vendredi 19 avril 2024
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Alexandre Bubbio : « Malgré 19 décès en cinq mois, le Covid ne fait plus peur »

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Dans son Observatoire des impacts de la crise sanitaire liée au Covid-19, l’Institut monégasque de la statistique et des études économiques (IMSEE) dresse un bilan de deux années sous Covid à Monaco. Son directeur, Alexandre Bubbio, détaille les chiffres les plus frappants de cette étude. Interview.

Après deux ans de pandémie de Covid-19, quels sont les chiffres de cette étude qui vous ont le plus marqué ?

Ce n’est pas un chiffre particulier qui m’a marqué. Ce qui m’a le plus marqué, c’est l’évolution des vagues de contaminations. On a eu une première vague qui a provoqué des mesures sanitaires importantes, avec des fermetures, et des confinements. On voit maintenant que l’on a des vagues successives. Nous en sommes d’ailleurs à la 7ème [cette interview a été réalisée le 14 juillet 2022 — NDLR]. Malgré cela, même si on a des taux d’incidence beaucoup plus élevés qu’il y a deux ans, puisqu’on était alors à environ 200 contre 1 000 aujourd’hui, on note une décorrélation entre le nombre de personnes hospitalisées et ces vagues de Covid. Avant, nous avions énormément d’hospitalisations. Des précautions ont été prises pour éviter de saturer les services de santé de la principauté. Et on s’aperçoit aujourd’hui qu’avec des taux d’incidence cinq ou six fois plus élevés qu’en mars 2020, on enregistre beaucoup moins d’hospitalisations. Donc, même si cette pandémie est toujours présente, elle a évolué. Ce n’est plus la même pandémie qu’en 2020.

Entre 2020 et 2022, ce qui a changé, c’est la mise à disposition du vaccin ?

J’aimerais pouvoir dire « oui », et être sûr que c’est l’effet du vaccin qui explique ces chiffres. Mais je ne suis pas médecin. Il faut aussi prendre en considération les différentes mutations du virus. Le vaccin a sans doute pleinement joué son rôle. En 2020, il y a eu 875 cas de Covid-19 pour 81 hospitalisations. Au 31 mai 2022, on était à 7 049 cas et 197 hospitalisations. En 2020, environ une personne sur dix était hospitalisée. Aujourd’hui, les ratios ne sont plus du tout les mêmes. Pour moi, les chiffres les plus importants sont là. Le coronavirus est toujours là, mais ce n’est plus la même pandémie qu’en 2020. Même si, malheureusement, il y a toujours des décès. Donc il ne faut pas baisser les bras. Il faut continuer à prendre des mesures sanitaires et à faire attention, notamment en portant un masque en intérieur, dans les lieux ouverts au public.

Au total, entre mars 2020 et le 31 mai 2022, 12 216 personnes ont été touchées par le Covid, soit presque un tiers de la population de Monaco ?

En deux ans, près de 30 % de la population qui réside à Monaco a été contaminée par le virus du Covid-19. C’est énorme. Il y a eu 755 recontaminations, alors qu’il y a six mois, nous étions presque à zéro. C’est une nouveauté : ces nouvelles souches de Covid entraînent des recontaminations. Ce qui n’était pas le cas auparavant.

Entre mars 2020 et le 31 mai 2022, on constate aussi que l’âge moyen des personnes contaminées baisse ?

C’est exact. Nous sommes passés de plus de 46 ans d’âge moyen pour les personnes contaminées, à moins de 39,7 ans pour 2021, et à 39,4 ans en 2022. Aujourd’hui, la moyenne d’âge d’une personne touchée par le Covid-19, c’est la quarantaine. Ce virus contamine des personnes plus jeunes. Les personnes plus âgées sont touchées de façon plus sévère. Mais le Covid concerne tout le monde : les enfants, les adolescents…

« En deux ans, près de 30 % de la population qui réside à Monaco a été contaminée par le virus du Covid-19. C’est énorme »

Sur cette période, 4,2 % des cas, soit 519 personnes, ont été hospitalisées, et 61 ont été admises en réanimation ?

Ces 4,2 % de personnes hospitalisées est un chiffre à nuancer. Il s’agit de la part de personnes hospitalisées sur le nombre de cas cumulés. Mais il faut savoir qu’une personne hospitalisée à qui on détecte le Covid-19 alors qu’elle a été hospitalisée pour une autre raison, est considérée comme un cas de Covid. Quelqu’un qui va passer 24 ou 48 heures en réanimation en soins post-opératoires, est déclarée positive au Covid-19, elle est considérée comme un cas de réanimation Covid. Au début, en mars 2020, des personnes étaient hospitalisées et finissaient parfois en réanimation à cause du Covid. Aujourd’hui, sur le total des personnes qui sont hospitalisées, la part qui est directement due au Covid est de plus en plus faible.

La tension hospitalière reste forte ?

Non. Au centre hospitalier princesse Grace (CHPG), aucun service n’a dû fermer pour cause de saturation à cause d’un besoin en lits pour le Covid. À Nice, des services entiers ont dû fermer pour être réservés aux malades du Covid-19. Aujourd’hui, on ne constate plus cette tension sur les lits destinés au Covid.

Alexandre Bubbio IMSEE
« En 2020, il y a eu 875 cas de Covid-19 pour 81 hospitalisations. Au 31 mai 2022, on était à 7 049 cas et 197 hospitalisations. En 2020, environ une personne sur dix était hospitalisée. Aujourd’hui, les ratios ne sont plus du tout les mêmes. » Alexandre Bubbio. Directeur de l’IMSEE. © Photo Manuel Vitali / Direction de la Communication

La part des hospitalisations augmente avec l’âge ?

Effectivement, la part des hospitalisations augmente avec l’âge. Les cas de Covid les plus graves concernent des personnes âgées. Il y a plus de possibilités d’être en moins bonne santé à 80 ans qu’à 40 ans. Aujourd’hui, les personnes décédées du Covid affichent une moyenne d’âge très élevée, puisqu’elle est de 84,5 ans. Cet âge est proche de celui de l’espérance de vie à Monaco qui est de 86,7 ans. Du coup, ce sont des personnes qui sont forcément plus fragiles, avec des risques de comorbidités.

« Il y a eu 755 recontaminations, alors qu’il y a six mois, nous étions presque à zéro. C’est une nouveauté : ces nouvelles souches de Covid entraînent des recontaminations »

Entre mars 2020 et le 31 mai 2022, 57 morts ont été décomptés, 28 femmes et 29 hommes, soit 0,5 % des cas recensés : deux ans depuis le début de cette pandémie, le Covid tue moins qu’en 2020 ?

En 2022, le Covid tue moins qu’en 2020. En 2020, on a enregistré trois décès du Covid pour 875 cas. En 2021, il y a eu 35 morts pour 4 292 cas. Et en 2022, on a eu 19 décès pour 7 000 cas. On meurt toujours du Covid. Ce n’est pas derrière nous, puisqu’en cinq mois on a quand même eu 19 morts. Mais rapporté sur le nombre de cas, c’est beaucoup plus faible.

De quelle façon la vaccination, qui n’existait pas au début de la pandémie, en mars 2020, a-t-elle pesé sur les chiffres du Covid ?

Réaliser des statistiques sur la vaccination n’a pas été simple. D’ailleurs, aucun pays ne savait faire des statistiques sur ce sujet. De plus, certaines personnes étaient sur des schémas à une dose de vaccin, pendant que d’autres étaient sur un schéma à deux doses. Il a donc fallu mettre en place un partenariat avec le département des affaires sociales et de la santé, la direction des services numériques pour consolider toutes les données informatiquement, pour que l’on puisse voir si les données étaient suffisamment solides, et ensuite faire les calculs nécessaires, et les publier. À la demande du ministre d’État, Pierre Dartout, nous publions les données vaccinales depuis novembre 2021. Aujourd’hui, depuis le début de la vaccination, Monaco a disposé de près de 80 000 doses. Sur ce total, 63 688 vaccins ont été injectés à des personnes qui habitent en principauté. On note aussi que 360 résidents italiens se sont fait vacciner à Monaco. Donc Monaco a vacciné plus de 15 600 personnes qui résident en France ou en Italie. Ce sont principalement des salariés du CHPG, d’autres salariés de la principauté, qui ont profité de cet accès à la vaccination parfois plus aisé qu’en France ou qu’en Italie.

Aujourd’hui, alors que l’été 2022 a débuté, l’élan est toujours là, et les gens continuent à se faire vacciner ?

Aujourd’hui, la couverture vaccinale globale de la principauté a tendance à plafonner. Les plus de 75 ans sont vaccinés à 92 %, les plus de 65 ans le sont à 72 %. Ces populations qui étaient les plus fragiles, se sont vaccinées en premier, et elles ont fait leur dose de rappel. Chez les 18-34 ans, le taux de vaccination est de 59 %, et chez les 35-44 ans on est à un peu plus de 58 %. Chez les 12-17 ans, on est presque à un jeune sur deux qui est vacciné, puisqu’on arrive à près de 47 %. Du coup, la courbe de vaccination a tendance à ralentir. Malgré 19 décès en cinq mois, le Covid ne fait plus peur. Alors que c’était le cas en 2020 et en 2021.

Après avoir baissé, le taux d’incidence (1) a beaucoup remonté ces dernières semaines, pour atteindre 994 le 11 juillet 2022 ?

Dans les Alpes-Maritimes, le taux d’incidence a franchi la barre des 4 000 pendant l’hiver 2022. À Monaco, on était à environ 2 200. Ensuite, ce pic s’est effondré jusqu’au mois de mars 2022. Ensuite, il y a eu une petite vague en avril, avec un taux d’incidence aux alentours de 1 000. Et puis, une nouvelle baisse a été enregistrée en mai 2022, puisque nous étions alors à 200 à Monaco. En juin, on est reparti à la hausse. Nous devrions publier des chiffres à ce sujet dans le courant de la semaine du 18 juillet 2022.

« Je ne suis pas là pour dire que je suis pro-vaccin ou antivax, mais ce chiffre montre que chez les non-vaccinés, le risque de décès est de 4 %, contre 1,1 % chez les vaccinés »

Le taux d’incidence est donc à nouveau autour de 1 000, et cela malgré la couverture vaccinale ?

Il faut aussi prendre en considération l’effet des doses de rappel. Beaucoup de personnes se sont faites vacciner dès que le vaccin a été disponible. Ils ont donc fait une première dose, puis une deuxième, et une dose de rappel. Mais maintenant, il y a un peu l’idée que le Covid, ce n’est plus si grave que ça. Du coup, peu de gens font le deuxième rappel qui est proposé à partir de 60 ans, sauf risques liés à des comorbidités. De plus, certains n’ont pas fait le premier rappel, parce qu’ils ont estimé que deux doses, c’était suffisant. Les contaminations remontent, avec à chaque fois, des souches différentes du virus, qui se comportent de façon différente.

Que peut-on dire sur l’effet du vaccin contre le Covid-19 ?

Sur les 70 ans et plus, on a regardé l’impact du vaccin sur les cas positifs en 2022. Et on a constaté qu’une personne vaccinée avec une dose de rappel peut tomber malade, puisqu’il y a eu 546 cas. Mais cela a entraîné 1,1 % de décès sur ces 546 personnes. En revanche, si on regarde les 201 personnes contaminées non-vaccinées, ou pas totalement vaccinées, on s’aperçoit que la proportion de décès est de 4 %. Je ne suis pas là pour dire que je suis pro-vaccin ou antivax, mais ce chiffre montre que chez les non-vaccinés, le risque de décès est de 4 %, contre 1,1 % chez les vaccinés. Or, en volume, on peut penser qu’il y a moins de personnes de plus de 70 ans avec des comorbidités qui refusent de se faire vacciner. Et malgré cela, on a un ratio de 1 à 4.

1) Le taux d’incidence correspond au nombre de cas positifs enregistrés sur les 7 derniers jours, rapporté à 100 000 habitants. Le seuil d’alerte est fixé à 50.