jeudi 25 avril 2024
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“Jeudi noir”
à Monaco Telecom

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Deux plans sociaux en l’espace de 48 heures : entre Monaco Telecom et Mecaplast, les salariés de Fontvieille vivent un automne des plus moroses.

 

C’était la même semaine, à quelques heures d’intervalle… Paris, le 22 octobre : le président François Hollande inaugurait à Paris le chantier de la Halle Freyssinet, destinée à accueillir l’incubateur de start-up de Xavier Niel. Le patron de Free et Iliad espère y accueillir près de 1 000 jeunes entreprises à partir de 2016. Le lendemain, ce n’était plus du tout la même chanson. Les salariés de Monaco Telecom recevaient un coup de bambou : à 9h du matin, la direction annonçait aux délégués du personnel le plan de restructuration décidé par le conseil d’administration de la société concessionnaire. A savoir un plan de départ volontaire pour 35 personnes. « Ouvert pendant 6 semaines jusqu’au 3 décembre 2014, il a été construit après discussion avec le gouvernement », détaille un communiqué. Parallèlement, un plan de recrutements de 18 postes est lancé sur « des métiers clés ». La logique ? Monaco Telecom dit vouloir affronter les défis fixés en 2015. Il s’agit alors de simplifier les départements et revoir les organigrammes, alléger certaines fonctions support, acquérir des expertises clés sur ses nouveaux métiers.

 

Du jamais vu

« C’est violent. Cette annonce a été ressentie comme un jeudi noir, raconte un représentant du personnel. On n’a jamais connu ça à Monaco Telecom… 35 personnes en CDI ne seront plus là au 15 décembre ! » Pour le personnel, cette annonce intervient 6 mois après le changement d’actionnaire majoritaire et le rachat de Xavier Niel. « Après l’enthousiasme de voir arriver l’innovateur patron de Free, on a vite déchanté. On est dans le flou depuis 6 mois et d’un coup, ça tombe !… » s’énerve un salarié. Avant d’ajouter : « Le calendrier de la négociation est tellement rapide… Il faut se décider avant le 24 novembre. Et s’il n’y a pas 35 volontaires, que va-t-il se passer ? Ils voudront faire partir les gens avant la fin de l’exercice fin décembre… »

 

Interrogations

Rue du Gabian, les interrogations sont d’autant plus prégnantes que la stratégie de l’entreprise reste floue. « Où va-t-on ? Un plan social d’accord mais pour faire quoi ? » s’étonne un représentant du personnel. Aucun plan stratégique à un an, deux ans ou trois ans n’a été dévoilé. Et pire, aucun état financier de la société. La direction maintient le suspense sur les changements de cap qui interviendront l’an prochain. « Les premières annonces de 2014 dessinent la concrétisation de ce plan : doublement du débit internet, triplement de la performance 4G et doublement de la qualité de couverture, renforcement de l’offre TV HD, lancement de la construction d’un nouveau Datacenter de plus de 200 baies, concrétisation du partenariat avec Apple. En 2015, des lancements successifs confirmeront et accentueront ces axes », se borne à indiquer le directeur général Martin Péronnet. On sait juste que « 70 % du budget d’investissement 2015 sont centrés sur l’innovation. Celle-ci couvre l’ensemble de nos domaines d’activité : internet, télévision, mobile, centre d’hébergement, plateforme cloud, connectivité internationale, services aux opérateurs. »

Vouloir « faire de Monaco une vitrine technologique au service de ses résidents », c’est bien mais est-ce vraiment suffisant ? La méfiance envers la direction semble s’installer. « On a désormais un nouvel actionnaire, une nouvelle stratégie. Est-ce qu’on aura une nouvelle équipe dirigeante dans un futur proche ? » glisse un salarié, qui comprend que l’on touche au “millefeuille” à partir du moment où l’on revoit l’ensemble de l’organigramme. « Sans compter que c’est cette direction qui a mis en place sous l’ère Cable & Wireless les fameuses strates hiérarchiques en trop qu’elle souhaite aujourd’hui supprimer… »

 

Un plan sous haute surveillance

Des questions que se posent également les conseillers nationaux, échaudés d’avoir appris le plan de restructuration dans la presse… Pour Thierry Poyet (HM), il y a avant tout un problème de méthode et de communication au niveau de la direction. « Pourquoi annoncer 35 départs sans indiquer d’objectifs de croissance précis ? N’est-ce pas un premier plan avant de s’attaquer aux intérimaires et CDD ? », s’interroge-t-il. Avant de se demander quels seront les prochains changements dans la structure. Sur le fond, l’élu, qui a travaillé à Monaco Telecom dans le passé, sait que la structure de l’entreprise a été alourdie avec le temps (même si elle a vu son résultat augmenter cette année). Certains managers ne piloteraient qu’une seule personne par exemple… « Le problème d’un plan de départs volontaires, c’est que souvent ce sont les meilleurs qui partent », ajoute l’élu.

Seule certitude : ce plan de restructuration sera placé sous haute surveillance. L’Etat monégasque, qui l’a validé, est toujours le deuxième actionnaire de cette société concessionnaire bénéficiant du monopole des télécoms. « Je veux bien qu’un actionnaire restructure la boite qu’il rachète et qu’il impulse sa vision mais il est logique que l’Etat concessionnaire mette le nez dans un tel plan social », estime Jean-Charles Allavena. L’assemblée doit d’ailleurs recevoir les délégués du personnel tout comme l’Union des syndicats. « Le conseil national reste très vigilant à ce que les personnels concernés soient traités le plus correctement possible. Il demande à la direction des Affaires sociales que le plan social soit un modèle comme cela a été le cas dans le cas de récentes restructurations industrielles. A notre place nous y veillerons », a déjà averti Laurent Nouvion.

 

Garanties

Les élus rappelleront certainement à la direction de Monaco Telecom que le cahier des charges, établi au moment des négociateurs avec les éventuels repreneurs à l’été 2013, incluait la préservation de l’emploi. « La volonté est de conserver de manière équivalente le nombre d’emplois présents chez Monaco Telecom. Il n’y a pas de plan social ou équivalent prévu », avait même affirmé Xavier Niel, en conférence de presse, lors de son rachat. C’était en mai dernier…

Les moments-clés

2014 : Xavier Niel rachète via sa holding NJJ Capital 55 % des parts de Monaco Telecom à Cable&Wireless Communications. L’Etat monégasque conserve les 45 % restants. Coût de la transaction : 321,7 millions d’euros.

2004 : L’opérateur anglais Cable & Wireless International rachète les parts de Vivendi Telecom International.

2001 : Vivendi Telecom International augmente ses parts et détient 55 % du capital de Monaco Telecom.

1999 : Vivendi Telecom International acquiert 51 % du capital de Monaco Telecom.

1997 : Privatisation de l’Office monégasque des téléphones qui devient la société anonyme monégasque Monaco Telecom.

1996 : La Principauté de Monaco se dote de son propre indicatif international, le 377.

1900 : Grâce aux conventions franco-monégasques, Monaco peut recevoir les communications des communes voisines.

1890 : Premières installations téléphoniques publiques en Principauté de Monaco.

 

Objectif : supprimer les “strates hiérarchiques”

 

Suite au “jeudi noir”, Martin Peronnet, directeur général de Monaco Telecom, explique le plan de restructuration et sa volonté de simplifier l’organigramme mis en place ces dernières années.

Martin-Peronnet-Monaco-Telecom@GOK

Monaco Hebdo : Depuis quand avez-vous décidé de mettre en place ce plan de 35 départs volontaires et l’embauche de 18 personnes ?
Martin Peronnet : Ce plan global a été décidé au conseil d’administration du 8 octobre, et discuté avec le gouvernement.

M.H. : Pourquoi n’avoir informé qu’au dernier moment les délégués du personnel ?
M.P. : Le conseil d’administration a pris sa décision le 8 octobre. Nous avons bâti la proposition de ce plan en discutant avec le gouvernement. Les délégués du personnel ont été informés dès que cela a été possible, en priorité et dans le respect des règles légales, le 23 octobre.

M.H. : S’accompagne-t-il d’un plan d’économies ? On parle de 5 millions d’euros. Certains services ont-ils vraiment connu des coupes budgétaires de 30 à 70 % ?
M.P. : Nous cherchons à gagner en efficacité et à concentrer nos efforts sur l’innovation et le service à nos clients. L’ensemble des dépenses est analysé au regard de ces objectifs. Ceci nous a conduit à réduire les coûts dans de nombreux domaines (frais de déplacement, communication, consulting, licences…) dans des proportions qui peuvent parfois atteindre 50 % des activités concernées. Notre objectif de réduction de nos coûts de fonctionnement est d’environ 1,5 million d’euros en 2015 pour absorber nos sur-investissements actuels sur le développement de l’innovation.

M.H. : Vous avez déclaré qu’il y avait « trop de strates hiérarchiques » et que Monaco Telecom n’avait plus besoin de services financiers. Le communiqué évoque quant à lui « une simplification des départements et revue des organigrammes, un allègement de certaines fonctions support, une acquisition d’expertises clés sur ses nouveaux métiers ». C’est donc dans les fonctions administratives et dans les cadres que vous souhaitez voir des départs volontaires ? Qu’en est-il des services commerciaux ? Techniques ? S’agit-il de tailler dans les gros salaires pour faire baisser la masse salariale ?
M.P. : Ce plan s’adresse à l’ensemble des salariés en CDI (hors fonctionnaires détachés). Il répond à une nécessité de transformation globale de l’entreprise afin de concentrer nos efforts sur nos enjeux technologiques et d’innovation pour nos clients.
D’autres facteurs expliquent ce besoin de changement organisationnel : un nouvel actionnariat non coté en bourse qui allège fortement nos procédures financières et un mode de fonctionnement plus agile qui exige de simplifier les organigrammes.

M.H. : Vous estimez que « les conditions de départs sont satisfaisantes ». S’agit-il bien de 1,5 mois de salaire moyen par année d’ancienneté, limité à 18 mois ?
M.P. : Ce plan prévoit une indemnité de départ équivalente à 1,5 mois de salaire par année d’ancienneté, avec un plafond d’indemnité fixé à 18 mois de salaire. Ainsi un collaborateur qui se porterait volontaire et qui aurait 12 ans d’ancienneté, partirait avec une indemnité équivalente à 18 mois de salaire. Par ailleurs le préavis sera payé mais non effectué (entre 1 à 3 mois). Il s’agit de 50 % de plus que les indemnités conventionnelles de Monaco Telecom, déjà très supérieures aux indemnités légales.

M.H. : Les délégués du personnel estiment que le timing de la négociation est trop court. Quel est votre avis ?
M.P. : Nous respectons complètement le cadre légal, notre concertation avec les délégués du personnel durera 1 mois. Des réunions régulières sont prévues.

M.H. : La situation des salariés de Monaco Telecom est complexe car c’est le premier plan de ce type. Comment savoir s’ils ont intérêt à partir de manière volontaire avec ces conditions financières ? Surtout s’ils seront licenciés dans l’hypothèse où il n’y ait pas 35 volontaires ?
M.P. : Nous avons voulu proposer cette opportunité de départs pour un certain nombre de collaborateurs qui pourraient avoir des projets personnels. Et je le répète : les conditions de départ proposées sont 50 % supérieures aux indemnités conventionnelles de Monaco Telecom.

M.H. : Seul le départ de 35 volontaires en CDI a été évoqué par la direction. Qu’en est-il des intérimaires et prestataires de longue durée ? On parle de 46 personnes en 2015 et 28 en 2016.
M.P. : Ces chiffres ne correspondent à aucune réalité. Il y a 28 intérimaires et prestataires à Monaco Telecom… Nous sommes bien entendu attentifs à l’ensemble des personnes qui travaillent pour Monaco Telecom. Un certain nombre de postes occupés par des intérim ou prestataires sont ouverts à recrutement et mobilité interne. La priorité sera donnée au reclassement ou à la mobilité des salariés en CDI.

M.H. : Depuis le changement d’actionnariat, est-il vrai qu’il y a déjà eu 4 licenciements ?
M.P. : La fermeture de notre département audit et contrôle interne, dont l’existence était directement liée aux exigences de société cotée de Cable&Wireless, nous a conduit à supprimer deux postes. Les 2 autres départs non volontaires ne sont absolument pas liés à notre changement d’actionnaire. Comme dans toute entreprise, il y a chaque année des mouvements. En parallèle, nous avons recruté 6 personnes.

M.H. : Pour beaucoup, il s’agit d’un “jeudi noir”. Vous comprenez l’inquiétude des salariés ? Comment pensez-vous les redynamiser derrière ?
M.P. : Il est naturel et compréhensible qu’une annonce de ce type génère de l’inquiétude, que je perçois et que nous efforçons d’accompagner au maximum. Cette inquiétude ne doit pas nous empêcher d’avancer. Le projet de l’entreprise est très exigeant, résolument tourné vers le futur et ses clients. C’est je pense la meilleure façon de focaliser les énergies. Seuls les opérateurs qui réussiront leur transformation s’imposeront dans un marché des télécoms en totale mutation.

M.H. : S’agissant du recrutement de 18 personnes, pour une expertise en “technologies IP, cœurs de réseau de nouvelle génération, développement d’applications open source et hébergement”, quel est le profil recherché ? Des ingénieurs ?
M.P. : L’ensemble des postes sont ouverts en interne, la majorité de façon exclusive, pour favoriser la mobilité interne. Nous avons beaucoup de succès dans ce domaine, notamment dernièrement dans le domaine du développement d’applications en open source. En ce qui concerne les expertises externes, nous cherchons avant tout des ingénieurs, ainsi qu’un ingénieur commercial.

M.H. : Quel est le profil de la masse salariale à Monaco Telecom ?
M.P. : Monaco Telecom emploie aujourd’hui 272 personnes pour une ancienneté moyenne de 11 ans et un âge moyen de 42 ans.