Alors qu’avec Internet la diffusion et l’accès à la pornographie n’ont jamais semblé aussi simples, la question de la protection des enfants reste une question épineuse. La directrice de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, Isabelle Bonnal, a répondu aux questions de Monaco Hebdo.
Selon un sondage Opinionway réalisé pour 20 Minutes, à 12 ans, près d’un enfant sur trois a déjà été exposé à la pornographie et 62 % des moins de 15 ans ont vu de la pornographie : que vous inspire ce constat ?
Ce constat n’est malheureusement pas nouveau, et confirme ce qui est observé depuis plusieurs années maintenant. Ce qui est le plus préoccupant, c’est l’impact psychologique que l’exposition à des contenus pornographiques peut avoir sur les jeunes. Une étude réalisée par l’IFOP la même année que le sondage que vous évoquez, relevait que 44 % des jeunes ayant des rapports sexuels déclaraient reproduire des pratiques qu’ils avaient vues dans des vidéos pornographiques. Il est nécessaire que les pouvoirs publics accompagnent les familles sur l’éducation de nos jeunes concernant la pornographie.
L’impact de la pornographie sur le développement psychologique des élèves est très discuté par les experts : quelle est votre position ?
Il appartiendrait davantage aux pédopsychiatres de se prononcer sur ce sujet. La littérature scientifique et les retours des thérapeutes corroborent les résultats des sondages. La première rapporte qu’en dessous de 12 ans, l’enfant n’a absolument pas les outils pour recevoir des images pornographiques. Il n’a encore élaboré aucune représentation de la sexualité. Ces images arrivent ainsi sur un terrain vierge, et ne peuvent que faire violemment effraction dans son psychisme. De plus, la pornographie montre une sexualité qui n’est pas une relation entre deux personnes, mais plutôt l’utilisation de l’une, comme un simple objet, par une autre, au service de son propre et unique plaisir. Le plus souvent, c’est la femme qui est « objectivée », l’homme étant pris dans des injonctions de performance. Ces deux aspects sont également évalués dans l’étude d’Opinionway de 2018 : 68 % des sondés pensent que la pornographie contribue à véhiculer les stéréotypes sexistes, et 26 % se sont déclarés complexés par ces images.
« La pornographie montre une sexualité qui n’est pas une relation entre deux personnes, mais plutôt l’utilisation de l’une, comme un simple objet, par une autre, au service de son propre et unique plaisir. Le plus souvent, c’est la femme qui est « objectivée », l’homme étant pris dans des injonctions de performance »
Que faut-il en conclure ?
L’enfance et l’adolescence sont des périodes de la vie où chacun entre petit à petit dans la vie d’adulte. Il faut protéger notre jeunesse de ce qui pourrait les agresser ou les choquer, tout en maintenant un dialogue constant avec elle, afin de comprendre la perception qu’elle peut avoir de la pornographie, et insister avec le peu de rapport que cette dernière entretient avec la sexualité réelle.
Peut-on vraiment contrôler la diffusion de contenus pornographiques dans le milieu scolaire ?
L’interdiction des téléphones portables dans les établissements scolaires est une partie de la réponse institutionnelle. De plus, les ordinateurs dont sont dotés les élèves dans le cadre des programmes de collège et de lycée numériques sont sécurisés, avec une navigation web très encadrée et contrôlée, qui interdit tout accès aux sites pour adultes, notamment sexe et jeux d’argent, que les élèves se trouvent dans l’établissement scolaire ou à la maison.
Et à la maison ?
À la maison, il revient aux parents d’être attentifs aux usages numériques de leur enfant. Un contrôle parental peut être mis en place depuis leur box Internet pour limiter l’accès aux contenus pornographiques depuis les ordinateurs domestiques, les tablettes numériques, ou le poste de télévision.
L’industrie pornographique doit agir, aussi ?
Il appartient également à l’industrie pornographique de tout mettre en œuvre techniquement pour empêcher aux mineurs l’accès aux sites réservés aux adultes.
Obligatoire depuis 2001 en France, l’éducation à la sexualité dans les écoles l’est-elle aussi à Monaco ?
La principauté suit les programmes français, conformément aux accords entre la France et Monaco. À ce titre, l’éducation à la sexualité est également obligatoire à Monaco. Elle est mise en œuvre dans nos établissements scolaires, notamment dans les cours de sciences de la vie et de la Terre (SVT) dans le second degré, mais également par les professeurs des écoles dans le primaire.
Sur quoi repose l’éducation à la sexualité ?
L’éducation à la sexualité repose sur trois grands champs : la biologie, l’aspect psycho-émotionnel et le cadre juridique et social. Le champ biologique couvre tout ce qui concerne l’anatomie, la physiologie, la contraception… Le champ psycho-émotionnel porte sur le respect, l’estime de soi, la relation aux autres, l’orientation sexuelle… C’est cet ensemble qui permet d’éduquer les élèves, et de leur permettre d’adopter un comportement responsable. Les questions sur la puberté sont ainsi abordées en cycle 3, du CM1 à la Sixième. Celles relatives à la reproduction de la Cinquième à la Seconde. Tous ces temps de classe, qui abordent les questions biologiques et physiologiques, sont également des moments d’échanges sur la sexualité. Des activités éducatives, complémentaires des enseignements, qui abordent les questions relatives à la sexualité sont aussi mises en place auprès des élèves.
Et au lycée ?
Au lycée, il existe depuis de nombreuses années des sessions de prévention des infections sexuellement transmissibles, notamment les « déjeuners branchés » avec l’association Fight Aids Monaco, ou les « après-midi du zapping », qui permettent le développement d’un dialogue, sans jugement, autour de la sexualité et des comportements à risque.
Vous travaillez aussi avec des associations ?
Avec l’association Action Innocence [lire l’interview d’Action Innocence publiée dans ce dossier spécial — NDLR], nous proposerons ainsi cette année à tous les élèves de 4ème une intervention sur Internet et la pornographie, ainsi qu’un travail de réflexion à tous les élèves de Seconde sur les pratiques responsables à adopter par rapport à son image sur Internet : hypersexualisation, “revenge porn” [pornodivulgation — NDLR]…
« Il faut protéger notre jeunesse de ce qui pourrait les agresser ou les choquer, tout en maintenant un dialogue constant avec elle, afin de comprendre la perception qu’elle peut avoir de la pornographie, et insister avec le peu de rapport que cette dernière entretient avec la sexualité réelle »
Il y a aussi les questions d’ordre juridiques et sociales ?
Les aspects juridiques et sociaux ne sont pas oubliés avec l’égalité filles-garçons, priorité de cette année scolaire [à ce sujet, lire l’interview d’Isabelle Bonnal : Rentrée 2022 « Cette année sera d’abord placée sous le signe de l’innovation », publiée dans Monaco Hebdo n° 1255 — NDLR], la notion de consentement, la prévention des violences sexuelles et sexistes. Dès la rentrée 2021, a été initiée la mise en place de formations sur l’égalité filles-garçons, auxquelles plus de soixante professeurs ont déjà participé. Ces formations se poursuivront cette année.
Les professeurs sont aussi préparés à aborder ce type de questions ?
Au cœur de la formation des professeurs de SVT, se trouve la préparation à l’accueil des interrogations des élèves sur le sujet de la sexualité. Par leur connaissance du caractère de leurs élèves, ils peuvent donc aborder, avec tact et subtilité, les questionnements et les représentations des élèves.
Quel rôle peut jouer le personnel de santé scolaire ?
Les infirmières et infirmiers, ainsi que les psychologues scolaires, sont également des interlocuteurs privilégiés. La principauté a fait le choix de disposer de ces personnels dans chaque établissement scolaire, ce qui ouvre un espace et un temps de dialogue possible important avec les élèves. C’est un atout dans la prévention des comportements à risque, notamment en matière sexuelle.
Comment compléter son information ?
Plus globalement, la France et le Canada alimentent des sites Internet (1) destinés à communiquer en direction des jeunes et des familles sur la pornographie, avec des réponses claires aux questions, ainsi que des outils permettant d’ouvrir le dialogue avec les mineurs. Nous pouvons tous nous y référer, pour engager la méthode adaptée à nos enfants pour aborder ce sujet.
L’éducation à la sexualité est-elle un outil efficace face aux contenus pornographiques, qui peuvent parfois véhiculer des contre-vérités et des stéréotypes ?
L’éducation à la sexualité est d’abord essentielle. Elle donne aux élèves des informations objectives et des connaissances scientifiques. Elle leur permet d’identifier les différentes dimensions de la sexualité : biologique, affective, culturelle, éthique, sociale, juridique. Elle favorise l’adoption par les jeunes de comportements sexuels responsables. Enfin, elle leur diffuse des ressources spécifiques d’information, d’aide et de soutien dans et à l’extérieur de l’établissement. C’est cette démarche globale qui est gage d’efficacité.
Seriez-vous favorable à un renforcement de l’arsenal législatif, notamment pour améliorer le contrôle parental sur les moyens d’accès à Internet, et faciliter ainsi l’installation du contrôle parental sur les smartphones, les tablettes et les ordinateurs utilisés par les élèves ?
Tout ce qui permet de limiter l’exposition des enfants et des adolescents aux contenus pornographiques est intéressant à étudier. La loi n°1 344 du 26 décembre 2007 relative au renforcement de la répression des crimes et délits contre l’enfant, dispose que le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer, de produire, de se procurer, ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur, lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique, est puni d’un emprisonnement de trois à cinq ans et d’une amende pouvant aller jusqu’à 18 000 euros. La législation monégasque est donc déjà très claire et rigoureuse sur le sujet.
« L’éducation sexuelle permet aux enfants d’identifier les différentes dimensions de la sexualité : biologique, affective, culturelle, éthique, sociale, juridique. Elle favorise l’adoption par les jeunes de comportements sexuels responsables »
De son côté, la France a décidé d’agir ?
Le 5 septembre 2022, la France a publié un décret imposant aux fabricants de smartphones d’installer un dispositif de contrôle parental sur les appareils connectés à Internet facilement accessible et compréhensible. L’étude d’impact relevait que seulement 46 % des parents avaient déclaré avoir déjà installé un système de contrôle parental. Il sera intéressant de suivre les étapes de l’entrée en vigueur du décret français, pour en mesurer les impacts.
Les logiciels de contrôle parental, souvent partiellement efficaces, peuvent-ils vraiment remplacer le dialogue ?
Il ne faut sans doute pas opposer les deux. Les parents ont besoin d’outils techniques pour les aider à réguler les pratiques de leurs enfants. En parallèle, il est important qu’il y ait toujours un dialogue régulier entre enfants et parents, dans le respect de l’intimité de chacun, mais en laissant la possibilité à chaque jeune de pouvoir exprimer ses questionnements.
1) La France a lancé le site Internet : https://jeprotegemonenfant.gouv.fr. De son côté, le Canada propose le site suivant : https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/violences et aussi https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-001010/.