Une étude austro-norvégienne (1) montre que le trafic routier génère des microplastiques qui circulent dans l’air, et qui peuvent ensuite se déposer, non seulement sur les terres, mais aussi dans les mers et les océans.
Nikolaos Evangeliou, chercheur au Norwegian Institute for Air Research en Norvège, et principal auteur de cette étude, a répondu aux questions de Monaco Hebdo.
Pourquoi avoir décidé de réaliser cette étude ?
Bien que le transport des microplastiques par les processus de ruissellement et de lessivage vers l’écosystème marin et/ou d’eau douce ait été étudié de manière approfondie, nous voulions faire une étude sur la pollution atmosphérique causée par les microplastiques car on sait finalement très peu de choses sur la manière dont ces particules sont dispersées dans l’atmosphère, et où elles se déposent.
Et c’est un point important ?
C’est important en raison de leur impact sur la santé des humains et des animaux, mais aussi en raison de leur capacité à absorber des composés organiques et des métaux lourds qui augmentent leur toxicité. Ces particules ont aussi un impact sur l’environnement, car elles sont dérivées de matériaux fabriqués à partir de combustibles fossiles, tels que l’éthylène et le propylène.
Les conséquences ?
Des besoins plus importants en plastiques entraînent des émissions plus importantes de gaz à effet de serre. Enfin, comme leur taille est inférieure à 10 micromètres, elles ont déjà été détectées dans des régions éloignées, ce qui implique un effet climatique. Car ces particules peuvent agir comme des impuretés absorbant la lumière lorsqu’elles se déposent sur les surfaces de neige et de glace, diminuant l’albédo [le pouvoir réfléchissant d’une surface, – N.D.L.R.] de surface et accélérant la fonte.

« Lorsque de telles particules se déposent sur la neige et la glace, elles peuvent agir comme des espèces absorbantes de la lumière, et ainsi diminuer l’albédo de surface, et accélérer la fonte de la glace »
Quelles sont les principales conclusions de votre étude ?
La principale conclusion de cette étude, c’est que le transport atmosphérique des microplastiques a le même impact sur la pollution des microplastiques vers l’océan que le transport fluvial. Nous donnons également des détails sur les microplastiques routiers et leur capacité de transport vers plusieurs endroits sur Terre. Ceci est important, car la contribution atmosphérique des microplastiques a été sous-estimée, ou n’a même pas été prise en compte auparavant.
Vous êtes parvenus à tirer d’autres conclusions ?
Nous abordons ici pour la première fois la composante atmosphérique de la pollution des microplastiques. Bien sûr, nos calculs ne concernent que les microplastiques liés au trafic, dont nous connaissons relativement bien les sources. Cependant, nous attirons l’attention de la communauté scientifique sur le fait que le transport atmosphérique pourrait être une voie essentielle pour tout type de microplastiques.
Comment l’usure des pneus et des freins des voitures, motos, bus et autres poids lourds, peut produire chaque année dans le monde 3 millions de tonnes de particules composées en majorité de plastique ?
Les particules que nous avons étudiées ici sont les particules dites non liées au trafic d’échappement. Elles sont produites par abrasion mécanique et corrosion, mais aussi par la remise en suspension des particules déjà déposées par les turbulences dues au trafic, ce que nous appelons « l’effet sauterelle ». Les principaux processus d’abrasion impliquent l’usure des pneus, des freins et du revêtement routier. Mais d’autres sources potentielles d’émission directe de particules existent, comme l’usure des embrayages et des moteurs, l’abrasion des roulements de roue et la corrosion d’autres composants des véhicules, du mobilier urbain et des glissières de sécurité.
De quoi dépend l’usure des pneus ?
Pour les particules d’usure des pneus, le processus d’usure dépend du type de pneu (c’est-à-dire la taille, la profondeur de la bande de roulement, la composition chimique, le kilométrage accumulé, la configuration), de la surface de la route (c’est-à-dire le matériau, la porosité, l’état, l’entretien) et des caractéristiques du véhicule (son poids, l’emplacement des roues motrices, la puissance du moteur), ainsi que de l’état de fonctionnement du véhicule (sa vitesse, l’accélération, la fréquence et l’étendue du freinage et des virages).
Et pour les freins ?
Les émissions de particules d’usure des freins dépendent de la masse du matériau de friction, de la fréquence et de la sévérité du freinage, et donc des conditions de conduite. Mais la vitesse, l’état et l’entretien de l’automobile peuvent aussi peser. Un autre facteur clé qui influe sur les émissions de particules d’usure des freins concerne les conditions environnementales pendant le freinage, donc la température et les composés environnementaux présents sur la route.
Certaines particules peuvent voyager dans l’air pendant combien de temps avant de retomber sur les sols et dans les océans ?
Nous avons calculé que les particules d’une taille inférieure à 10 micromètres (PM10) ont une durée de vie atmosphérique de 5,5 à 11 jours, et se retrouvent près des plus grands pays producteurs, comme la Chine, les États-Unis et l’Europe. Les particules plus petites ont une durée de vie de 18 à 37 jours, elles volent plus longtemps et présentent donc des concentrations et des dépôts importants dans l’océan ou dans l’Arctique, par unité. Comme prévu, ces concentrations sont plus faibles dans les régions éloignées qu’à proximité des sources. En effet, lors du transport à longue distance, elles sont dispersées par les dépôts secs et humides, avec le balayage des gouttelettes de pluie.
Avec un flux de plus de 110 000 voitures par jour, la circulation à Monaco génère quel volume de pollution ?
Selon le modèle de l’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués (IIASA), Monaco libère environ 282 tonnes par an de matière en suspension totale de particules d’usure des pneus. Environ 10 % d’entre elles, soit 28 tonnes par an, sont des PM10 [particules fines de taille inférieure à 10 micromètres – N.D.L.R.] et 1 %, soit 2,8 tonnes par année, sont des PM2,5 [particules fines de taille inférieure à 2,5 micromètres – N.D.L.R.]. Les rejets de particules d’usure des freins sont plus faibles.
Organisé chaque année pendant quatre jours, le Grand Prix de Monaco est aussi un vecteur de pollution ?
C’est difficile à calculer. Mais je pense que c’est un petit événement qui dure seulement 4 jours. Par conséquent, c’est une source de pollution plutôt insignifiante.
Plus globalement, sait-on le volume de pollution moyen généré par un Grand Prix de F1 ?
La pollution est un terme général qui englobe tous les polluants rejetés. Notre travail porte uniquement sur la pollution microplastique provenant des véhicules routiers. De plus, il est difficile d’évaluer l’ampleur des diffusions pendant un Grand Prix de F1.

« Les principales conséquences connues de la pollution par les microplastiques sont l’impact sur la santé des animaux et des humains. Les microplastiques absorbent également des composés organiques et des métaux lourds ce qui augmente leur toxicité »
Quelles sont les principales conséquences de la pollution par les microplastiques ?
Les principales conséquences connues de la pollution par les microplastiques sont l’impact sur la santé des animaux et des humains. Les microplastiques absorbent également des composés organiques et des métaux lourds ce qui augmente leur toxicité. En outre, ils sont fabriqués à partir de combustibles fossiles, tels que l’éthylène et le propylène, ce qui a un effet sur le paramètre climatique. En effet, des besoins plus importants de plastiques entraînent des émissions plus importantes de gaz à effet de serre. Enfin, avec la décomposition des plastiques à des tailles inférieures à 10 micromètres, ils sont aéroportés, et peuvent ensuite voyager loin des sources. Lorsque de telles particules se déposent sur la neige et la glace, elles peuvent agir comme des espèces absorbantes de la lumière, et ainsi diminuer l’albédo de surface, et accélérer la fonte de la glace.
Comment limiter ce type de pollution ?
Pour limiter la pollution par les microplastiques, de nouvelles technologies sont nécessaires pour la production de pneus. On peut aussi songer à l’interdiction de l’utilisation des voitures. Mais pour prévenir la propagation des microplastiques, l’interdiction des produits en plastique est nécessaire, car ces produits s’accumulent dans l’environnement, avec des temps de décomposition extrêmement faibles.
Est-il possible de nettoyer les océans et le littoral des débris de plastique ainsi que des microparticules ?
Actuellement, les microplastiques sont partout, dans des tailles qui ne sont pas visibles. De plus, ils sont indétectables à des tailles aéroportées (10 micromètres), ce qui signifie que nous ne connaissons pas les niveaux exacts de leur pollution. Cependant, de nouvelles méthodologies sont développées en permanence. À l’heure actuelle, je ne crois pas que le nettoyage des océans et du littoral à partir des débris de plastique et des microparticules soit une solution réaliste. Nous pouvons nettoyer les débris de plastique de l’océan ou les plastiques du rivage, donc les substances qui sont visibles. Mais les microplastiques continueront probablement d’être là, et nous avons plutôt besoin de techniques de nettoyage plus avancées. À mon avis, les mesures de prévention de la dispersion des microplastiques constituent la solution la plus réaliste.
Monaco est un pays de seulement 2 km2 : que faudrait-il faire pour limiter ce type de pollution dans un tel contexte ?
D’après le modèle de l’IIASA, les émissions mondiales de microplastiques en suspension sont de 2,4 millions de tonnes par an. Monaco émet 282 tonnes par an, soit 0,012 %. La contribution de Monaco aux émissions de microplastiques routiers est donc mineure. Malgré cela, pour limiter ce type de pollution, l’idéal serait d’interdire l’utilisation des voitures.
1) Intitulée Atmospheric transport is a major pathway of microplastics to remote regions, cette étude a été publiée le 14 juillet 2020 dans la revue Nature Communications. Elle peut être consultée ici : https://www.nature.com/articles/s41467-020-17201-9.