jeudi 25 avril 2024
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La conférence maçonnique
en 2021 à Monaco ?

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Grand maître de la Grande loge nationale régulière de la principauté de Monaco (GLNRPM), Jean-Pierre Pastor explique comment la franc-maçonnerie se développe à Monaco et relativise son influence, suite à l’annonce de la candidature de Franck Nicolas à la mairie. La principauté pourrait accueillir en octobre 2021 la conférence maçonnique qui réunit toutes les grandes loges au plan international. Interview relue.

« Encore la franc-maçonnerie ! » se diront certains, tant les “frangins” font partie des marronniers médiatiques. En 2014, leur influence supposée ou réelle, dans les plus hautes sphères de l’Etat (mais aussi dans la police et la justice), continue à noircir les pages des newsmagazines — depuis 2009, les initiés peuvent même trouver en kiosque Franc-maçonnerie magazine ! — et à susciter la curiosité. Et pour cause. Suppression de l’esclavage en 1848, enseignement public gratuit, laïc et obligatoire dès 1881, loi sur la liberté d’association (1901) ou la séparation de l’Eglise et de l’Etat, congés payés (1936), dépénalisation de l’avortement (1975), abolition de la peine de mort (1981)… En France, nombre de réformes ont été appelées de leurs vœux et débattues par les loges franc-maçonnes. A Monaco, ce n’est pas tout à fait la même musique. La liste des francs-maçons connus est beaucoup moins longue… Les documents historiques se font rares, comme le confirme d’ailleurs le grand maître de la Grande loge nationale régulière de la principauté de Monaco (GLNRPM) Jean-Pierre Pastor. On sait que bien avant Albert Ier, Honoré IV (1758-1819) s’est ouvert à l’esprit des Lumières et a fait son entrée à la Loge maçonnique parisienne de la parfaite estime, en 1785. A la fin du XVIIIème siècle, Monaco connaît ainsi un premier épisode maçonnique. Un certificat maçonnique, datant de 1789, l’atteste. Rattachée au Grand Orient d’Italie, cette loge était composée d’une dizaine de frères (Straforelli, Vedel, Sigaldi, Lanciarez, Amarante et Berti). Des frères qui se réunissaient sans doute chez un particulier, avant que la Révolution française ne mette un terme à cet épisode. La suite est plus floue. Si la première loge à l’orient de Monaco, Les Amis de l’Olivier du midi, fut créée en 1811, on sait que durant des années, la loge anglaise s’est réunie dans une salle de l’église anglicane tandis que l’obédience allemande se retrouvait au Novotel. Mais ce n’est que depuis 3 ans, que la GLNRPM, seule loge régulière de Monaco, a été fondée, à l’initiative de Jean-Pierre Pastor, Claude Boisson ou encore Franck Nicolas, ex-GLNF. Focus.

Monaco Hebdo : Racontez-nous votre initiation. Comment êtes-vous venu à la maçonnerie ?
Jean-Pierre Pastor : Cela ne se raconte pas, ça se vit ! J’ai toujours été attiré par ce qui était ésotérique et la philosophie. Un jour, des personnalités m’ont proposé de rentrer en maçonnerie. J’ai accepté après avoir mûrement réfléchi. J’avais 30 ans. J’ai été initié à Nice, à la Grande loge nationale française, comme beaucoup d’entre nous d’ailleurs.

M.H. : Ça se passe un peu par hasard finalement, au fil du parcours d’une vie ?
J.-P.P. : Il n’y a jamais de hasard… Il y a des personnes que vous rencontrez, avec qui vous pressentez partager certaines valeurs.

M.H. : Que recherchent les gens qui entrent en maçonnerie ? Nous sommes dans un monde où les repères manquent. Est-ce une sorte de « religion de substitution » comme le formule Roger Dachez, président de l’Institut maçonnique de France ?
J.-P.P. : On est dans un monde où il y a une perte de repères. Les gens sont perdus et certains ne se retrouvent plus dans les grandes religions, qui, il faut le dire, attirent moins aujourd’hui. Après, c’est une démarche personnelle. 99 % des personnes qui rentrent en maçonnerie sont à la recherche de connaissances. Ils se retrouvent à un moment de leur vie où ils n’ont pas trouvé de réponses dans ce qui les entoure. Ils se dirigent alors vers un système philosophique et spirituel qui leur convient davantage.

M.H. : Comment recrutez-vous, en tant que président ?
J.-P.P. : On ne recrute pas : ce terme laisserait penser qu’on privilégie la quantité et non la qualité. Il s’agit de cooptation. Il ne m’est d’ailleurs arrivé que très rarement que des particuliers me demandent de rentrer de leur propre chef.

M.H. : Et combien de membres comptez-vous ?
J.-P.P. : Nous sommes aujourd’hui autour de 280 dont 30 Monégasques. Le nombre a augmenté depuis notre installation il y a 3 ans. Notamment pour une raison : initialement, l’association était uniquement ouverte aux Monégasques, aux enfants du pays et aux résidents qui habitent Monaco depuis plus de 18 ans. Nous avons ouvert les statuts aux personnes travaillant ou ayant un lien avec Monaco. Bien sûr, les nouveaux entrants sont des personnes de qualité, triées sur le volet. Il ne s’agit pas d’accepter tous les profanes qui se présentent. On veut rester une grande loge avec certaines valeurs.

M.H. : En bannissant tout affairisme ?
J.-P.P. : Bien sûr, et plus largement aux personnes intéressées. Certains croient qu’entrer en maçonnerie, c’est multiplier son carnet d’adresses. La maçonnerie n’est pas un club services. C’est une élévation spirituelle et philosophique. C’est pourquoi nous avons écarté certaines personnes.

M.H. : Est-ce qu’il y a beaucoup de turnover après l’écrémage de départ ?
J.-P.P. : Nous avons fédéré des loges différentes (Maçons d’Allemagne, l’American Canadian Grand Lodge et la Grande Loge Unie d’Angleterre plus les 3 loges de Monaco). Des personnes ne se sont pas senties à leur aise dans cette nouvelle structure. Ils étaient moins libres qu’avant, lorsque leur obédience était à 1 000 ou 3 000 km quant à l’application des règles. Or, certains avaient pris l’habitude de faire des réunions privées, dans des hôtels, hors loge… Notre grande loge monégasque est une structure, avec ses règles, sa constitution.

M.H. : Une trentaine de Monégasques, c’est peu ? Comment l’expliquez-vous ?
J.-P.P. : C’est exact. Les Monégasques qui sont inscrits dans d’autres grandes loges ne sont pas encore tous revenus. On estime leur nombre à une centaine, toutes grandes loges françaises, italiennes, suisses, confondues. Peut-être que certains ont du mal à quitter leur loge d’origine. Les maçons sont attachés à la loge où ils ont reçu la lumière.

M.H. : Certains préfèrent sans doute pratiquer loin de Monaco, en toute tranquillité. Ceux qui font partie, par exemple, du Club 50 (une fraternelle élitiste interobédientielle — GLNF, Grand Orient, Grande loge de France — qui réunirait autour d’un dîner privé des frères triés sur le volet) ?
J.-P.P. : Je ne sais pas si des Monégasques font partie du Club 50. Nous, nous faisons de la maçonnerie traditionnelle et donc non élitiste. La maçonnerie est ouverte à tout le monde, toutes les professions y sont représentées. Je comprends en revanche qu’il y ait, dans certaines obédiences, des loges créées pour recevoir des personnalités. L’objectif est tout simplement de ne pas les exposer publiquement ou médiatiquement. Je le répète : je pense qu’avec le temps, ceux qui font partie de loges extérieures reviendront pratiquer à Monaco au fur à mesure. Le fait d’avoir un grand temple va forcément activer le mouvement…

M.H. : Quand est prévue l’ouverture du temple ?
J.-P.P. : Le temple ouvrira ses portes à la fin 2014. Il s’agit d’un local situé dans un local des domaines à la ZAC Saint-Antoine d’environ 600 m2.

M.H. : Vous avez toujours en projet de faire un musée ?
J.-P.P. : Oui mais dans un second temps. Un musée implique une sécurité spécifique.

M.H. : Il sera ouvert au public comme celui du Grand Orient à Paris ?
J.-P.P. : Non. Il sera réservé aux initiés. L’espace à Monaco n’est pas évident à trouver. Il y aura une sélection des plus belles pièces (épées, photos, etc) de la collection personnelle des membres.

M.H. : Vous allez organiser des tenues blanches ?
J.-P.P. : On va y réfléchir. Terminons d’abord notre temple puis on verra.
M.H. : Jules Ferry, Benjamin Franklin, Garibaldi, Churchill… On parle souvent des maçons célèbres. Qu’en est-il des Monégasques ?
J.-P.P. : Il y a certains princes et dans les documents que nous avons récupérés, des noms de familles monégasques connues apparaissent.

M.H. : Loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, loi Veil dépénalisant l’avortement, abolition de la peine de mort… En France, toutes ces grandes lois ont été fortement poussées par la maçonnerie. Retrouve-t-on une influence semblable à Monaco ?
J.-P.P. : Je ne vois pas d’implication directe de la maçonnerie monégasque au niveau législatif mais je pense que les princes qui ont été francs-maçons ont impulsé leur vision.

M.H. : L’ancien vice-président Claude Boisson est désormais élu au conseil national, le secrétaire Franck Nicolas candidat à la mairie en tant que tête de liste. Pensez-vous que des Monégasques puissent en déduire que la maçonnerie prend le pouvoir ?
J.-P.P. : Claude Boisson fait de la politique depuis longtemps, Franck Nicolas depuis quelques années. Il est hors de question d’imaginer que les francs-maçons prennent le pouvoir politique à Monaco ! Ce n’est pas le cas. Et ce n’est pas notre philosophie. Ce sont uniquement des démarches personnelles et privées. Je tiens d’ailleurs à indiquer que pour ma part, je n’ai pas d’ambition politique.

M.H. : Pour vous, sur le plan pratique, ce sera un casse-tête à régler en cas de victoire de Franck Nicolas ?
J.-P.P. : Nous avons déjà prévu la personne qui remplacera Franck Nicolas dans le cas où il serait élu. Guy Feyrerolles avait quant à lui remplacé Claude Boisson à la vice-présidence après son élection en février 2013. Comme le prévoient nos statuts, la fonction d’élu n’est pas compatible avec les postes de président, vice-président, secrétaire et trésorier de l’association.

M.H. : Avez-vous retissé les liens avec la GLNF, maintenant que le scandale Stifani est réglé ?
J.-P.P. : La Grande Loge unie d’Angleterre a décidé de rétablir les liens avec la France et de reconnaître la GLNF. De notre côté, tout dépendra de la décision de notre comité maçonnique puis de la réunion de grande loge en mars 2015. Le nouveau grand maître a mis de l’ordre dans la maison GLNF à tous les niveaux, financier et administratif. Heureusement, la GLNF a été remise sur des rails donc logiquement, il n’y a pas de raison pour ne pas rétablir de relations. On est à 80 % issus de la GLNF donc cette affaire nous avait touché.

M.H. : Comment travaillez-vous avec les grandes loges étrangères ?
J.-P.P. : Nous participons autant que possible à la communication annuelle (aux AG, N.D.L.R.) des grandes loges étrangères. On représente aussi notre grande loge lors de réunions internationales où se réunissent les grands maîtres européens et mondiaux. Il s’agit de réunion où l’on débat par exemple de la maçonnerie à l’heure d’internet, de la protection des sites vis-à-vis des hackers, ou de comment communiquer avec le monde profane. Nous avons ainsi deux à trois déplacements par mois.

M.H. : C’est important pour la visibilité de la loge ?
J.-P.P. : Monaco a toujours été perçu comme un pays progressiste. On explique que le prince Albert Ier a été dreyfusard et humaniste, Monaco a toujours lutté pour son indépendance, pendant 7 siècles. C’est aussi l’esprit de notre grande loge monégasque. Ces références historiques sont importantes.

M.H. : Le prochain grand rendez-vous ?
J.-P.P. : L’année prochaine, il y aura la conférence maçonnique mondiale à San Francisco. Ce sera un moment important. Nous allons candidater pour accueillir en octobre 2021 cette conférence internationale qui réunit toutes les grandes loges. Cela implique de louer une salle d’une capacité de 1 000 personnes pour le gala, des chambres d’hôtels, des salles de travail.

M.H. : Il y aurait de nombreux chefs d’Etats africains ?
J.-P.P. : Sans doute.

M.H. : En Afrique, la maçonnerie est importante dans la classe dirigeante. Comment l’expliquez-vous ?
J.-P.P. : C’est culturel. Beaucoup de présidents de la République sont francs-maçons. Ce n’est pas incompatible. Si on applique les valeurs de la maçonnerie, cela ne peut qu’apporter que du bon au pays.

M.H. : Où se réunissent les femmes maçonnes à Monaco aujourd’hui ? Toujours dans des hôtels en l’absence de loge officielle ?
J.-P.P. : Les femmes monégasques ou enfants du pays ne sont pas assez nombreuses pour créer une grande loge. Pour le moment, elles se réunissent en France, comme nous le faisions avant.

M.H. : Comment sont perçus les francs-maçons aujourd’hui à votre avis ? Cet été, un commerçant auvergnat a mis un écriteau sur sa porte : interdit aux chiens et aux francs-maçons.
J.-P.P. : Que voulez-vous ? Cela me fait rire jaune. C’est triste qu’au 21ème siècle on fasse encore cet amalgame… Ce genre de panneau s’est vu pendant la deuxième guerre mondiale et aujourd’hui, on voit hélas réapparaître ce type de propos raciste et antisémite. L’impression déplorable que les francs-maçons ont le pouvoir vient sans doute du fait qu’en France, le GO a été le creuset de certaines lois.

M.H. : Savez-vous d’ailleurs s’il y a eu des francs-maçons de Monaco arrêtés et déportés par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale ?
J.-P.P. : C’est difficile de le savoir. Il n’y avait pas de loge officielle monégasque et celle d’Angleterre s’était mise en sommeil pendant la guerre. On n’a donc pas de liste de francs-maçons de l’époque et il est impossible de recouper avec les personnes déportées.

M.H. : Enfin, depuis quelques années, Dan Brown, avec ses romans, a fait un focus sur la maçonnerie. Ses livres sont des best-sellers. C’est un bon coup de pub selon vous ?
J.-P.P. : La maçonnerie, c’est quelque chose qui se vit de l’intérieur. Quelles que soient les descriptions faites dans des livres, cela ne remplacera jamais l’expérience d’une initiation et d’une élévation. C’est indescriptible. C’est un moment qui reste présent dans chaque esprit tout au long de notre chemin initiatique.