samedi 20 avril 2024
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“Il faut arrêter de manifester pour un oui ou pour un non”

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Philippe Clérissi et Pierre Brezzo
« L'USM, loin d'être dans la négociation, est dans le blocage systématique. Il n'y a pas d'autre possibilité que de consentir à leurs demandes. Il n'existe aucune voie du milieu. » © Photo Monaco Hebdo.

Dans cette interview, Philippe Clérissi, conseiller national Unam et président du Groupement d’intérêts économiques du centre commercial  Fontvieille et Pierre Brezzo, président de l’Union des commerçants de Monaco, lancent un pavé dans la mare. Parlant en tant que nationaux, ces deux membres de la fédération patronale expriment leur ras-le-bol des manifestations organisées par l’Union des syndicats de Monaco (USM). Interview relue et amendée.

Monaco Hebdo?: Fin 2010, vous avez exprimé votre ras-le-bol dans Monaco-Matin contre les mouvements sociaux. Pourquoi??

Pierre Brezzo?: Nous étions choqués que deux jours avant la fête nationale, le 17 novembre, l’Union des syndicats de Monaco organise son mouvement social annuel. Quand on sait que globalement, la situation n’est pas si mauvaise que ça pour les salariés, pour nous, c’est un manque de délicatesse.

M.H.?: Pour vous, c’est de la provocation??

P.B.?: Oui c’est de la provocation, c’est même un manque de savoir-vivre. A partir du moment où le patronat s’inscrit dans le cadre de la loi et que le nombre de salariés augmente d’année en année à Monaco, on peut légitimement penser que tout ne va pas si mal que ça en termes de droits sociaux. Il y a disproportion entre la situation réelle et la méthode choisie de syndicalisme. C’est la forme de la protestation qu’on conteste. Menacer de faire grève ou de débrayer comme ce fut le cas à Carrefour en fin d’année, au moment de Noël ou à la veille du grand prix, ce n’est pas bon pour l’image du pays. Même chose pour l’affaire du reversement de la TVA. Pour suivre la France, le gouvernement a donné une directive aux établissements de rétrocéder 2 % aux salariés. C’est ce que le Métropole a fait. Mais pendant les fêtes, les grévistes de cet établissement ont demandé plus. De quel droit??

M.H.?: Il n’y a pas que l’USM qui organise des manifestations à des moments stratégiques. A la Société des bains de mer, la tactique est la même. Et on la comprend?: il s’agit de faire pression à ces moments-clés pour Monaco car l’impact est plus important auprès des autorités. Pour vous, la situation économique actuelle ne permet plus ce type d’action??

P.C.?: Effectivement, la situation économique ne le permet plus. Monaco a été frappé par la crise. On a un tissu économique particulier, constitué de micro-entreprises et de PME. Et suite à la crise qu’on a subie par ricochet, le rôle des patrons n’est pas simple. Le coût du travail représente une charge conséquente, les loyers à Monaco, c’en est une autre. Du palais princier au conseil national, en passant par le gouvernement, on essaie tous de trouver des solutions. Or, ce qui est décevant, c’est que l’USM, loin d’être dans la négociation, est dans le blocage systématique. Il n’y a pas d’autre possibilité que de consentir à leurs demandes. Il n’existe aucune voie du milieu. Et en plus, ils sont la seule représentation syndicale car il n’y a pas de pluralisme syndical. On a l’impression qu’on a affaire à une branche ou un clone de la CGT. En face, la fédération patronale fait des efforts depuis des années pour faire avancer le dialogue.

M.H.?: Vous avez des exemples??

P.C.?: Il y a trois ou quatre ans, le gouvernement voulait faire l’expérience de l’ouverture des commerces le dimanche en période estivale. La négociation entre l’UCAM et l’USM, pilotée par l’inspection du travail, devait déterminer la rémunération des salariés. On a eu plusieurs réunions pour finaliser un accord, le patronat avait accepté à la fin de payer double pour le travail le dimanche si le salarié récupérait dans la semaine, ou de payer triple, en s’alignant sur ce qui se passe dans les grandes surfaces pour les ouvertures l’été ou à Noël. Les deux représentants syndicaux nous ont donné leur accord. Le protocole d’accord était finalisé. Et au moment de signer, ils nous ont dit?: on ne signe pas…

P.B.?: On a l’impression que les syndicats refusent des avancées pour entretenir le mécontentement et développer leur fonds de commerce. Nous, ça ne nous convient pas.

J’ai un autre exemple de blocage. Une salariée souffrant d’une tendinite chronique passait devant la commission de licenciement où il y a des représentants du patronat, de l’USM et un inspecteur du travail. La partie salariée demandait à recaser absolument cette femme dans son entreprise alors qu’elle disait elle-même qu’il était techniquement impossible pour son employeur de le faire. Elle a voté contre le licenciement, et contre l’avis de la salariée?!

M.H.?: Vous n’avez pas peur de passer pour des poujadistes??

P.C.?: S’il y a 50?000 salariés à Monaco, c’est que le système n’est pas si mauvais que ça. Vous touchez dès le premier enfant aux allocations familiales, le remboursement des caisses est bien meilleur. Il y a des écarts avec la France de parfois 30 %, malgré la crise…

M.H.?: Vous dites parler comme des nationaux. Mais votre message ressemble à celui de la fédération patronale??

P.C.?: La fédération patronale, ce n’est pas le grand méchant loup. Elle représente 1?200 entreprises. Est-ce que l’USM peut en dire autant quant à la représentativité des salariés?? La FPM a toujours répondu à l’appel au dialogue social et elle ne s’est même pas butée sur la révision du licenciement sans motif. En face, il y a des gens qui ne savent pas faire un pas en avant. On voudrait que les salariés jouent le jeu et arrêtent de bloquer le processus. A chaque fois qu’il y a ces personnes dans la rue pour un oui ou un non, ou qui bloquent toutes les mesures, ça vous sape le moral. Il y a beaucoup de chefs d’entreprises qui sont loin de l’euphorie. En décembre, la fédération patronale avait interrogé les 27 syndicats pour savoir où en étaient les entreprises?: sur une vingtaine de présidents de syndicats présents, la moitié nous disait que dans leur branche, une majorité d’entreprise rendait des bilans négatifs.

M.H.?: Pour vous il n’y a donc pas de dégradation des conditions de travail??

P.C.?: Il y a certainement un tout petit nombre de patrons voyous comme il y a tout petit nombre de salariés voyous. Mais on ne peut pas généraliser. D’ailleurs je ne les connais pas.

M.H.?: En clair, vous faites aujourd’hui un appel public aux Monégasques pour qu’ils se mobilisent??

P.B.?: J’attends de la part des nationaux une attitude responsable. Il y a des choses qui étaient possibles à certaines époques. Aujourd’hui il faut être dans l’esprit de travailler, agir pour l’union. Tout le monde doit investir dans l’effort individuel pour participer à l’économie du pays. Mais nous demandons parallèlement que les entreprises d’Etat ne cèdent plus aussi facilement aux revendications de l’USM. Quand les salariés d’une société qui délocalise manifestent, c’est un appel à l’aide que je respecte. Je regrette cet impact de la crise. Mais quand on manifeste pour demander des augmentations, non. Il faut être positif et négocier autour de la table.

M.H.?: On n’a pas l’impression qu’il y ait une culture du syndicalisme à Monaco, parmi les Monégasques??

P.B.?: Il faut s’y mettre. Nous sommes là comme des Monégasques soucieux d’œuvrer pour l’intérêt général et l’avenir du pays. Ça fait des mois que dure cette activité syndicale qui pollue la vie des acteurs économiques de la principauté. Il faut que ça s’arrête.

M.H.?: Le ministre d’Etat annonce la création d’une commission du commerce. C’était votre idée??

P.C.?: Aujourd’hui, en principauté, on n’a pas d’urbanisme commercial, on a des difficultés de liens entre les différents quartiers en raison de la topographie de la principauté, avec des quartiers qui ne fonctionnent pas du tout, des quartiers à revoir car sales voire insalubres comme la rue Caroline. C’est pourquoi nous avons demandé la création d’une commission du commerce avec un pouvoir décisionnaire, capable de discuter avec les différents organes de la principauté (CDE, CES, Conseil national, gouvernement) dans laquelle nous serions représentés. Ce qui nous permettrait d’avancer sur des problèmes précis comme l’avenir du boulevard des Moulins.