jeudi 28 mars 2024
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Jardins d’Apolline : la fin du tunnel ?

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Les résidents des Jardins d’Apolline, touchés par des dégâts des eaux à répétition, se sont fédérés en collectif pour se faire entendre. Le gouvernement est sorti de son silence et a accédé à presque toutes leurs demandes. L’attente commence, avec une fin des travaux estimée pour septembre 2017.

Ils ressortent confiants, mais restent vigilants. Reçus au ministère d’État jeudi 1er décembre, les représentants des résidents des quatre blocs des Jardins d’Apolline témoignent d’une certaine satisfaction. Ils ont enfin trouvé une oreille attentive en la personne du conseiller-ministre de gouvernement pour les Finances et l’Économie, Jean Castellini. Cela faisait des mois que c’était le silence radio du côté du gouvernement : il a fallu qu’ils se fédèrent en collectif et organisent une réunion publique pour que l’État sorte de son mutisme et prenne le temps d’un face-à-face avec les victimes de nombreux dégâts des eaux. Un rendez-vous jugé « très constructif » par le ministre, « dans un état d’esprit de bonne intelligence ». Sur les 240 logements de cette résidence flambant neuve sur la promenade Honoré-II, près de 60 foyers « ont rapidement été victimes de sinistres », explique Franck Lobono, l’un des habitants des Jardins d’Apolline, à l’initiative de ce collectif [1]. « Personne ne pouvait imaginer qu’il y avait un problème général dans les immeubles » livrés en 2013, défend ce riverain. C’est ce sur quoi cet habitant improvisé médiateur a voulu interpeller le gouvernement. Les premiers signes — infiltrations d’eau, problèmes d’humidité, fuites et inondations — « avaient été traités comme des sinistres indépendants les uns des autres par le syndic comme les services domaniaux, avec une gestion au cas par cas plus ou moins heureuse », raconte Franck Lobono. Des sinistres qui se sont aggravés, multipliés. « Ce qui nous a fait réagir à ce stade, c’est [la volonté de] faire prendre conscience au gouvernement que c’est une situation de crise ». « Il fallait considérer ça avec des moyens appropriés », soutient Franck Lobono. Qui dit situation de crise dit mesures de crise.

Interlocuteur unique

Au sortir de la réunion, Jean Castellini assure avoir pris conscience de l’ampleur des dégâts. Le conseiller tient « à témoigner de l’intérêt du gouvernement dans cette affaire », justifiant le manque de communication par l’absence d’informations fiables à donner. « L’État préférait être sûr de ce qu’il avance. Il assume ses responsabilité, assure-t-il. On donnera satisfaction, si ce n’est pas déjà fait. » Jean Castellini a d’ores et déjà annoncé « deux premières séries de mesures concrètes ». Première d’entre elles, la nomination d’une personne dédiée à la gestion de cette situation de crise « enfin reconnue par le gouvernement », se félicite le diplomatique Franck Lobono, autopropulsé porte-voix des résidents des Jardins d’Apolline. Alors qu’il plaidait pour la constitution d’une cellule interministérielle, l’État a préféré, par « soucis d’efficacité », nommer un interlocuteur unique. Élodie Boyer va officier à plein temps sur la gestion de ces sinistres en lien avec toutes les entités concernées [2]. « On demande que cette solution fasse ses preuves, à voir qu’elle ne soit pas débordée », nuance Franck Lobono. Selon le porte-parole du collectif, elle était déjà leur interlocuteur auprès de l’administration. « C’était madame sinistre des domaines. Elle prend la casquette de madame crise Apolline », s’amuse-t-il, tout en reconnaissant qu’il y a « un avant et un après ». « Elle n’était pas en situation confortable. Maintenant, tous les services de l’État sont mobilisés. L’avantage, c’est qu’elle connaît le dossier, et qu’elle ne va faire que ça. Elle travaille dans un climat conscient de la situation de crise, avec plus de moyens pour agir », loue-t-il. « Cette personne dédiée a ce pouvoir de demander des réponses à tous les départements concernés », confirme Jean Castellini.

Jardins d’Apolline Franck Lobono
Franck Lobono © Photo Monaco Hebdo.

Gratuité des loyers

Autre mesure phare, l’État « assume les désagréments des foyers concernés par les sinistres y compris de façon financière ». Les familles relogées pendant la durée des travaux bénéficieront de la gratuité du loyer de l’appartement temporairement mis à disposition comme de celui des Jardins d’Apolline. « Et ceux qui les ont payés seront remboursés », promet Jean Castellini. S’ajoutent des exemple plus complexes à gérer « au cas par cas ». Notamment si certains locataires sinistrés ne veulent être relogés et une de leurs pièces, jugée insalubre selon l’avis de la direction de l’action et de l’aide sociales, doit être condamnée pendant la durée des travaux, « on accorde la moitié de la gratuité du loyer », explique le conseiller de gouvernement. Ceux qui ont souscrit à des contrats habitation-capitalisation (CHC), comme c’est le cas de Franck Lobono, « s’ils sont victimes de ces désagréments, ils bénéficieront du report des échéances de paiement pendant la durée des travaux », certifie Jean Castellini, même s’il estime que ça ne concerne pas beaucoup de personnes. « Ce sont des mesures emblématiques et importantes », relève-t-il. L’action gouvernementale ne se limite pas à la seule prise en charge financière. Certains appartements, eux-mêmes aux Jardins d’Apolline, pourraient être mis à disposition pour des relogements temporaires. Le conseiller de gouvernement garantit que les appartements « tampon » disponibles ailleurs satisfont la demande. Une seule question n’a pas été tranchée : si les appartements de substitution seront meublés. En revanche, « toute l’attention nécessaire sera portée sur les services » : assister les locataires dans leurs démarches du quotidien, notamment sur la téléphonie, la télévision et internet, et, si possible, accélérer les procédures.

Temps d’attente

Grâce à toutes ces mesures positives — « une avancée ! » se félicite Franck Lobono, le gouvernement répond à la plupart des demandes formulées par le collectif des résidents. Surtout qu’il n’a pas attendu pour s’atteler à reloger tous les foyers qui le souhaitaient. « Un déménagement volontaire, c’est galère, un déménagement subi, c’est une épreuve ! », acquiesce celui à la tête de l’association des résidents qui doit bientôt se constituer (lire ci-contre). Reste maintenant à engager les réparations. « Toute une vague d’interventions est envisagée d’ici trois mois », précise Jean Castellini, qui mentionne des « opérations plus chirurgicales sur les canalisations ». Si Franck Lobono assure faire confiance, il sera vigilant. « Les hésitations ont conduit à une mauvaise gestion de la situation. L’État ne sait toujours pas dire quelle est la cause du problème », déplore le porte-parole des Jardins d’Apolline. S’il ne fait pas partie du quart de foyers touchés, lui aussi est « dans le doute » et, comme la totalité des appartements de la résidence, le sien sera traité. L’heure est à l’attente : les travaux devraient durer entre quatre et six mois. « Il faut accepter son destin. On va tous devoir passer par là », philosophe Lobono. « L’urgence est de gérer en priorité les appartements des sinistrés dans les meilleures conditions. La seconde urgence est l’anticipation de l’évolution du problème en l’éradiquant dans les appartements sains », hiérarchise le médiateur. Car si beaucoup de logements ne présentent pas de « dégâts apparents » et donc pour lesquels l’intervention semble moins pressée, leurs occupants « sont dans l’incertitude ». « Aujourd’hui, dans les têtes, il faut intervenir avant que ça pète. Et cette action préventive est urgente », estime Franck Lobono.

Cause inconnue

L’État prend tout en charge, des travaux au nettoyage des dégâts subis sur le mobilier comme l’immobilier à la compensation financière sur les embellissements effectués. « C’est légitime », estime Lobono. Surtout que la réelle cause des sinistres est encore inconnue. À demi-mot, on évoque « la conjonction de faits cumulés ». Une réponse laconique loin de contenter les résidents. « Aujourd’hui, ce qui serait satisfaisant, c’est de connaître la vraie cause du problème pour mieux éliminer tout risque par la suite », confirme Franck Lobono, qui exprime son inquiétude. À défaut de cause, le gouvernement s’est semble-t-il décidé sur une solution adaptée : l’utilisation d’une substance pour rendre étanches les canalisations, une technique moins invasive que leur remplacement. « Si c’est du chemisage, l’injection d’une résine dans les tuyaux d’alimentation en eau, c’est une très bonne nouvelle car ce n’est pas destructeur, mais propre et rapide. Pas de casse, pas de relogement », se félicite Lobono. Dans trois mois, cette solution sera mise en place, et ne devrait pas nécessiter plusieurs interventions par appartement. « Sur les délais, on fait confiance aux services techniques. Ils n’ont aucun intérêt à aller vers de mauvaises solutions ou à faire durer les travaux. État et résidents sont dans le même bateau », pense celui qui s’attèle à maintenir le dialogue entre des dizaines de résidents excédés et les rouages administratifs. « L’objectif est que les solutions retenues soient pérennes », confirme le conseiller-ministre de l’Intérieur, Patrice Cellario. Il s’est d’ailleurs engagé à associer les habitants dans toutes les prises de décisions comme à les tenir informés. « Ils sont passés à côté de façons de faire, déplore Franck Lobono. Ne serait-ce que pour dire qu’ils manquaient d’information. Pendant ce temps, toutes les rumeurs ont couru (lire par ailleurs). »

« Vice caché »

Sur le plan général, ces sinistres sont « un vrai vice caché ». Pour Franck Lobono, « l’État est également victime ». Ce dernier ne veut pourtant pas reconnaître d’éventuelles négligences de la part du promoteur. « Nous n’avons rien relevé d’anormal. Nous n’avons pas de preuves de manquement au cahier des charges. Si des responsabilités sont avérées sur des malfaçons, nous verrons les responsabilités à prendre. » Pour l’instant, le conseiller pour les Finances et l’Économie ne s’estime pas floué, et les normes semblent avoir été respectées. Comme si des sinistres dans 25 % des appartements d’un ensemble de moins de 3 ans, qui a coûté plus de 80 millions d’euros hors taxes, étaient des choses qui arrivaient. Jean Castellini parle de « problème d’interaction » entre les tuyaux et la structure. Si l’on prend les deux indépendamment, « les matériaux sont de qualité en tant que tels ». Ce serait leur comptabilité à mettre en cause. Une explication qui ne convainc ni ne satisfait personne. « Dans un immeuble neuf, c’est choquant ! », confirme Franck Lobono. L’absence de cause reste « une source d’angoisse, un stress quotidien » pour les dizaines de foyers de la promenade Honoré-II, même ceux qui ne présentent pas de dégâts apparents. C’est « ce caractère émotionnel qu’on avait peut-être traité de manière trop administrative », reconnaît Castellini. Surtout que les demandes de relogement définitif, comme proposées par le gouvernement, seraient rares. « La majorité est attachée aux Jardins d’Apolline », confirme Franck Lobono. « On a suggéré [cette possibilité] que pour certains cas dans lesquels les résidents trouveraient leur compte. » L’homme est réaliste : « On ne peut pas se loger dans le privé. Le domanial est la réponse du gouvernement pour un équilibre et la paix sociale. » Et de relativiser, malgré tous les tracas : « Il y a pire, comme quartier ! »

 

1. Pour contacter le collectif des résidents des Jardins d’Apolline : jardinsdapolline@gmail.com.
2. Une adresse mail à spécialement été créée : ddajap@gouv.mc.

 

D’un groupe Facebook à une association

À l’origine, il y a un groupe Facebook, animé par Céline Lubert. Comme internet sait si bien le faire, ce forum de doléances numériques devient la foire d’empoigne. « Les gens se lâchent, le ton est très exagéré ou dramatique. Avec Céline, on s’est rapproché pour monter une réunion d’information », se rappelle Franck Lobono. Et lutter contre toutes les rumeurs qui circulent : certains prétendent qu’on va tout casser pour changer les canalisations, voire carrément raser les immeubles. Bien sûr « que l’inquiétude touche tout le monde », acquiesce Lobono. Il estime qu’une réunion d’information « permettrait de recentrer les débats et de regrouper les résidents » des Jardins d’Apolline. Et qu’enfin, les gens se rencontrent et se parlent — ce qui manquait depuis les premières déclarations de dégâts des eaux. Le 23 novembre, le gouvernement envoie deux émissaires des travaux publics à la réunion. « Nous avons enfin obtenu des informations », raconte Franck Lobono. Sa démarche médiatrice a payé. Des mesures sont mises en place. Même s’il reconnaît que « des habitants avaient déjà fait l’objet de relogements ». Il l’assure, aujourd’hui, le gouvernement considère enfin ces sinistres comme une problématique majeure et générale. Il était temps, clame celui qui n’aime pas les injustices. « Je pense que l’État et les services concernés s’enlisaient à ne pas communiquer », estime-t-il. « Je n’ai pas envie que tout et n’importe quoi se raconte. Quand quelqu’un chose ne va pas, j’essaye d’être positif et de mettre les gens autour d’une table pour trouver une solution. C’est mon tempérament », développe Lobono, qui se décrit comme quelqu’un de « mesuré et raisonnable. Mon état d’esprit, c’est pas d’excès dans un sens ou l’autre. » Dans un communiqué du 29 novembre, soit deux jours avant d’être reçus par Jean Castellini, le collectif exprimait ses revendications en 12 points. « Globalement, toutes les mesures annoncées par le gouvernement sont satisfaisantes et ont bien été accueillies », se félicite Franck Lobono, même s’il déplore que « l’État ait investi dans des réparations qui ne sont pas pérennes ». Pourtant, malgré les engagements financiers de l’État, tous les problèmes ne sont pas résolus. « Les risques sanitaires ont été éliminés. C’est une bonne nouvelle ». Il faudra en revanche attendre la fin des travaux pour être sûr que l’eau ne s’infiltre plus. Le résident entend, avec Céline Lubert, se constituer en association des résidents. « Une légitimité statutaire » pour répondre au « besoin de continuer à dialoguer avec le gouvernement ». La future association sera l’interlocuteur officiel des services de l’État, à la veille de la réunion publique prévue le mardi 13 décembre à 19h.