jeudi 25 avril 2024
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Edgard Enrici :
« On est prêt à tenir dans la durée »

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La propreté de l’espace public est l’un des enjeux de cette épidémie de Covid-19.

L’administrateur et directeur général de la Société Monégasque d’Assainissement (SMA), Edgard Enrici, explique à Monaco Hebdo comment son entreprise s’est adaptée pour faire face.

Alors que l’on ne s’est sans doute jamais autant lavé les mains, qu’en est-il de nos rues ? A l’heure où les scientifiques estiment qu’un risque de contamination existe si on touche une surface qui a été en contact avec un malade infecté par le Covid-19, il a été décidé de ne rien laisser au hasard. Voilà pourquoi, dans le sillage de beaucoup de municipalités françaises, la Société Monégasque d’Assainissement (SMA) s’est lancée depuis le 23 mars 2020 dans une grande opération de traitement des trottoirs, des quais de la gare, des ascenseurs et des rampes de la principauté. « Il est important que nous engagions toutes nos équipes et tous nos moyens pour réduire le risque de contamination des Monégasques, résidents et salariés. Cette action supplémentaire doit y participer. Je remercie la direction de la SMA et ses équipes pour leur mobilisation et leur réactivité », a indiqué Marie-Pierre Gramaglia, conseillère de gouvernement-ministre de l’équipement, de l’environnement et de l’urbanisme, dans un communiqué également diffusé le 23 mars. Un bactéricide biodégradable « à la senteur de pin des Landes » est utilisé. Pour les trottoirs, « un lancier accompagne la grosse arroseuse d’une capacité de 8 000 litres et trois lanciers circulent sur des petits engins équipés de cuve et d’une lance », décrit ce même communiqué, tout en indiquant que cette opération de nettoyage supplémentaire va mobiliser « une trentaine » d’agents de la SMA, de 5 heures du matin à 19 heures, 7 jours sur 7.

Effectifs

Du côté de la SMA, les effectifs ont néanmoins été revus à la baisse. L’usine de traitement et de valorisation des déchets affiche 30 salariés sur 34 présents, car, dans cette structure « tous les postes sont indispensables », explique l’administrateur et directeur général de la SMA, Edgard Enrici. D’habitude 40 salariés travaillent à la collecte des déchets. Ils sont désormais 30 à évoluer dans les rues de la principauté. « La collecte du soir se déroule en effectifs complets, avec 20 personnes. Comme tout, ou presque, est fermé, notamment les restaurants, un transfert s’opère entre les déchets de la journée et ceux du soir, dans la mesure où les gens sont confinés chez eux », ajoute Edgard Enrici. En tout cas, le tonnage de déchets n’a pas augmenté, dans la mesure où beaucoup de commerces et d’entreprises, qui sont de gros générateurs de déchets, sont actuellement fermés. Le tri sélectif se poursuit, tant que les sites d’accueil à l’extérieur de la principauté sont ouverts. Le verre, le papier, les emballages recyclables ou le carton, continuent d’être triés et valorisés. Quant au nettoyage, en temps normal, 110 salariés travaillent de 5 heures du matin à 19 heures pour assurer cette tâche. « Nous sommes descendus à 20 personnes. Puis, le 23 mars 2020, nous sommes remontés à 31 salariés, car nous avons donc mis en place une désinfection des rues à cette date-là. Cette désinfection est faite mécaniquement le matin, et manuellement chaque après-midi pour les ascenseurs, les mains courantes et les galeries publiques. » Quant à la baisse des effectifs de 110 à une trentaine de personnes, Edgar Enrici la justifie ainsi : « Si demain nous avions une contamination importante, si on n’a plus assez de salariés, je ne vois pas comment on peut continuer à faire le travail de nettoiement à Monaco. Nous avons donc réduit nos effectifs pour protéger nos salariés, et pour avoir, si nécessaire, des personnes aptes pour assurer des remplacements, en cas de souci. »

© Photo DR

« Il reste encore quelques immeubles anciens qui ne permettent pas d’avoir des bacs, comme l’exige la réglementation à Monaco depuis 2018. Là, les quelques sacs que l’on trouve en bordure de voirie sont heureusement des sacs fermés » Edgard Enrici. Administrateur et directeur général de la SMA

Inquiétude

En tout cas, à Monaco, coronavirus ou pas, les règles de collecte n’ont pas changé. « Nos tournées sont toujours les mêmes, assure Edgar Enrici. On a toujours autant besoin de chauffeurs poids lourds que de ripeurs, c’est-à-dire ceux qui chargent les ordures ménagères dans la benne du camion. Rien n’a changé. A l’exception de quelques tournées que nous avons stoppées, car il n’y a plus rien à collecter. » Chez les salariés, il y a forcément un peu d’inquiétude, comme dans beaucoup de secteurs d’activités mobilisés sur le front, alors que l’épidémie de Covid-19 s’étend. Pour rassurer et rester rationnel, l’administrateur et directeur général de la SMA conseille à ses salariés de prendre leur température le matin et le soir. « Nous avons équipé nos salariés de masques qu’on leur donne à chaque prise de service. Ces masques FFP2 ont une durée de vie maximale de 8 heures. On leur donne aussi deux paires de gants en nitrile. Il s’agit de gants très souples. Enfin, pour éviter de se contaminer entre eux, les salariés ne se changent plus dans les vestiaires : on leur demande de venir habillés avec leur tenue SMA. Et le soir, ils repartent avec. » En France, les éboueurs se retrouvent aussi en première ligne face à l’épidémie de Covid-19 et certains ont d’ailleurs été contaminés. S’ils poursuivent leur mission de service public, certains ont pointé du doigt des conditions de travail difficiles, avec le manque de masques notamment. Mais aussi des risques : certains sacs ne seraient pas toujours fermés correctement, ce qui les expose potentiellement à des contacts avec les déchets de malades, confinés à leur domicile. A Monaco, ce problème est peu fréquent, assure Edgard Enrici : « En principauté, la quasi-totalité des collectes se fait dans des bacs qu’on accroche à la benne du camion, qu’on vide et qu’on remet en place. Il reste encore quelques immeubles anciens qui ne permettent pas d’avoir des bacs, comme l’exige la réglementation à Monaco depuis 2018. Là, les quelques sacs que l’on trouve en bordure de voirie sont heureusement des sacs fermés. »

Transmission

Faut-il craindre un risque de contamination par les déchets, comme le redoutent certains ? Plusieurs études ont tenté d’estimer la durée de vie du Covid-19 sur différentes surfaces, et les résultats sont complexes à appréhender. Les deux études les plus fiables à ce jour (1) montrent que c’est sur le plastique et l’acier que le maintien de l’infectiosité du virus est la plus longue, avec une durée maximale estimée entre 2 et 6 jours. Sur le verre ou le céramique, la durée de persistance de ce virus est de 5 jours, sur l’acier inoxydable elle est de 3 à 5 jours, sur le carton ou le papier d’un jour, sur l’aluminium elle est de 2 à 8 heures et sur le cuivre, de 4 heures. Mais attention : à ce jour, les chercheurs soulignent que la transmission de ce virus aux personnes qui toucheraient ces surfaces infectées n’est pas clairement et définitivement démontrée, par manque de données. On ignore notamment la dose nécessaire pour contaminer une personne. Seule certitude, et donc, seule attitude préventive sur laquelle miser : continuer à se laver régulièrement les mains, qui restent le principal vecteur de la transmission du Covid-19. Et surtout, ne pas porter ses mains à la bouche. Face à ce constat et à ces incertitudes, Edgar Enrici préfère rester prudent : « En plus d’un masque, les ripeurs ont des gants en nitrile avec, au-dessus, un gant de travail un peu plus épais. Dans ces conditions, il n’y aurait donc aucun risque de contamination par les déchets. Ou alors, il faudrait vraiment un mauvais concours de circonstances… » La distribution des masques a débuté le 22 mars et, pour le moment, les stocks sont suffisants, assure le directeur général de la SMA. Dans l’usine de traitement des déchets, seul celui que l’on appelle le « peseur » est équipé d’un masque et de gants. En effet, c’est lui qui accueille le public qui vient déposer ses déchets de 10 heures à 17 heures. « Mais les 120 personnes qui venaient chaque jour ont été divisées par 10, reprend Edgard Enrici. Le peseur est donc protégé, car il est en contact avec le public ». Autre sujet épineux : la gestion des déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri), issus notamment des infirmiers libéraux. Le directeur général de la SMA indique que son entreprise en collecte toujours, « mais de moins en moins » car, « par exemple, tous les cabinets de dentistes sont fermés » (2). Et cela ne l’inquiète pas vraiment, car « les Dasri sont placés dans de petits containers jaunes qui sont fermés ». Au final, avec moins de circulation dans les rues, il y a mécaniquement moins de saletés à éliminer pour la SMA, qui souhaite finalement que rien ne soit modifié dans les habitudes des uns et des autres : « On invite les gens à sortir leurs déchets comme d’habitude, à 18h30, ça ne change pas. On demande donc à la population de garder les mêmes réflexes qu’en temps normal. » Et si le confinement s’étend pendant plusieurs semaines encore ? Cela n’inquiète pas vraiment Edgard Enrici : « On est prêt à tenir dans la durée. »

1) Les deux principales études scientifiques sur ce sujet ont été publiées dans le Journal of Hospital Infection, le 6 février 2020, et dans le New England Journal of Medicine, le 17 mars 2020.

2) Si à Monaco les cabinets de dentistes sont fermés, ils restent néanmoins disponibles par téléphone ou par e-mail pour assurer des téléconsultations. En cas d’urgence, il faut contacter son chirurgien-dentiste qui orientera ensuite, si nécessaire, vers l’un des cabinets dentaires de la principauté pour une consultation (à ce sujet, lire nos pages Essentiels dans ce numéro).

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