Guy Carcassonne, de visite à Monaco le 1er février, a débattu de son rapport avec les élus. Ce professeur de droit, qui a participé au comité Balladur sur la modernisation des institutions de la Vème république, préconise un renforcement des pouvoirs de l’opposition et du dialogue entre parlement et exécutif. Mais aussi plus de moyens matériels accordés aux élus.

Monaco Hebdo : Vous avez réalisé un rapport sur les grandes orientations de la future loi d’organisation du conseil national. Quelle analyse faites-vous actuellement des relations entre le parlement monégasque et l’Exécutif ?

Guy Carcassonne : Plusieurs aspects sont à mon sens à revoir. Le premier est sans doute la relation du conseil national avec le gouvernement qui est excessivement empreinte d’unilatéralisme. Que l’on soit clair. Il y a une constitution, il n’est pas question d’y toucher. Le gouvernement a des pouvoirs qui sont les siens et ils sont très importants. Tout ceci n’a pas lieu d’être remis en cause. En revanche, on peut globalement faire fonctionner les choses de manière plus moderne et plus satisfaisante en rationalisant leur relation.

M.H.: En quoi le fonctionnement actuel est-il excessivement unilatéral ?

G.C. : A ce jour, il n’y a pas, par exemple, d’organisation de débats et de questions à l’initiative du conseil national. Or, pour un parlement, interroger le gouvernement, ce n’est pas l’agresser, ni le mettre en difficulté. C’est au contraire lui apporter un éclairage, alimenter une réflexion. Cet aspect-là est archaïque dans le système actuel. La structuration interne du conseil national est aussi aléatoire. Notamment pour l’opposition qui n’a pas suffisamment de place. Il ne s’agit pas d’inverser les rôles. L’opposition reste l’opposition, donc par définition la minorité. C’est à la majorité que revient le pouvoir de décision ultime. Il n’en demeure pas moins qu’il est quand même bon, et il y va de l’intérêt de tous, y compris de la majorité, que l’opposition puisse détenir des moyens, s’exprimer et avoir une marge d’initiative dans la détermination de l’ordre du jour. Bref, il faut créer un statut moderne de l’opposition. L’autre changement, plus subalterne mais très important, que j’ai préconisé, concerne l’organisation matérielle. Un parlement a besoin d’une organisation rationnelle, de moyens. Il ne s’agit pas de faire des dépenses somptuaires et d’aggraver lourdement le budget. Mais les parlementaires sont peu nombreux, ont beaucoup à faire et ont de surcroit des activités extérieures. Il faut qu’ils puissent être aidés.

M.H.: Par le recrutement d’attachés parlementaires, par exemple ?

G.C. : Oui. Dans l’idéal il serait bon d’avoir un assistant par parlementaire. C’est sans doute excessif dans la configuration monégasque. Mais se partager un assistant à deux ou à trois serait un progrès substantiel. Que chaque parlementaire puisse avoir un volume de travail disponible. Par exemple pour l’écriture de texte de lois.

M.H.: Dans votre rapport, vous plaidez également pour que chaque groupe parlementaire puisse choisir des sujets à débattre. De quelle manière ?

G.C : Il serait judicieux de mettre en place, périodiquement, des séances toutes les semaines ou tous les mois à la disposition des groupes. Et ce, à tour de rôle. Avec 6 mois de session par an minimum, cela veut dire que deux fois par an, chaque groupe, dont l’opposition, pourra demander une fois par session un débat dont elle aura elle-même déterminé le sujet. C’est sain. Les premiers bénéficiaires d’un tel fonctionnement seraient donc l’opposition. Car le groupe majoritaire par définition n’en a pas besoin. Il est légitime dans un parlement moderne que l’opposition puisse périodiquement provoquer un débat ou faire discuter le conseil national sur un sujet de son choix.

M.H.: Quelles sont justement les formes de dialogue qui pourraient être instaurées entre gouvernement et parlement ?

G.C. : Il y a plusieurs possibilités. La première est évidemment les questions d’actualités. Dans un gouvernement moderne ça doit impérativement exister. L’exécutif a besoin d’expliquer son action. Un parlement a besoin de l’interroger dessus. Cela devrait se faire automatiquement toutes les semaines. Et ces séances doivent être ouvertes au public. L’autre forme serait la mise en place de débats sur un sujet précis comme par exemple le financement du logement social, avec le conseiller compétent. Le troisième type de débat serait de pouvoir dialoguer avec un conseiller et débattre avec lui de toutes les questions qui touchent à son ministère.

M.H. : L’autre mesure phare du rapport concerne l’élection du président du conseil national prévue de manière annuelle dans la constitution. Dans le rapport, vous préconisez que celui-ci soit considéré comme automatiquement réélu. Sauf si un autre membre se porte lui même candidat et provoque un scrutin. Qu’est-ce qui est problématique dans le système actuel ?

G.C. : Je trouve en effet dommage que la constitution prévoit l’élection annuelle du président. Pour une raison simple. Lorsqu’un président est soumis à une élection annuelle, cela signifie qu’il est en permanence soumis à des pressions de la part de ses électeurs qui sont les parlementaires. Avec toujours cette menace implicite ou explicite, « si je n’obtiens pas satisfaction, à la prochaine rentrée, je voterai pour le concurrent ». Ce n’est pas sain. Le président est donc d’une certaine manière excessivement assujetti à ses électeurs et ne peut pas bien jouer son rôle. Ce que je préconise est donc la chose suivante?: s’il n’y a pas d’autre candidat, on ne procède pas à l’élection. Le président en poste sera considéré comme automatiquement réélu.

M.H : Pourquoi parlez vous de « subterfuge » dans votre rapport ?

G.C. : J’ai employé le mot subterfuge car à partir du moment où la constitution monégasque impose une élection annuelle, il faut inexorablement faire avec. Quand le système aura pris son rythme de croisière, la norme sera la reconduction tacite. En revanche, si un autre candidat se présente face au président en poste, c’est un mauvais point. Cela signifie que cette personne a considéré que le président n’a pas joué son rôle. Mine de rien, c’est encore un pouvoir donné à l’opposition.

M. H : L’assemblée compte aujourd’hui 24 élus. Concernant la composition des groupes politiques, que préconisez-vous ?

G.C. : Dans l’idéal, un groupe politique doit pouvoir se constituer avec 4 membres. Soit un sixième de l’assemblée. Il serait bon aussi de conférer des droits à tous les membres, à commencer par ceux de la minorité, ou des minorités si elles sont plusieurs. Notamment sur la répartition du temps de parole, ou sur les attachés parlementaires. Mais il y a une contrepartie à cela. Il faut accepter que ces groupes aient un minimum de substance politique et donc réunissent un minimum de personnes. C’est une manière aussi d’inciter les conseillers à se regrouper par affinités. A se fédérer plutôt que de faire cavalier seul.

M.H. : Et pour les parlementaires « électrons libres », qui veulent rester sans étiquette ?

G.C. : C’est aussi parfaitement leur droit. Ils ne perdent aucun pouvoir et aucun droit comme leurs collègues. Ce qu’ils perdent en revanche, c’est le bénéfice de l’appartenance à un groupe. Avec ce que ça implique notamment en terme de moyens matériels ou de priorité dans l’attribution du temps de parole.

M.H. : Il y a également la solution des « groupe de non inscrits » ?

G.C. : Effectivement. C’est un mécanisme très original qui a été mis en place en Espagne où des individus par exemple d’extrême droite et d’extrême gauche se sont fédérés dans un même groupe uniquement pour bénéficier de moyens matériels communs plus importants. C’est un système qui a plutôt bien marché. Les parlementaires n’avaient pas les mêmes idées politiques, mais bel et bien les mêmes problèmes matériels.

M.H. : Une loi sur le financement des campagnes électorales et sur la répartition du temps de parole est envisagée : avez-vous des préconisations ?

G.C. : Je viens d’un pays qui, en la matière, a la législation la plus avancée au monde. Elle est très rigoureuse, très réaliste et elle permet notamment à des gens qui n’ont pas un centime, de faire de la politique. D’ordinaire il faut se méfier du système français, mais il faut bien avouer que dans ce cas précis, c’est un domaine où la France peut être une bonne source d’inspiration. Il ne s’agit pas de faire la bataille de la minute près mais assurer un équilibre. Et en matière de financement, il est important de plafonner les dépenses, de clarifier l’origine de l’argent. Et rappeler aux citoyens que la démocratie a un coût. Le financement des campagnes électorales en fait partie.

M.H. : Justement en parlant de financement, combien coûterait la mise en place des préconisations citées dans votre rapport ?

G.C. : La seule partie réellement à budgéter serait le financement des attachés parlementaires. Et pour cela, il y a des méthodes éprouvées. Comme celle de l’ETP, l’équivalent temps plein (1). C’est assez facile à calculer. Les autres mesures globalement ne coûtent rien.

(1) « Chaque groupe ayant droit à un nombre donné d’ETP, il connaît le montant global des rémunérations qu’il peut verser, ensuite c’est à lui qu’il revient d’arbitrer, soit de recruter un collaborateur de haut niveau qui recevra plus qu’un ETP, soit au contraire de n’engager que des jeunes moins diplômés, percevant chacun moins d’un ETP », explique le rapport.